Rocé est un vieux briscard du rap français. Son flow clair et incisif, son regard sombre et perçant en ont fait une référence incontournable du genre. Si on devait le catégoriser, il serait dans la case «rap conscient », celui qui tient un discours qui s’adresse à la raison, qui sort l’auditeur d’une torpeur habituée au divertissement. Mais Rocé, c’est avant tout une plume inspirée qui a su s’immerger avec brio dans la poésie et le jazz. Après avoir sorti quatre albums , il est allé compulser dans les vinyles des chants de révolte des années 60 et 80 avec la compilation « Par les damné.e.s de la terre » interprétée par des artistes issues des anciennes colonies.

Né en Algérie, Rocé est le fils du militant anticolonialiste Adolfo Kaminsky connu pour avoir combattu la France de Vichy et fabriqué des faux papiers pendant et après la Libération. Pas étonnant que sa conscience politique fut stimulée dès son plus jeune âge et qu’il sera témoin des contrastes idéologiques en ayant eu une éducation scolaire « à la française » où on retient la date de naissance d’un roi mais pas celle d’un serf.

Il commence le rap en posant sur les disques de confrères, notamment Mafia K’1Fry. En 2002, il sort sa première galette :« Top Départ ». Vêtu de pied en cap en superman sur un BMX dans un clip réalisé par Kourtrajmé, il annonce avec humour et sincérité : «  j’aimerai changer le monde». Changer le monde, cela passe par une connaissance de son histoire, celle d’un pays colonial où « on chante la France » malgré que « le secret et la censure créent un long silence » mais où les gens se résignent car « on les habitue, c’est tout ».

Son dernier album était « Gunz n’Rocé » en 2013 où sa verve demeurait intacte. Sur « Habitus », Rocé fait référence au concept du sociologue Pierre Bourdieu , le fait que notre environnement nous influence dans notre comportement et élocution et qu’en fonction de ce qui est valorisé par une élite, certains se retrouveront plus adaptés à un système ou à une culture.

Le rap a souvent été un moyen de dénoncer des réalités sociales. Avec la compilation « Par les damné.e.s de la terre », il entend redonner la voix à celles et ceux qui ont chanté les révoltes bien avant l’avènement du rap. Composé d’un livret, ce travail monumental est une manière de prendre conscience et de renouer avec certaines identités souvent oubliées. Rencontre avec un personnage consistant avec qui nous avons abordé des sujets divers tels que l’industrie du disque, les luttes des anciens, le rap et son évolution générationnelle.

Bruno Belinski