Sur Twitter, un assistant-professeur de psychologie à l’Université de Princeton dans le New Jersey, Johannes Haushofer, a publié le « CV de ses échecs » où il y décrit l’ensemble des programmes et positions académiques qu’il n’a pu intégrer au cours de sa carrière ou encore les lettres de refus des publications proposées aux journaux académiques. Plutôt curieux, non ? Et pourtant.

Cette démarche a ceci de particulier que dans une perspective moderne et traditionnelle, il ne viendrait pas à l’esprit d’une personne à la recherche d’un emploi, l’idée de soumettre à son futur employeur un CV témoignant de ses échecs. Et c’est même tout le contraire : nous passons notre temps à l’embellir, à faire notre éloge à la réussite en arborant avec fierté nos expériences réussies, nos mentions obtenues à l’Université, les notes détaillées de chaque cursus et bien d’autres de nos trophées personnels.

Dans une société où l’on veut constamment mettre en avant nos réussites, nos références et nos notes, on finit par se définir et à se montrer uniquement par le biais de ce que l’on accomplit sans embûches. L’être humain devient un « personnage noté » réduit à une classification selon des nombres et des scores, de la maternelle aux bancs de l’Université jusqu’aux multiples tests d’aptitude en tout genre. L’éloge de la réussite revient à mettre à l’ombre les « ratés » de la vie dont certains vont se servir pour s’embellir d’un égo de supériorité, voire d’arrogance dans ce qu’il y a de plus sombre chez l’être humain.

Et pourtant. Et si l’être humain n’était valorisé qu’à la lumière de ses échecs ? Et si les « ratés » prenaient leur revanche en élaborant une échelle nouvelle de « réussite ». Et si après le « je pense donc je suis », on pensait un « je suis parce que je n’y suis pas arrivé/j’ai essayé ». Nous sommes, car à un moment donné, nous avons dû apprendre que l’on ne pouvait pas toujours tout réussir et pourtant y arriver quand même. Y arriver autrement, y arriver en développant sa capacité d’endurance et de patience, y arriver en parcourant d’autres schémas que les grilles d’évaluations toutes faites et impersonnelles que l’on nous applique sans différence, pourtant tous différents.

Qu’apprend-on réellement de ses échecs ? Quelles sont les capacités et valeurs développées, tant émotionnelles que physiques ? Quels sont les systèmes D créatifs et spontanés que nous avons dû mettre en route pour pouvoir nous dépasser ou encore accepter que le chemin traditionnel ne fût sans doute pas taillé sur mesure de nos personnalités très distinctes ? Se penser dans son propre monde plus que dans un monde unique.

Très vite, les réactions sur Twitter n’ont pas tardé à se faire entendre. Globalement toutes positives, elles repensent un monde où l’être humain se définit souvent en comparaison à l’Autre. Se voir face à un miroir qui nous reflète une réussite parfaite peut susciter de la jalousie, de l’envie ou encore un sentiment d’incapacité et d’infériorité. Pourtant, de l’autre côté du miroir, parce que la réussite est plus visible que les échecs, mais non moins réels ou impactant, les êtres humains se ressemblent plus qu’ils ne le pensent.

Se penser dans son propre monde plus que dans un monde unique

Et si l’échec fédérait plus que la réussite ? Et si vivre en communauté, c’est admettre que l’échec fait de nous un être plus humble, plus construit, plus respectueux des valeurs et de l’autre ? Et si l’échec détruisait l’égo construit comme un mur entre celui qui a réussi et celui qui n’a pas (encore) pu atteindre ses objectifs ? Et si pour être, il fallait d’abord se rater et faire l’éloge de ce nous sommes devenus par l’échec plus que par la réussite ?

Bahija Abbouz