À l’âge de neuf ans, j’ai commencé à découvrir l’importance qu’avait et qu’aurait mon corps aux yeux des autres mais aussi à mes yeux. Ou peut-être même dès l’âge de trois ans, quand on nous comparait déjà dans le berceau. Mais à neuf ans c’est sûr, les jugements avaient bel et bien commencé entre mes camarades et moi.

« Fils de fer » pour les cheveux volumineux, vampire pour la carnation trop claire, et plus fréquemment « moche » pour décrire le tout. Descriptif que des garçons et des filles se donnaient à coeur joie de répéter plusieurs fois par jour.

Je termine la dernière page du livre Beauté Fatale écrit par Mona Chollet, et j’entends encore les rires et les railleries des bouches cinglantes et naïves. Et mon corps et mes yeux ne devenaient plus qu’un champ de batailles teinté par les couleurs de leurs orbites.

Puis, les années ont passé, et les regards avec. L’âge « ingrat » s’est  éloigné et les traits affinés, je devenais en l’espace d’une année seulement plus socialisable. Plus appréciable. Je devenais fréquentable.

C’est un peu comme un choc thermique, quand les regards d’hier s’opposent aussi brutalement aux regards d’aujourd’hui. C’est un peu comme si mon corps était entre leurs yeux, car il faut dire que trop rarement, je me suis vue avec les miens. Depuis cette année  de choc thermique, je décidai donc de créer mon propre regard en me faisant la promesse de réaliser quelque chose de grand, de tellement remarquable et grand qu’il ferait tout oublier sur son passage, y compris mon visage, beau ou laid selon les époques et les pupilles.

Je lisais beaucoup, des piles de livres dont  je parlais durant des heures pendant mes cours d’histoire-géo avec Maya, qui elle aussi lisait des piles de livres pour peut-être, se créer son propre regard.

Mais voilà. Une poignée d’années ont défilé depuis, et j’oublie parfois, trop souvent, cette promesse de m’offrir un regard à moi, un regard sur moi.

Entre haine et rejet, nos corps ne savent plus trop où ils en sont.

J’aimerais leur dire qu’ils sont ce qu’ils sont et ce qu’ils ont toujours été : les refuges de nos âmes.

J’aimerais dire aux vôtres, pâtissant des diktats du papier glacé, de ne pas s’en faire , car si le papier se jette aux ordures, l’encre de nos yeux est éternel.

J’aimerais te dire à toi qui ne vois en ton corps qu’une pâte à modeler, que la beauté se trouve dans ta naturelle singularité.

J’aimerais nous dire à toutes (et à tous d’ailleurs), que si les regards se font trop lourds, trop pesants sur nos corps imparfaits, c’est qu’ont le permet.

Je voudrais nous pardonner de croire souvent que ces visages, ces ventres ou ces fesses ne sont que des éventails ou des échecs.

Notre syndrome de Stockholm, c’est notre prise en otage  par les poudres et les rouges, que nous finissons par vénérer.

J’aimerais dire à toutes celles et ceux dont le corps est devenu leur fardeau, leur mort et leur vie, que cette beauté qui leur coute leur joie et  leur santé, est aussi laide que l’époque à laquelle on vit. À ces petites de seize ans ou moins qui tremblent déjà de frayeur en voyant apparaître les prémices  de  leurs courbes féminines, j’aimerais leur dire de réaliser quelque chose de grand. Que c’est possible. Et que si les petits ont décidé de vendre au rabais leur image et leur estime, il reste encore des regards honnêtes et bienveillants qui s’illuminent.

Alors je prierai pour que nos regards les défient. Je prierai pour que nos regards se mettent à nous aimer. J’aimerais nous dire de nous aimer. Car à bien y penser, c’est aussi cela,  réaliser quelque chose de vraiment grand, quelque chose de remarquable et grand.

Leïla Alaouf