The Wire est aujourd’hui reconnue comme une des meilleurs séries de tous les temps et pour beaucoup comme la fiction qui a su décrire le mieux les dérives du système américain vis à vis des quartiers pauvres. L’œuvre étant encore plus remarquable sociologiquement que cinématographiquement. Mais pourquoi je vous parle de ça alors que je m’apprête à décrypter « The Corner » ? Car l’histoire de ces deux séries est intiment liée et « The Corner » se trouve être le laboratoire du chef d’œuvre cité précédemment.

The Corner : un travail documentaire

Tout commence quand David Simon, journaliste au Baltimore Sun, rencontre l’ancien policier Ed Burns. Ce dernier s’est alors reconverti dans l’enseignement au cœur des quartiers défavorisés de Baltimore, une des villes les plus meurtrières des États-Unis.  Ensemble, ils décident d’écrire le bouquin The Corner: A Year in the Life of an Inner-City Neighborhood. Publié en 1997, il s’agit d’un véritable travail documentaire, croisé avec des histoires romancées, qui s’attache à suivre différents protagonistes dans leur quotidien au coin des rues malfamées de la ville.

Un livre qui est vite adapté en une mini-série de six épisodes en 2000. Novice en matière de cinéma, David Simon prend les manettes et va filmer sa fiction tel un documentaire, très proche de ses personnages, comme si un reporter tenait la caméra (en POV en gros 🙂 ). C’est d’ailleurs le fil rouge de la série, les protagonistes répondent fréquemment face caméra à un journaliste qui enquête sur le quartier. C’est le reflet du travail effectué quelques années plus tôt par les deux écrivains.

The Corner
The Wire, série culte créée David Simon

The Corner est un regard porté sur les oubliés parmi les oubliés. Les dealers sont mis en avant dans bien des œuvres, les flics encore plus, mais a t-on déjà eu des drogués comme héros ? On peut citer le renommé Requiem for a dream ou l’excellent Gridlock’d (avec Tupac), mais aucun ne propose une analyse sociologique décrivant ce triste microcosme dans son ensemble.

Les dope fiends (camés) dans leur intimité

Attentif aux alentours, Gary, Fran et DeAndre arpentent les rues décrépites de leur quartier avec habitude, en recherche constante. Pour certains, c’est celle de la pilule la plus planante, pour d’autres celle du client ou du type qui va vous poignarder dans le dos. Trois membres d’une même famille qui ont vu leur relation dépérir à cause de la drogue, piégés par la rue et le système américain.

Tout au long de la série, les « dope fiends » sont dépeints dans leur intimité : leurs moments de rires, de plaisirs simples, mais aussi leur questionnement constant sur leur condition. Cependant, quand ils déambulent dans les rues, ils ne sont plus que des fantômes. A la fin de la journée, la substance euphorisante doit être injectée coûte que coûte. S’il faut voler son propre fils, chiner de la ferraille à l’autre bout de la ville, se servir au cimetière, les protagonistes de ce drame social le feront. A travers différents flashbacks, on comprend pourquoi et comment ces gens en sont arrivés là. Quand on aspire à s’en sortir mais que l’on reproduit le même schéma destructeur, la culpabilité prend le dessus. Surtout quand nos actes touchent nos proches.

Fran, la mère, est tombée très tôt dans la drogue et tente de faire marcher droit ses enfants malgré son addiction. Le père Gary a quitté le foyer il y a bien longtemps. Le pas pressé, il erre dans les rues à la recherche d’une dose, se faisant bien souvent arnaquer, trop naïf pour ce milieu. A 15 ans, le fils DeAndre alterne entre deal au coin de la rue et petits jobs précaires.

Et puis, il y a tous les autres. Comme dans The Wire, David Simon croise les destins d’une multitude de personnages au parcours sinueux pour créer une véritable fresque sociale. Une œuvre qui introduit le brillant parcours du réalisateur, et qui résonne encore plus fort quand on sait que The Corner est tiré d’une histoire vraie. Fran, Gary, DeAndre et Tyreeka (la copine de DeAndre) ont bien connu cette vie dans les tréfonds de Baltimore, et apparaissent après le dénouement de la série pour apporter la force de leur témoignage. Une réalité qui dépasse malheureusement la fiction, puisque le vrai DeAndre McCullough (qui a eu un rôle plus tard dans The Wire) est décédé des suites d’une overdose en 2012.

Pas d’excuse pour ne pas mater la série puisqu’elle est disponible en intégralité sur youtube en version originale sous-titrée. Les six épisodes. Régalez-vous.

Simon Virot