Une adolescence marquée par les repas de Coluche, Tito Prince n’avait pas l’âme intérieure dans son assiette. Depuis, le Petit prince du Hood a fait du chemin. L’Essonnien est là « pour tout changer ». Son nouvel EP gratuit « Les prémices de Toti Nation », disponible depuis le 24 octobre, comptabilise plus de 50 000 téléchargements. Alohanews est parti à la rencontre de la pépite du 91.

Les titres de l’EP gratuit « Les prémices de ToTi Nation » ont la gueule des morceaux d’album. Pourquoi avoir opté pour un EP au lieu de balancer l’album directement ? 

J’ai annoncé la sortie de « ToTi Nation » au public fin de l’année dernière en sortant « Godson Power ». Ensuite, on a enchainé avec « Boy Different », mais je voulais encore peaufiner l’opus. Entre temps, j’ai voulu produire, à mes propres frais, un EP gratuit destiné au public. Je l’ai intitulé « Les prémices de ToTi Nation », une rampe de lancement avant de monter à bord de l’album. Avec cet EP, j’ai réellement la volonté de proposer quelque chose de qualitatif. Semer des graines fertiles pour qu’il n’y ait pas de fruits pourris qui poussent par la suite en quelque sorte ! (Rires)

« J’enchaine les hits jusqu’à ce que mes marcels soient jaunes ou gris ». Productivité pour maitre mot ?

Depuis 2011, je sors un projet par an ou, en tout cas, des clips annoncant quelque chose. Le concept des mixtapes gratuites, également, me correspond très bien. Ça me permet d’être productif et de proposer du nouveau aussi à des personnes qui n’ont pas forcément le budget…ou qui sont simplement des crevards (Rires)…Il faut qu’ils entendent ce que j’ai à leur dire même s’ils ont des crochets à la place des mains (Rires). Par la suite, en se rendant compte que c’est une musique aboutie et travaillée, ils pourront devenir de potentiels acheteurs.

Penses-tu qu’il y a une différence entre un hit et un classique ? Lequel préfèrerais-tu réaliser? 

Le classique est défini par la base, le noyau dur du rap. La radio ou la télévision font en sorte qu’un morceau devienne un hit. Toutefois, un hit peut devenir un classique. Un morceau comme « Change is gonna come » de Sam Cooke en est un par exemple. L’artiste ressent également le tube lors de la composition du titre. Et puis, la manière dont un titre vieillit rentre en compte dans la définition d’un classique. Pour moi, « Godson Power » est un classique puisqu’il se maintient depuis un an.

Dans le morceau « Reconnaissance », tu dis qu’il te manquait un petit quelque chose pour être complet rapologiquement parlant…

Pas rapologiquement parlant. Tout est question d’état d’esprit à adopter. Dans le troisième couplet, j’explique mon retour vers la foi en Dieu. Cela m’a permis d’avoir une nouvelle gamberge. Celle de ne jamais baisser les bras et de croire en ses projets. Les artistes qui se trouvent au panthéon ont compris que tout se gagne dans l’esprit. Certains choisissent le bon, d’autres le mauvais. Evidemment, j’ai choisi le bon (Rires). En tout cas, à l’époque, je ne pouvais pas réaliser de grandes choses. Cette maturité m’a permis de me connaître et de savoir où j’allais exceller. Il fallait faire l’inventaire de sa personne. J’ai un recul aujourd’hui.

Des personnes confirmées t’ont validé telles qu’Ol Kainry, Manu Key de la Mafia K’1 Fry etc. Tu as vu le rapgame de fond en comble. Quel apprentissage tires-tu pour avancer sereinement ? 

Les auditeurs n’entendent que la musique, le produit fini. Ils ne connaissent pas les causes d’un tel morceau ou dans quelle direction les artistes veulent les emmener, etc. Bref, personne ne voit la difficulté de faire de la musique en coulisses.

As-tu un exemple ?

Les auditeurs se demandent souvent pourquoi un tel morceau ne passe pas en radio. Il existe un copinage dans le milieu de la musique. Malheureusement, le cercle est restreint et ils ne veulent pas l’élargir. Aux États-Unis, par exemple, le game est détenu de plus en plus par ceux qui le font. En France, on ne veut surtout pas ouvrir les portes de peur de perdre la mainmise de cette sphère. Il ne suffit pas de faire de la bonne musique. Parfois, lorsque tu es différent, on rechigne à te diffuser. J’étais content de voir mon titre « Boy Different » passer à la télévision. C’était une première sur M6. Ça a mis du temps, mais on finira par y arriver.

Les rappeurs font de la musique comme s’ils faisaient de la politique

Qu’est-ce que tu penses du patrimoine du rap en terme d’histoire et de documentation ?

