Lorsque Nikita Imambajev (le fondateur d’Alohanews) m’a invité à lire l’essai de Bakary Sakho, « Je suis », je ne m’attendais pas à ce que ce livre me marque autant. Certes en bon rat de bibliothèque, je pensais le lire avec plaisir et intérêt. Mais prise par les pages et la force tranquille du texte, ce livre est devenu autre chose quelque chose de « fort ». Vous savez, cette chanson de rap qu’on n’aurait jamais pensé écouter, ce film étranger devant lequel on aurait jamais pensé pleurer … ces émotions qui nous marquent et qu’on n’anticipait pas. Bref, les meilleures, celles qui nous révèlent à nous même ces parts de soi, cachées et protégées. Mais qu’est-ce qui fait la force de ce livre? Je vais essayer de vous l’expliquer avec mes mots, pour vous inviter à découvrir ceux de Bakary Sakho.

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ÊTRE

Le titre du livre semble au premier abord assez équivoque. Il raconte une histoire, celle d’un homme. Et pourtant ce livre n’est pas une biographie. C’est un essai. Car avec pudeur, Bakary Sakho s’auto-dissèque pour raconter … les autres. L’Afrique. Ses ancêtres africains, cette histoire qu’il porte avec fierté, celle du patrimoine d’un continent lésé et fier, celle des « frères d’armes africains » qui ont combattu pour la France, celle de l’immigration africaine. Un héritage qu’il revendique, pour expliquer cette part en lui qui fait de lui un être entier. Car ce « Je suis » est pluriel. Un pluriel où tout est lié et où tout s’imbrique. Où le don d’un ancêtre africain ayant combattu pour la France permet aux jeunes Français d’origine africaine de redresser leur épine dorsale et de revendiquer leur place naturelle dans la mosaïque française. La France. Ce « Je suis » est écrit en français, car Bakary Sakho l’est. Et cette appartenance à la France est revendiquée comme une part de cette identité multiple, cette autre part de lui qui fait de lui un être entier. Une appartenance à la fois simple et compliquée. Un élément naturel et à la fois réfléchi de son identité. Le pays où il vit, où il travaille, où il prie. Car Bakary Sakho est musulman. L’Islam. Cette autre part de lui, profonde et importante. Cet apport à la construction de son identité. Cette autre part de lui qui fait de lui un être entier. L’être humain est complexe par essence et en explorant les identités de son identité Bakary Sakho trace le portrait d’une France à la fois cachée et visible, complexe et puissante.

RÉFLÉCHIR

Oui, ce livre n’est pas une biographie. Ce livre est un constat. Un constat franc et posé, sans amertume. Un constat qui trouve ses racines dans l’exploration de ces identités. Impossible de rester dans la colère où de se braquer lorsqu’on réfléchit. La réflexion transforme la colère en quelque chose de sain : un enseignement. Et la force de l’esprit rend cet enseignement puissant. J’ai vu dans ces pages une révolte pleine de sagesse. Baraky Sakho ne fait pas oeuvre d’angélisme dans ce livre. Il ne fait pas l’autruche. Mais dépasser la tempête de la colère et de la rage lui permet de faire le bilan. Le constat peut alors être effectué de la meilleure des manières : celle qui permet d’avancer. Oui, dessiner les identités multiples de son identité n’a pas été un simple exercice de style. Bakhary Sakho les a patiemment dressées comme des piliers sur lesquels s’appuyer dans cette quête collective, cette épreuve. Car réfléchir à la condition de l’homme noir en France est la première étape vers une forme d’élévation non pas vers quelque d’autre d’autre, une transformation sociale ou ethnique, mais plutôt comme une élévation de soi. Fierté de ses origines, droits et devoirs envers son pays la France, esprit fort et déterminé façonné par la spiritualité de l’islam : ce sont des clés qu’il a forgées avec sa propre expérience et sa réflexion. Il les met avec bienveillance à disposition de ceux qui n’arrivent pas à ouvrir les cages, portes et autres prisons personnelles qui empêchent d’avancer.

AGIR

Oui c’est un essai, une réflexion. Mais pas seulement. Car ces mots, certes puissants, sont accompagnés d’actions. Les prolongements naturels et nécessaires de ce constat et de cette réflexion. Bakary Sakho encourage les autres à réussir, à participer à leur échelle à la grandeur de la France. D’enrichir de leurs richesses le pays où ils vivent. D’apporter sa pierre à l’édifice. De sortir du « folklore » pour agir concrètement. Et ce ne sont pas que des mots. Bakary Sakho a grandi dans un quartier populaire, dans le 19e arrondissement de Paris. Il se bat à son échelle avec les problèmes de son quartier en agissant par le biais d’associations. Il crée au fil du temps un tissu associatif solide : BGA (Braves Garçons d’Afrique), l’association Meltin’club, l’association LIDEE … C’est la qu’il fonde la maison d’édition Faces Cachées. Le but? Mettre en avant des auteurs aux parcours singuliers et à la plume talentueuse. Innover. Bouger les choses. Donner une plume à ceux qui ont les mots à écrire. Un projet d’utilité sociale et concrète. En créant des vocations, en donnant une image différente des quartiers populaires, en brisant une certaine frontière entre la culture de quartier et une culture littéraire plus intellectuelle, les éditions Face Cachées participent à un processus qui s’amorce depuis l’embrasement des banlieues en 2005 et la mort de Zyed et Bouna. Comme le Bondy Blog par exemple, la maison d’édition Faces Cachées, fait entendre les voix des quartiers populaires. Parce que c’est un constat et une nécessité. Parce qu’il faut parler et agir. Et je crois que c’est aussi ce qui fait la force de ce livre. Il « agit ». 

Le livre « Je suis » de Bakary Sakho est disponible aux éditions Faces cachées

Atika

Retrouvez l’auteure sur son site Kahwa Mon Amour