Un deuxième album posthume du regretté rappeur us Lil Peep est dans les tuyaux, et c’est le groupe gérant les réseaux sociaux de ce dernier qui l’a confirmé. Alors même si l’idée de base est bonne, voici les arguments qui poussent à s’interroger sur cette méthode, de plus en plus utilisée.

Dans son titre “Vie d’artiste”, le rappeur belge Kobo tient ce propos : “six pieds sous terre, seule subsistera mon écriture”. Dans notre épisode Punchlife, expliquées par lui-même, il l’explique simplement : “C’est un peu pour dire que l’art survit, mais pas l’artiste”. Cette pensée-là est devenue la norme, à tel point que l’on assiste depuis plusieurs années à l’apparition d’un phénomène assez particulier : les albums posthumes. La pratique, très répandue aux États-Unis, s’impose aussi en France. Preuve en est, l’album posthume de la star Johnny Hallyday, publié près d’un an après sa mort, a réalisé le meilleur démarrage de l’année 2018, avec 780 177 exemplaires physiques écoulés en première semaine d’exploitation. L’album s’est d’ores et déjà vendu à plus de 1,3M d’exemplaires. Dans ce cas présent en France on peut cependant parler d’une exception, Johnny étant une légende de la musique francophone. Aux États-Unis, la donne est différente. Sur le compte Instagram du rappeur Lil Peep, décédé le 15 novembre 2017 d’une overdose après un concert, l’équipe gérant les réseaux sociaux du défunt a confirmé la sortie future d’un nouvel album posthume, après la sortie du premier, Come Over When You’re Sober Pt.2, sorti a une semaine près un an pile après sa mort, et qui avait rencontré un franc succès, en se classant quatrième du top 200 Bilboard pour sa première semaine d’exploitation, avec 81 000 albums vendus, en comptant le streaming et le téléchargement. L’annonce de la sortie d’un nouveau projet a été acclamée par les fans du rappeur, désireux de voir la musique de Lil Peep lui survivre. Mais cette décision va aussi sans respecter bon nombre de codes, comme c’est le cas dans chacune de ces situations.

 

La mort, outil malsain de l’industrie musicale ?

J’repense a 2Pac et Biggie, le rap game te souhaite la mort, et a ta mort, il fait des t-shirts à ton effigie”. Dans son morceau “Mourir mille fois”, sorti sur l’album NGRTD, le rappeur de Cergy-Pontoise en vient à ce constat : dans la musique, la mort fascine. Pour le cas des rappeurs Tupac et Biggie, leurs morts les ont propulsés du statut de stars mondiales à celui de légendes du rap. Leur exemple n’est pas forcément le plus frappant dans notre réflexion, les deux rappeurs ayant vu leurs morts respectives s’inscrire dans le continument de vies légendaires tournées autour de la “Thug life”. Récemment, la mort du rappeur californien Nipsey Hussle a causé un grand émoi dans le monde du rap, le rappeur étant reconnu de tous comme étant un rappeur engagé dans de nombreuses causes sociétales, et associations pour faire prospérer la ville de Los Angeles, et ses quartiers qui font face à la précarité.

Dans certains cas, on a pourtant l’impression que la mort d’un artiste devient une stratégie commerciale et – très lucrative – pour un tiers. Récemment, l’un des artistes américains les plus influents de la dernière décennie en la personne de LIl Wayne a sorti son album marquant son grand retour, Tha Carter V. Sur l’album, sorti le 28 septembre 2018, on note la présence du défunt XXXTentacion, décédé trois mois auparavant. Si le rappeur floridien confiait avant de mourir assassiné que LIl Wayne était une de ses plus grandes influences et que le son avait été enregistré et préparé bien avant le décès d’XXX, la sortie du clip interroge. Dans le clip, on retrouve LIl Wayne, et un acteur incarnant XXXTentacion. Si la vidéo est sortie le jour de l’anniversaire du regretté rappeur, la méthode interroge sur de nombreux points éthiques et moraux. Sur son dernier album, le rappeur Drake est en feat avec la légende de la pop… Michael Jackson ! Ce genre de featuring entre artistes décédés depuis plusieurs décennies et artistes encore présents sur la scène actuelle est rendue possible par la récupération des droits des titres non publiés des artistes décédés. L’une des initiatives qui a créé le plus gros “bad buzz” reste néanmoins la volonté de certains de réaliser des concerts d’hologrammes de stars. Il était ainsi proposé d’aller voir Amy Winehouse en concert ! Face au tollé de cette proposition, celle-ci ne devrait sûrement pas voir le jour. 

 

Mort, perte d’objectivité et spéculations

Ce n’est pas une nouvelle, la mort d’une personnalité amène généralement d’abord une vague, justifiée, d’émoi, puis une perte d’objectivité, certes dommageable, mais difficilement critiquable. Il est en effet rare, et généralement mal vu, de critiquer une personne n’étant plus de ce monde, la société préférant garder les bons aspects de la personne, quelques exceptions gardées bien évidemment. Lorsqu’il s’agit d’un artiste, le décès de ce dernier annonce généralement une hausse considérable des ventes de ce dernier. Il semblerait qu’une partie du public ne s’intéresse à un artiste que si ce dernier est mort. Arrive alors cette phase vicieuse du “Cet artiste est mort, c’était mon préféré, j’adorais son morceau *insérer la chanson la plus connue de l’artiste* “. Cette phrase-là est très sûrement prononcée par la même personne qui dira “Oh non ! Il y a eu un attentat dans – insérer la ville -, ça me touche, j’y suis resté pendant deux jours il y a cinq ans”.

Autre gros problème rencontré lors de la mort d’un artiste, la suite de sa carrière. De nos jours, la mort d’un artiste ne signifie plus la fin de sa carrière, et comme nous avons pu le voir, il n’est pas rare de voir de nouveaux morceaux de l’artiste être publiés. Dans la plupart des cas, les intérêts de l’artiste vont être gérés par ceux qui étaient le plus proches de lui, dont sa famille (la mère de Lil Peep gère par exemple désormais une partie de ses intérêts). Dans ces situations-là, les dernières volontés de l’artiste en terme de musique et de direction artistique sont fidèlement reproduites, comme ce fut le cas pour le dernier album de Lil Peep. Dans d’autres cas, la question mérite d’être posée, surtout au niveau des featurings. Qui peut affirmer que Michael Jackson était d’accord pour poser un jour de sa vie sur un morceau avec Drake ?

 

Personne n’aura jamais la réponse, c’est une certitude. La question, quant à elle, subsiste. Pour ne pas là voir apparaître, il suffirait de faire disparaître ce phénomène souvent vicieux de morceaux posthumes…ou alors, ne sortir que ceux qui avaient été validés avant son décès par l’artiste en question. À défaut d’avoir réussi à sauver les artistes, protégeons l’intégrité de leur musique.

Léopold Court