C’est vrai qu’on manque cruellement de documentaires ou de livres sur le rap. Il y a quelques vidéos disponibles sur YouTube où on voit Joey Starr et Kool Shen en train de breaker. Le documentaire de la Mafia K’1 Fry, c’est tout. À l’époque, les gens prenaient des initiatives et étaient productifs. Kenzy du Secteur Ä, par exemple, avait un label et faisait son truc. Plusieurs acteurs du milieu prenaient des initiatives. Ce bouillonnement artistique a été dissous. Beaucoup n’ont malheureusement pas été au bout de leur combat.

La France se caractérise par son étroitesse d’esprit. Il faut faire son truc tout seul et puis les choses vont s’imposer d’elles-mêmes. Lorsque je dis ça, je pense à Dawala et de son label Wati-b. Il s’est fait tout seul et devient un acteur incontournable aujourd’hui. Si tu deviens indispensable, on t’aime ou on ne t’aime pas, on comptera sur toi. En tout cas, c’est ma vision des choses.

Tu rappes « Je veux récupérer les maisons de disque et virer tous ces coaches ».

(Il coupe) Je viens récupérer le monde du disque.

Ah, du coup ma question…

Est moins « clashante » (Rires) ! Ça rejoint un petit peu ce que je disais. J’essaye d’apporter un rap différent avec un message positif, car la musique a une influence sur les auditeurs. On s’inspire des films ou du rap. Il est effarant de constater que la plupart des rappeurs font de la musique comme s’ils faisaient de la politique. C’est ce que je veux changer. Personne n’arrêtera mes objectifs. Tu ne peux pas buter un « Godson » !

Tu parles des rappeurs qui font l’apologie de la rue comme s’ils faisaient de la politique. Se proclamer de la rue n’est pas de vouloir s’en sortir par la débrouillardise au lieu de glorifier la misère ?

Au quartier, beaucoup parlent et n’agissent pas. Agir, c’est tendre à savoir comment et pourquoi dans la vie. Je prends l’histoire de la drogue. Aux États-Unis, celle-ci est entrée dans les quartiers des Black Panthers pour les désorganiser. Soit en les endormant dans la fumette, soit en les emprisonnant par la vente, soit en les faisant mourir avec l’overdose du crack. Le mouvement puissant pour leur liberté a été détruit par ceux qui ont amené la drogue. Les corruptibles ont fait le sale boulot en endormant tout le monde. Si je transpose cette histoire aujourd’hui, j’aurais été un corruptible en faisant l’apologie de la vente de la drogue à mes fins égoïstes. Je ne serai pas différent d’un politicien ou d’un président véreux d’Afrique qui récolte l’argent au détriment du peuple et des droits. C’est pour cela que je dis que certains rappeurs font un travail de politicien. Gouverner en terrassant les autres. Ils se trompent de combat totalement pour moi. On ne regarde pas la genèse de certains phénomènes. Les artistes urbains sont un petit peu les porte-paroles et doivent expliquer que pour qu’il y ait des riches, il faut qu’il y ait des pauvres. Pour appauvrir la majorité, il faut les mettre dans un système d’inertie. On nous endort avec 800 euros par mois et on s’habitue à cette ghettoïsation sans accès à un système d’éducation de qualité, à des perspectives d’avenir, etc. Pour surplomber le tout, les rappeurs célèbrent cette situation sans donner les clés de compréhension de la situation. Je ne veux pas faire partie de cette catégorie.

Une info croustillante sur l’album ?

Un titre de l’album dresse le constat de tout ce dont on vient de parler. Même Claire Chazal va m’appeler tellement le morceau est réel ! On en reparlera lors d’une prochaine rencontre !

Question primordiale : où est passée la paire de lunettes avec un seul verre arborée dans différents clips ? 

Personne ne m’a posé cette question dans les médias ! En ce qui concerne la paire, je me suis inspiré de Ol Dirty Bastard. Il avait une paire avec un seul verre dans ses clips.

Ce n’était donc pas une question de galère de paire de lunettes…

Capture d’écran 2014-11-25 à 13.41.48Non (Rires). À vrai dire, la paire s’est cassée et je n’ai pas su recoller le verre. Ensuite, je me suis regardé dans le miroir et me suis dit « Non, mais attends…c’est hyper lourd ça » ! C’est comme ça que j’ai intégré l’accessoire dans mes clips. Ensuite, certains ont donné des significations rocambolesques à ce délire. J’avais une punchline qui disait « Je regarde la vie que d’un œil maintenant, pour moins les choquer ». Une métaphore pour dire que si je voyais la vie des deux yeux, j’allais dire trop de trucs qui feraient frissonner les auditeurs. Pour éviter toute polémique, j’ai arrêté de les mettre.

Un dernier mot pour Alohanews ?  

Les questions sont très pertinentes. Nous sommes partis sur des sujets sur lesquels je ne me suis jamais exprimé. Continuez à me suivre et n’hésitez pas à télécharger le EP gratuit désormais en ligne !

Propos recueillis par Nikita Imambajev

Pour télécharger l’EP gratuit cliquez ici