« Si je perdais ma bibliothèque, j’aurais toujours le métro. Un billet le matin, un billet le soir et je lirais les visages. » Merci à Marcel Jouhandeau. Pour ma part, j’attends avidement sur le quai.

Les métros passent. L’un après l’autre. Je les observe tout en écoutant du Chopin. Les gens marchent sur le rythme des notes de piano. C’est amusant. Je décèle une délicatesse dans cette frénésie humaine. Inconscients, ils dansent pour mon plus grand plaisir. J’applaudis discrètement. Trêves de plaisanteries. Je retire mes écouteurs. Le bruit assez stressant d’une société consumériste peut s’avérer enrichissant. Les fourmis se hâtent. Je ne puis m’empêcher de scruter chaque passant. Chaque regard. Chaque singularité. C’est hallucinant, nous sommes à la fois si semblables et si différents. L’hétérogénéité descend des escaliers. La petite lumière rouge annonce le prochain métro. Ils attendent.

Ils portent tous un masque, mais curieux comme je suis, je tente inlassablement de les démasquer l’un après l’autre. Lui, il semble être malheureux. Peut-être vient-il tout juste d’apprendre une mauvaise nouvelle. Elle, on lit dans ses yeux une joie profonde. Elle sourit. C’est rare dans ces souterrains obscurs. Sûrement la cause d’un message envoyé par son Roméo (ou sa Juliette). Elle nous offre un peu de lumière. J’échafaude des histoires. Comme un scénariste, je délègue des rôles à ces nombreux inconnus, je les imagine jouer mon scénario. Action. Coupé par la voix qui annonce des retards. J’aime ces imprévus qui font souffler les impatients. Mais ce qui me plaît par-dessus tout dans cette station, c’est le brassage des couleurs, la confusion des statuts et l’imbroglio des trajectoires. Ici, l’Asie patiente à côté de l’Afrique qui discute au téléphone, quand soudain l’Europe pressée bouscule l’Amérique latine. Les excuses s’échangent d’un simple geste de la tête. C’est la langue des transports en commun. Peu de mots. Beaucoup d’attitude. On y voit aussi l’homme d’affaires tiré à quatre épingles passer à quelques centimètres de l’éboueur rêveur. Des étudiants, poussés par l’adrénaline naïve, jouent sur le bord du quai. Le danger ne semble pas intéresser l’inconscience juvénile. Plus loin, j’aperçois une femme enceinte qui semble perdue dans ses songes. Est-ce une fille ou un garçon ? C’est probablement la question que ce sans-abri se pose aussi, il s’approche d’elle. Personne ne le regarde. Elle lui tend un croissant. La chaleur du matin. Je sens l’odeur de cette viennoiserie généreuse. C’est agréable. J’ai un petit creux maintenant.

Une lampe clignote. J’entends une anomalie sonore. Un homme tente de se noyer dans sa bouteille. Il chante. Apparemment, la nuit devait être arrosée. Tout le monde le regarde du coin de l’œil. Interloqués, ils jugent cet individu et ses écarts à la norme. Les paroles d’une chanson résonnent dans les murs. Du Jacques Brel. « … Et sur l’impériale. Le cœur dans les étoiles. Il y avait mon grand-père. Il y avait ma grand-mère. Il était militaire. Elle était fonctionnaire. Il pensait pas elle pensait rien. Et on voudrait que je sois malin… » Cet alcoolique a du goût. Le métro approche. Les foules se rapprochent. La tête dans les nuages, les mains dans les poches. Un couple s’embrasse. Les quotidiens s’enlacent, le temps passe. Je reste là. J’admire la beauté de ma ville. Bruxelles semble immobile. Ceux qui pensent que le multiculturalisme est impossible devraient venir s’asseoir à ma place. Bienvenue à Arts-Loi.

Maroan

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