Sans vouloir énoncer un constat d’un banal affligeant, force est de constater qu’aujourd’hui, ce qui est consensuel est subversif. L’unité dérange, car plus on se rassemble, moins on accepte la domination.


Avec cette pensée en tête, une citation du grand Bukowski s’est pavanée dans mon esprit. « J’ai un projet, c’est de devenir fou », disait-il. Après tout pourquoi pas ? Vu que ce monde semble avoir épousé la déraison ? Le diagnostic est clair : la folie gangrène notre réalité. Ma réalité. Elle me heurte, me pousse à devenir ce que je ne suis pas, à outrepasser mon intégrité.

Cependant, rien de plus simple que de crier sur le toit du monde : « l’enfer c’est les autres ». Après s’être lamenté sur le monde, celui-ci s’offre un tour de manège de jugement. Et figurez-vous que mon propre état n’a rien de ravissant. Quand le regard de l’Autre n’est plus, on se retrouve seul dans notre jardin secret, là où fleurissent nos hontes épineuses et inavouées.

Le monde, aussi immonde soit-il, a encore de beaux jours devant lui. Les miens, par contre, sont comptés. « Hier, j’étais intelligent, et je voulais changer le monde, aujourd’hui je suis sage et je veux me changer moi-même ». En d’autres termes, comme par analogie, c’est avec le changement du dedans que l’on pourra toucher le cœur des autres. Ca me rappelle une histoire du noble Al-Hassan âl-Basrî, vis-à-vis des esclaves de Bassora :

Un jour, Al-Hassan âl-Basrî reçut la visite de nombreux esclaves. Ils demandèrent au savant que celui-ci effectue un prêche sur leur affranchissement, car les maitres manquaient de clémence envers eux. Il leur promit de le faire. Des vendredis sont passés sans que Al-Hassan âl-Basri ne le fasse. Puis, un jour enfin, il fit ce sermon et appela l’auditoire à libérer ses esclaves. Chaque fidèle ayant entendu ce discours laissa partir ses captifs. Une fois libérés, les esclaves, interloqués, retournèrent chez l’érudit : « pourquoi avoir pris tant de temps avant de faire l’annonce de l’affranchissement ? », demandèrent les hommes désormais libres. Sa réponse fut une surprise. « Ce qui m’a retardé, dit-il, c’est que je n’avais pas d’esclaves ni de quoi en acheter un. Lorsque Dieu m’a accordé un peu d’argent, j’ai acheté un esclave et je l’ai affranchi. Ainsi, lorsque j’ai appelé les gens à affranchir leurs esclaves dans mon sermon, leurs cœurs étaient ouverts à ma parole, car j’avais appliqué en premier lieu ce que je demandais à autrui ».

Ma conclusion est celle-ci : il n’y a que de l’intérieur qu’une âme sincère et intègre peut aspirer à la paix. La réforme est en nous-mêmes.

 

Nikita IMAMBAJEV