A la veille des élections, les rues belges deviennent des tribunes publicitaires où sont exhibés nombreux étendards de différents partis politiques. En passant par des portraits familiers habitués aux passages télévisés ou encore des visages inconnus qui ne demandent qu’à être vus, aucun mur n’est laissé à l’abandon. John Joos, porte-parole du mouvement « Citoyen », est l’une des personnalités de la ville de Mons. Après avoir mené un combat qui a duré plus de dix ans dans l’affaire de l’incendie des Mésanges, ce dernier a récemment rejoint la liste cdH pour faire valoir les idées d’une frange de la population qui se veut indépendante du paysage politique traditionnel. Alohanews a rencontré ce personnage atypique pour faire le tour des thématiques qui animent.

Vous avez émergé sur la scène politique avec l’affaire des Mésanges il y a plus de dix ans. Qu’en est-il du combat en justice que vous avez mené contre la société Toit et Moi, anciennement appelé SORELOBO ?

Le procès pénal à l’égard des responsabilités de l’incendie s’est terminé en juin de l’année dernière. En mars 2003, les locataires et parents des victimes se sont constituées partie civile contre un éventuel incendiaire, personne ayant bouté le feu, et contre les gestionnaires de la SORELOBO. Le volet politique a été colossal car la Sorelobo est une société publique et impliquait toute une série de mandataires politiques dont certaines personnalités cumulaient beaucoup de fonctions. L’instruction a mis en évidence une gestion négligente de ces bâtiments qui avaient plus de 40 ans, négligences  qui ont participé à la catastrophe qu’on a connue. Les normes de sécurité n’ont pas été respectées par la société publique, ce qui a eu pour conséquence néfaste une propagation extrêmement rapide des flammes et des fumées. La tour a été complètement incendiée, les conséquences ont été terriblement lourdes sur le plan humain. Sept personnes dont un enfant ont perdu la vie dans des conditions que vous pouvez imaginer insoutenables.

Cette négligence n’a pas été condamnée par la justice ?

Les négligences ont été reconnues par la justice mais pas clairement condamnées. Imaginez-vous  dix années de procédure pour essayer de comprendre comment fonctionnait la SORELOBO. Je dois dire que ce sont essentiellement les freins politiques qui ont retardé l’arrivée du procès de l’affaire des Mésanges. Il faut se rappeler qu’en décembre 2013, nous étions à 9 ans et 9 mois de procédure, c’est-à-dire à 3 mois de la prescription. Pendant des années, nous avons eu beaucoup d’effets d’annonce de la part du parquet, mais à chaque fois les échéances étaient reportées pour des raisons peu crédibles.

Survenue en février 2003, l’incendie a fait 7 morts à Mons.

Malgré la longueur, la justice n’a pas établi les responsabilités pénales vis-à-vis de ceux qui ont géré la société. Seule la responsabilité morale a été condamnée or les personnes qui ont géré lamentablement cette société publique ont été reconnues fautives mais pas condamnées. C’est extrêmement décevant pour les victimes d’attendre aussi longtemps. De plus, vu du côté affairiste de certains mandataires dans la gestion, ce procès aurait dû être exemplaire en Belgique. Malheureusement, la justice a accouché d’une souris et la longueur des procédures a joué un rôle contraire à la réparation du dommage malgré les indemnisations.

Les derniers faits divers liés à l’insécurité ont secoué la ville de Mons et la préoccupation des citoyens s’est accrue après les délits. Toutefois, un rapport de police faisait état d’une diminution des actes d’insécurité. Suite à ces évènements, est-ce que les acteurs locaux ont informé les citoyens du fossé qui sépare l’insécurité et le sentiment de celle-ci ?

L’information n’a pas été  mise en évidence par les médias, c’est évident. Certains politiques génèrent des inquiétudes sur des faits divers à des fins électorales. J’ai dernièrement traité un dossier en lien avec les gens dit du voyage, les élus ont brandi la pancarte du populisme au lieu d’aller sur le terrain et de travailler sur les réalités. En période électorale, on se sert de la peur et de l’insécurité, cette voie est plus facile que de traiter des sujets concrets tels que la lutte contre la pauvreté ou l’emploi. En France, l’extrême droite  a surfé sur cette tendance et on voit où ils en sont aujourd’hui au niveau des sondages. Pour moi, il s’agit d’une dérive sécuritaire et je ne suis pas certain qu’il est du rôle du politique à mettre tout ceci en évidence.

