Le mémorial de l’atrocité. Les expositions d’une époque bafouée. L’on perçoit nos silhouettes au travers le reflet d’une glace, surpris à contempler des publicités de métros, des affiches hautement perchées, des monuments, des édifices spécialement dédiés à ces périodes de l’Histoire. Commence ainsi le rituel de mémoire. Tout petit déjà, dans les classes de primaires, nos regards rivés vers le tableau, ce professeur nous contant les anciennes pénuries de dignité humaine, les anciennes atrocités sans nom.

Ainsi commencèrent les interrogations qui ne trouveront probablement jamais de réponses aussi claires et concises que nos questionnements même. Pourquoi? Comment? Comment l’humanité a-t-elle pu en arriver là? Mon petit cerveau, déjà bien entériné de réflexion, se demandait « pourquoi ? ». Beaucoup trop jeune, pour en comprendre la portée. Beaucoup trop jeune, pour saisir l’immensité des enjeux.

Nous projeter dans le passé nous fait croire que de ces histoires nous avons évolué, que de ces atrocités nous nous sommes éloignées. Ces devoirs de mémoires plantent en nous ces fumeuses idées selon lesquelles le peuple actuel serait plus évolué que les peuples d’autrefois. On se personnifie comme étant les spectateurs différés d’une époque lointaine qui ne nous touchera plus, une époque lointaine que l’on est capable de comprendre.

« Connaître l’Histoire, c’est éviter qu’elle ne se répète », nous enseigne-t-on. Et pendant ce temps où l’on tape sur le passé, sur ces personnes coupables, mortes enterrées, apprenons-nous vraiment de leurs erreurs ? De leurs conquêtes de pouvoirs? Apprenons-nous vraiment la souffrance des victimes, les larmes de guerres, le « souffle-douleur » de ces personnes torturées par une poignée d’hommes?

Ce rituel de mémoire n’est que bande blanche sur vues, bande blanche sur consciences. Ce devoir nous fait faux bond, nous fait faussement croire que l’on est capable de l’éviter. Flash-back sur un écran blanc, qui devient noir d’histoires aussi divergentes que spectaculaires. J’enlève ce bandeau. Je mets sur pause et regarde ce rituel.

Je contemple le monde que nos heures vivent, l’Histoire qui prend vie au rythme de nos souffles, que l’on foule au rythme de nos pas. L’Histoire que je contemple c’est l’Histoire d’hier sous différentes formes, différentes versions, camouflée, entérinée, mais toujours cette même logique qui se dessine comme une lueur qui n’a jamais quitté nos paysages. L’histoire est un éternel recommencement.

Bandeau sur la table, je lis, je regarde, je me tais et fais le constat d’une époque bafouée par des droits qui ne servent que maints intérêts, aussi vils que voraces. Toutes les guerres, toutes ces atrocités, ne sont jamais commises au nom d’une race. Qui peut encore le croire? L’économie fait défaut, le droit la surprotège et pendant ce temps, on pleure des personnes disparues, on personnifie une douleur que l’on n’est pas capable de ressentir. Et pendant ce temps, on meurt.

Et s’il devait exister une hiérarchie des souffrances, je voudrais qu’elle soit temporelle, je veux que les souffrances de nos jours passent au-devant des scènes. Devoir d’actualité. Devoir de citoyens contemporains. Loin de nous ce devoir de mémoire qui s’accompagne d’une culpabilité ou d’une pitié éphémère.

Pragmatisme versus idéologie, je l’expose. L’histoire est un éternel recommencement. On ne peut plus rien faire pour ce qui n’est plus. Mais l’on peut encore pour ce qui est.

Bahija Abbouz