Le 27 octobre 2011, Robert Jambon se tient face au monument aux morts de l’Indochine. Commandeur de la Légion d’honneur et combattant auprès du peuple Hmong lors de la guerre du Viêt Nam, il décida de mettre fin à ses jours d’une seule balle dans la tête. Son acte est un pur symbole de protestation due à l’indifférence de la France face aux sorts des Hmong, peuple originaire du Laos, oublié de l’histoire.

Robert Jambon
Robert Jambon, combattant auprès du peuple Hmong.

Dans un extrait de sa lettre de suicide, il explique son geste : « Après une période de découragement, j’ai décidé de jouer ma dernière carte ou, plus exactement, de tirer ms dernière cartouche. Dans ma tête. En d’autres termes, je vais me « faire sauter le caisson » pour expier ma part de honte et protester contre la lâche indifférence de nos responsables face au terrible malheur qui frappe nos amis du Laos. Ce n’est pas un suicide, mais un acte de guerre visant à secourir nos frères d’armes en danger de mort. Quant à vous, les gouvernants sans honneur, vous, les grands « médias » sans courage et vous, les « collabos » sans vergogne, je vous crache mon sang et mon mépris à la gueule ! »

Une balle dans la tête pour protester en faveur d’un peuple. Ce peuple coupable d’avoir servi aux côtés de l’armée française et américaine. En effet, le peuple Hmong, fut l’allié des Français lors de la guerre d’Indochine. Suite au retrait des troupes françaises en 1954, le chef Hmong Vang Pao s’engage ensuite au côté des États-Unis durant la guerre du Viêt Nam. C’est en 1975, suite au retrait des troupes américaines, que le parti national-communiste Pathet Lao remporte la guerre. Malheureusement, la victoire du parti communiste entraîne une répression très dure envers le peuple Hmong, considéré comme un traître sans vergogne pour avoir combattu avec l’ennemi français et américain durant ces deux guerres.

Les Hmong, les oubliés de l’Histoire

Afin de survivre, le peuple Hmong fut obligé de fuir la vie citoyenne. Certains ont quitté le pays pour s’exiler vers d’autres pays voisins. D’autres furent envoyés dans des camps de rééducation dont beaucoup ne revinrent jamais. Et pour certains, la seule possibilité de survivre fut de se réfugier dans la jungle et les montagnes du Laos. Persécutés depuis lors par l’armée vietnamienne et laotienne, les considérants comme des traitres ou des rebelles, ces derniers vivent désormais en famille dans les coins les plus reculés de la forêt laotienne.

Au vu de la situation macabre et de l’impossibilité pour les journalistes étrangers de pénétrer dans cette zone des plus reculées et difficile d’accès, la situation demeure très incertaine et très peu d’aide est acheminée vers le peuple Hmong. Dans un rapport rédigé en 2007, Amnesty International fait état de la situation des Hmongs, qui seraient victimes d’attaques meurtrières régulières.

Pour les rencontrer, Grégoire Deniau, journaliste et auteur du reportage  « Guerre secrète au Laos : le génocide des Hmongs » diffusé dans le cadre de l’émission « Envoyé spécial » en 2005 sur France24, se déplaça clandestinement dans les montagnes du Loas. Après une semaine de marche à travers la jungle tout en évitant les patrouilles armées et embuscades en tout genre, il parvient à faire lumière sur le quotidien du peuple Hmong.

La rareté des images récoltées nous montre un peuple qui vit avec la peur au ventre. Des effets personnels qui ne sont jamais défaits pour pouvoir déguerpir, à tout moment. Des enfants en quête de rire, mais trop souvent en état de malnutrition. Des racines et des branches pour nourriture. Voici le paysage quotidien du peuple Hmong.

« La mémoire faite aux anciennes victimes ne semble pas réveiller la conscience des victimes présentes »

Des questions légitimes s’en suivent. Pourquoi cette indifférence totale du gouvernement français ? Pourquoi ce peuple n’a-t-il pas bénéficié de mesures de protection pour service rendu à l’armée française ? Pourquoi n’ont-ils pas négocié avec le gouvernement laotien l’enjoignant de cesser cette situation vieille de plus de 40 ans ? À tout le moins, pourquoi des actions humanitaires n’ont-elles pas été entreprises pour leur procurer de quoi vivre dignement et paisiblement ?

Un parallèle frappant illustré par la Guerre d’Algérie

Cette situation nous évoque également l’époque qui succéda à l’indépendance de l’Algérie le 5 juillet 1962. Les « Harkis », tous comme les Hmongs, furent considérés comme des traitres pour avoir servi au côté de la France dans sa volonté d’asseoir sa souveraineté sur l’Algérie. Contrairement à la situation du peuple Hmong, la France négocia des accords visant à protéger les « harkis » des vengeances prévisibles. Toutefois, ces engagements de « non-représailles » furent violés et n’ont pu empêcher une vendetta effroyable. L’estimation des harkis tués est très variable et oscille entre 10.000 et 150.000 morts.

Selon une partie de l’opinion, la seule manière de protéger efficacement un soldat ayant servi contre son pays d’origine est de le rapatrier avec sa famille vers le pays qu’il a défendu. Toutefois, le Général de Gaulle est formel en déclarant qu’ « on ne peut pas accepter de replier tous les musulmans qui viendraient à exprimer qu’ils ne s’entendront pas avec leur gouvernement. Le terme de rapatrié ne s’applique évidemment pas aux musulmans : ils ne retournent pas dans la terre de leurs pères ! Dans leur cas, il ne saurait s’agir de réfugiés ! Mais on ne peut les recevoir en France comme telle, que s’ils couraient des dangers. »

La reconnaissance et la révérence faite au service rendu à la nation française ont donc une limite, celle de ne jamais pouvoir considérer ou protéger entièrement ces peuples, faute de pouvoir les considérer comme « véritable français ». Il est ainsi légitime de remettre en question l’efficacité de tels accords. Enjoindre un peuple à un crime de lèse-majesté ne devrait-il pas justifier une protection totale et sans équivoque en cas de défaite ?

Les harkis d'Algérie
Des harkis à Oran (1956) / © BENQUET GÉRARD

De Jacques Chirac à François Hollande, tous déclarent que la France n’a pas pu sauver ses enfants de la barbarie et qu’elle a failli à son devoir de protection. Pourtant, la mémoire faite aux anciennes victimes ne semble pas réveiller la conscience des victimes présentes.

Pendant que certains semblent reprocher aux États occidentaux et plus particulièrement à la France son obsession maladive pour le passé, le peuple Hmong sombre dans l’oubli sans bénéficier d’une quelconque action ou déclaration de la part du gouvernement français. Dois-ton exterminer entièrement une population avant que celle-ci n’entre dans le majestueux devoir de mémoire ?

Autant de questions que se posait certainement le colonel Robert Jambon. Et pourtant, bien des années après son acte de protestation, les questions demeurent ouvertes pendant que la situation des Hmong perdure.

Aux oubliés de l’Histoire.

Bahija Abbouz