En ce qui concerne la baisse de l’insécurité, chiffres fournis par la police, il y a deux choses à souligner. Soit ces chiffres présentés par la police sont en phase avec la réalité. Nous serions face, non pas à une insécurité réelle sur le terrain, mais à une augmentation du sentiment d’insécurité. Soit, les chiffres sont un peu tronqués par d’autres facteurs qui ne sont pas pris en considération. Je m’explique. La plupart de ces rapports s’appuient sur le nombre de plaintes enregistrées par la police, plaintes qui n’aboutissent pas forcément à des poursuites par manque de moyens concrets du parquet.  Ce problème cumulé à celui de la longueur des procédures, découragent beaucoup de citoyens à déposer plainte. Ce qui va forcément fausser l’évaluation de l’insécurité réelle basée sur le nombre de plaintes enregistrées.

Il faut donc nuancer ce constat de l’insécurité qui je pense est volontairement maintenus dans le flou.

Est-ce que finalement cela ne contribue pas à la montée des extrêmes ?

Absolument. Jouer ces cartes-là en temps de crise dévalorise le débat et obnubile les vraies questions qui doivent être discutées. Lorsqu’on demande à un élu d’aborder la question de l’emploi, par exemple, j’ai l’impression qu’il y a une espèce de bricolage politique où chacun arrive avec ses grandes formules sans savoir véritablement où l’on va.

Notre mouvement est constructif et démocratique

Vous êtes également sensible au sujet de la diversité culturelle. Est-ce que le vote communautaire existe-t-il ? Si oui, est-ce qu’il est réaliste de parler de vote issu de la diversité dans sa globalité  en sachant que chaque minorité se dirige vers un candidat qui leur ressemble ?

Je pense qu’il y a une différence entre le vote communautaire et la solidarité d’une minorité spécifique. Les communautés ont tendance à se réunir autour d’un candidat, c’est vrai. Par exemple lorsque l’élu a posé des actes allant dans le sens des revendications de la minorité, il y a souvent un feedback électoral. Ensuite, est-ce que l’élu doit avoir une origine ethnique spécifique similaire à la communauté envers laquelle il a posé des actes, je ne pense pas. Est-ce qu’on appelle vote communautaire lorsque les plus riches s’organisent autour d’un candidat qui défend leurs intérêts ?

Différents rapports, dont celui d’Amnesty International en 2012, déclarait que la Belgique faisait partie d’un des pays les plus discriminants de l’UE dans le secteur de l’emploi et dans le secteur scolaire. Selon vous, quelles seraient les pistes à explorer pour une meilleure égalité des droits et un meilleur vivre ensemble ?

Je crois que la Belgique a fait un grand pas en termes de diversité dans la sphère politique. Il y a une émergence de candidats issus du multiculturalisme qui défendent des questions d’intérêt général dans l’ensemble des partis. Je crois qu’il faut faire la part des choses. Globalement, pour moi, ces questions sont développées dans un climat malsain qui ne repose pas sur les vrais problèmes comme l’exclusion ou le déterminisme d’un contexte économique extrêmement difficile. Il faut également faire attention à ne pas tomber dans la victimisation extrapolée du statut d’étranger. Je pense que la Belgique a des institutions exceptionnelles comme le Centre interfédéral pour l’égalité des chances. Nous avons de formidables outils contre le racisme et la xénophobie. Leurs travaux, qui traitent ces questions de manière transversale (la pauvreté, le logement, l’emploi …), permettent d’avoir un réel diagnostic pour évaluer la situation concrète. Le problème réside peut-être dans la non considération de ces constats car nos élus ne s’y intéressent que très peu pour construire leur programme et leur discours.

