Roméo Elvis a lâché jeudi une nouvelle vidéo sur YouTube. Pour une fois, ce n’est pas un clip, mais une parodie des plateaux télés français que le rappeur nous propose. Quelques youtubeurs de renom ont donné du leur pour faire vivre le concept : Jérome Niel, Mister V, Baptiste Lorber, Panayotis Pascot (ancien du Quotidien) ainsi que Lorenzo en supplément fromage.

Pendant sept minutes, la fine équipe raille tous les talk-shows : les clichés du rappeur, l’inculture, la condescendance… Qu’on trouve ça drôle ou non, il faut reconnaître que c’est assez jouissif de voir ce type de programme se faire démonter de la sorte avec finesse. Il faut dire que l’histoire entre les rappeurs et ces émissions n’est pas de tout repos. Le résultat est plus souvent catastrophique que bénéfique, pour l’émission comme pour l’artiste. Voici une analyse de 6 problèmes que « Ah t’es là toi » soulève.

 

1. Le cliché du rappeur 



C’est le plus gros et celui sur lequel il y a le plus à dire. Quand un rappeur pointe ses baskets sur un plateau, il est vu comme une bête sauvage sortie de sa tanière découvrant enfin la civilisation.



Ici : Le présentateur tente d’employer un vocabulaire jeune avec le mot « shab », et dégueule son mépris de classe avec « On n’est pas en bas des blocs » qui part du constat que tous les rappeurs ont le même vécu et la même origine. Bon, Roméo Elvis est fils d’artistes reconnus, pas sûr qu’il ait beaucoup traîné au pied des tours. 


Dans la réalité : Dans 100% des cas, l’interview sera agrémentée de quelques clichés bien sentis sur le bling-bling ou sur la couleur de peau. Outre Cauet le spécialiste, Thierry Ardisson a réussi à tous les réunir en une émission. Quand il reçoit Vald dans « Salut les terriens » en 2017, il le présente avec un sarcasme bien à lui : « Vous n’êtes pas vraiment un rappeur comme les autres, vous n’êtes pas Noir, vous ne passez pas vos journées en salle de muscu et vous savez que le verbe croiver n’existe pas ». Voilà comment sont parfois perçus les rappeurs dans l’élite culturelle. Avant de poursuivre sa description par une anecdote plutôt atypique : « A neuf ans vous découvrez votre première « Teuch ». Cet argot doit sûrement apporter une valeur ajoutée au discours de notre cher Thierry. Ça ferait mauvais genre d’employer des mots grossiers devant un philosophe ou un écrivain, mais quand ils s’adressent à un rappeur, les présentateurs peuvent se lâcher.

2. Le cliché du Belge

Le marché français est une aubaine pour les artistes belges. C’est plus grand et il y a donc plus d’argent à se faire. Problème, il va falloir se coltiner les blagues sur les Belges par des Français beaufs. 


Ici : Le « vous êtes Belge » du présentateur suivi des rires non dissimulés du public. Ainsi que l’éternelle croyance que les Belges sont fanatiques des frites au point de lui en faire bouffer en direct sur le plateau.



En réalité : Pas vraiment d’exemple, les rappeurs belges n’ayant jamais été invités jusqu’alors sur ce type de média français. Roméo anticipe juste ce qu’il se passera le jour où un Belge sera invité chez Cyril Hanouna.

3. L’invité qui ne peut pas en placer une



Ici : Le trait est bien sûr grossi. Roméo Elvis ne peut pas dire un mot et quand il essaye de développer sa pensée face au chroniqueur insupportable, c’est peine perdue tant son interlocuteur est sûr de son fait : « Si si vous aimez Yves Montand ! ». Roméo est relégué dans le public et n’a plus le droit à la parole sitôt qu’un invité supposément plus important fait son apparition.

En réalité : Si sur 2h30 d’émissions, les rappeurs invités ont le droit à plus de 10 minutes de parole, c’est un miracle. Vald toujours s’en plaignait récemment : « Je déteste la télé. C’est quatre heures de tournage pour six minutes d’interview, j’ai grave la haine ». La faute à des éditorialistes qui aiment s’écouter parler, faisant de longues tirades pour se répéter ou divaguer. Et au montage qui au final ne garde qu’une partie des réponses de l’artiste, travestissant la vérité. La production va mettre en avant les passages les plus alléchants, sans que ceux-ci soient contextualisés. Rien à faire de ne pas montrer l’artiste sous son meilleur angle, au contraire.

4. Le chroniqueur inculte

Ici : Campé par Panayotis, il comble son incompétence sur la musique de l’invité par une tentative d’explication philosophique ou sociologique d’une œuvre, en balisant très large. Son interprétation est forcément géniale et juste. En plus, il se permet d’être subversif en disant que c’est de la merde. Quelle audace !

En réalité : Christine Angot, Eric Zemmour.. La liste est longue, mais on va choisir notre ami Yann Moix lorsque Nekfeu est l’invité de « On n’est pas couché » en 2015. Le chroniqueur se lance dans un monologue grandiloquent pour déverser sa haine envers le fennec. Même ses collègues trouvent qu’il abuse, c’est dire.

5. L’autre chroniqueur inculte

Parce qu’ils fonctionnent par pair comme Starsky & Hutch ou Charly & Lulu.

Ici : Il veut être positif, mais s’enfonce en confondant tous les rappeurs. Pour finalement ne pas aimer l’artiste.

En réalité : Globalement, il a tout juste écouté le titre le plus connu du rappeur et choppé un extrait d’interview hors contexte pour faire polémique. Le problème est surtout qu’il ne comprend pas les codes et l’imagerie du rap. Prenons le passage de Mister You à On n’est pas couché en 2011. Dans « La mouche » , il rappe naïvement : « J’résiste j’suis qu’un tirailleur ». Audrey Pulvar a cru bon d’extrapoler le propos et lui demande d’un ton inquisiteur : « Vous estimez que le combat que vous menez aujourd’hui est le même que celui que les tirailleurs ont mené pendant la seconde guerre mondiale ? » Elle l’emmène sur le terrain politique dans lequel il est loin d’être à l’aise alors qu’il s’agit juste d’une métaphore guerrière basique.

6. L’humour et les jeux à la con

Ici : Jérome Niel nous montre que les rappeurs sont rarement maîtres de leur destin quand le présentateur veut mettre un peu de piquant dans son émission. Roméo Elvis se voit contraint de bouffer des frites, jouer de la guitare et prendre une branlée au basket. L »invité ne peut que subir l’humiliation.


En réalité : Les blagues potaches et souvent à côté de la plaque sont légion. Pour revenir très loin en arrière, Fabe était allé jusqu’à quitter le plateau de Nagui en 1995, vexé par la caricature faites du rap par un chevelu québécois. Dans Bienvenue chez Cauet, La Fouine s’est fait clasher par un nabot qui tente de faire un sketch. A Touche pas à mon poste, tu peux parler de ton album deux minutes, mais sache qu’après baba va t’inviter a faire un strip-tease ou te défier au ping-pong. Il vaut mieux jouer le jeu, sinon tu peux vite passer pour quelqu’un de hautain. Ça donne des séquences parfois drôles, souvent inutiles, où le rappeur se transforme en animateur. Avec le très bon public Gradur, ça débouche sur un moment improbable.

BONUS

Rassurez-vous, la Belgique est épargnée puisqu’on ne voit tout simplement pas les rappeurs à la télé. Heureusement, Le grand Cactus et Jérome de Warzee sont là pour faire vivre le rap à travers leur parodie. On prévient, c’est extrêmement gênant.

Simon Virot