Vingt heures pétantes, cela faisait plus d’une heure que j’étais dans le train. Celui-ci ayant pris un léger retard, je craignais rater ma correspondance. Arrivé à quai, le tableau affichait pour ma destination un retard…indéterminé. Quelques minutes plus tard, madame SNCB m’annonce que mon train est supprimé. Le temps d’attente sur le quai me réservera quelques surprises…

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Frigorifié par cet hiver arrivé (aussi) en retard, j’en ai profité pour photographier ma ganache pour renouveler mon passeport. À peine ai-je eu le temps de me tenir droit comme un i devant l’objectif que le chef de gare nous a sommés de quitter la salle d’attente pour fermer les lieux. Pour me protéger de ce froid de canard, je me suis recroquevillé à côté d’un grand panneau publicitaire au milieu des passagers qui prenaient leur mal en patience.

Dans cette foule, une femme a attiré mon attention. Sexagénaire, cheveux grisonnants, voix rauque, son visage sans doute marqué par la dureté de son train de vie. Elle se plaignait d’être ballottée entre trains et gares depuis quatre heures. Cherchant des regards complices, un homme lui opine du chef.

Ces derniers refont le monde et discutent à commencer par la hausse du prix…des sacs-poubelle prévue pour ce début d’année. Travaillant comme hôtesse de caisse dans un supermarché, elle constatait que certains clients achetaient en grande quantité ces sacs en guise de stock pour amortir leurs dépenses. Me prenant à témoin, cette dame me demande mon avis. Je lui réponds que les sacs seront sûrement modifiés pour éviter ce genre de déconvenues.

Je respecte leur culture là bas donc qu’on arrête de nous imposer le voile ici !

Saluant mon raisonnement, elle change tout à fait de sujet en relatant qu’elle a vu un couple de réfugiés s’acheter du champagne pour les fêtes. Médusée, elle, qui d’après ses dires, a du mal à joindre les deux bouts. Elle juge intolérable que des « Belges soient lâchés par l’État pour aider des étrangers qui ont le luxe de se payer du champagne ». Je me demande sur quels critères elle s’est basée pour identifier ce couple comme étant des réfugiés. Voyant que je ne disais mot à sa réaction, elle regarde frénétiquement autour d’elle à la manière d’un vendeur à la sauvette qui veut brader ses broutilles et ajoute : « Quand je visitais des temples en Thaïlande avec mon époux, les femmes devaient systématiquement couvrir leurs épaules et leurs jambes. Je respecte leur culture là bas donc qu’on arrête de nous imposer le voile ici !». Désabusé face à des propos confus qui mêlent temples bouddhistes, voile islamique et réfugiés politiques, je tire une mine déconfite.

Elle m’interpelle une seconde fois pour me demander ce que je pense de la crise des réfugiés. Je lui réponds que sa colère due à sa précarité est légitime toutefois les réfugiés syriens, afghans n’en sont nullement responsables. Je lui affirme que cette concurrence de la misère sociale n’est l’apanage que de certains médias et dirigeants politiques, qui, pour détourner l’attention des problèmes sociaux économiques réels pointent le doigt accusateur au lieu de montrer la lune. Comme l’a si bien dit Pierre Bourdieu, le fait divers fait diversion. Pour revenir à ce qu’elle disait, je lui avance que ce n’est pas de la faute de ces personnes si le prix des sacs-poubelle augmente. La discussion s’élargira avec plusieurs personnes présentes sur le quai. Elle marque un temps d’arrêt, me sourit et me remercie pour cet échange. Elle me concède qu’elle n’avait jamais perçu la question sous cet angle.

La condescendance envers des personnes désœuvrées sans réponse n’est jamais la solution à adopter. Ce serait leur ouvrir les portes du repli identitaire qui n’a qu’une hâte : nourrir la haine de l’autre qu’on ne découvre qu’à travers un petit écran. L’heure est à la solidarité et au dialogue en ces temps de remous, car l’humanité n’est qu’une. On est dans le même bateau mais parfois dans le même train. Prenons la vie du bon rail.

 

Mouâd SALHI