Concernant le rapport d’Amnesty International, il y a une montée des extrêmes, c’est évident. En politique, je remarque qu’il y a des débats virulents par exemple à l’égard du voile. Est-ce le vrai débat de l’intégration ? Le débat ne serait-il pas de lutter contre toute forme d’ethnocentrisme que l’on impose les uns aux autres ? Je ne parlerai toutefois pas de racisme direct, je crois que la majorité des gens ne sont pas racistes bien qu’il existe un climat de rejet et suspicion. Les choses ne sont pas dites clairement et la confusion entretient une atmosphère nauséabonde. Le débat sur le voile intégral, par exemple, s’est finalement transposé sur le voile de manière générale. L’absence de précision de certains dans le débat crée un sentiment de rejet et entrave sur la liberté des individus composant notre société. Les politiques ont-ils fait autant de foin avec le voile catholique ?

L’essentiel, c’est d’aborder la question du respect des libertés individuelles et de la compréhension des différences telles qu’elles se présentent.  C’est ça le combat contre le soi-disant intégrisme. Le temps joue aussi un rôle important dans l’évolution des mentalités. Il faut développer des attitudes de réciprocité sans jamais laisser d’autres personnes imposer par la force leurs idées ou leurs coutumes aux autres.

Pour ceux qui ne connaissent pas encore « Citoyen » pouvez-vous nous la présenter ? Quelle évolution depuis la mise en place de cette structure ?

« Citoyen » est composé, à la base, de jeunes qui sont déçus de la politique mais qui souhaitent s’investir dans leur localité. En 2012, nous avons créé une plateforme de réflexion qui a abouti à la création d’une liste locale. Nous avons tenté d’apporter notre pierre à l’édifice en tant que citoyen ordinaire avec des propositions originales et concrètes. Nous avons gagné 4,7 % des voix, ce qui n’est pas négligeable pour une première édition. C’est la première fois à Mons, qu’un nouveau groupe réussit à avoir un élu au sein du Conseil communal en dehors des partis traditionnels. Bien qu’à la base contestataire, notre mouvement est constructif et démocratique. Nous voulons aussi un débat sur les questions de fond.

18,2% d’abstention en Wallonie

La devise de Citoyen est qu’« Il y a une crise de confiance et beaucoup de citoyens ne se situent pas ou plus dans les logiques traditionnelles des partis ». Pourtant, vous avez dernièrement rejoint la liste cdH…

Malgré l’obligation du droit de vote, depuis 1893, beaucoup s’abstiennent d’aller aux urnes et d’autres citoyens ne votent plus par devoir ou par principe mais s’expriment par un vote anti-pouvoir. Cet abstentionnisme est peu pris en considération par l’ensemble de la classe politique. De plus, ce déficit démocratique profite à la montée de l’extrémisme. Pour rappel, le dernier chiffre communiqué en termes d’abstention est de 18,2% en Wallonie. Ce chiffre exprime l’abstention, le vote blanc et le vote nul mais ne tient pas compte de l’ensemble des votes exprimés au profit de l’extrémisme. A ce sujet, on se souviendra de l’influence des déclarations de la Ministre Turtelboom qui avait annoncé en 2012 que l’abstention n’entraînerait aucune sanction. Ce qui a eu pour conséquence 4% d’abstention.

Nous n’avons pas dérogé à la logique du projet « Citoyen ». « Citoyen » n’est pas un parti bien que certains y pensent. Pour l’instant, nous nous définissons comme une dynamique citoyenne. On a voulu susciter l’intérêt et la capacité du citoyen à développer son sens de la responsabilité sur le plan local. Il faut savoir que l’expérience de la campagne « Citoyen » sur le plan communal a été menée avec très peu de moyens financiers. Il faut savoir qu’une campagne ordinaire, sur Mons, dans une liste traditionnelle de 45 candidats peut s’élever jusqu’à 70 000 euros. Nous avons mené une campagne avec 4 000 euros et nous étions 21 candidats.

Nous n’avons eu aucun accès aux médias entre autres pour des raisons de règlement interne de la chaîne locale. Il y a eu clairement une discrimination d’accès au débat. