M, le miroir d’une société.

M étudie à Alger, au département d’anglais et réside à quelques kilomètres de là. M cogitait, M flânait. À ses oreilles, elle mettait des écouteurs à peine apparents sous sa coupe au carré noirâtre, le tout surplombé par un bonnet. Avec sa bouche, elle ôtait la vie à une cigarette Rym dont la fumée s’est paradoxalement assignée la tâche de l’assassiner et de la ressusciter, mais aussi de libérer. Le choix de Rym au détriment d’une autre marque n’était point rabaissant, peut-être que ce nom lui évoquait un semblant de féminité, de douceur et de tendresse dont sont affranchies toutes ces silhouettes qui l’environnaient.

Chaque jour, en arpentant les ruelles qui débouchaient sur la résidence universitaire, où elle ruminait chaque soir sa colère, elle sentait peser sur elle, en plus de sa guitare et de sa sacoche, le poids des yeux, de la bouche, du cœur et de la cervelle d’autrui; ces yeux qui perçaient ses habits et son allure jugée hautaine sans jamais être capable d’admirer sa beauté physique et le scintillement de son âme, cette bouche si éloquente quand il s’agit de médire sur elle, mais qui bégayait et qui s’avérait incapable d’ovationner son intelligence et son apport à la société, ce cœur qui vénérait dieu, mais qui méprisait la plus belle de ses œuvres -comme M-, ce cerveau lâche qui se nourrissait de préjugés et qui se plaisait à la profiler selon ses convenances sans être en mesure d’admettre et d’assumer l’authentique exception qu’elle était.

C’est dans ce pays victime de ses propres alternatives, consumé par ses rejetons, c’est dans cette société, c’est sur cette terre que M est condamnée à subsister au gré et aux caprices de l’autre. C’est dans cette terre où les racines de l’abime se sont accaparées les abysses, que l’on a confisqué à M l’intégralité de ses printemps, c’est également là que ses hurlements de détresse n’ont croisé qu’aphonie et mégarde. Car M n’est en réalité qu’un petit arbre qui cache la forêt, qu’une simple lettre d’un alphabet agonisant. Si M, T, S, L et D ont voué leurs poumons à Rym, c’est parce qu’elles s’étaient rendues compte qu’une mort rapide et individuelle était plus plaisante qu’une mort participative, c’est parce qu’elles étaient lasses, par leur brillance, de faire office de miroir et de faire aux voir aux autres en elles toute leur mocheté, c’est parce que les joints, eux au moins, brulaient pour elles.

Tarik Ibelaidene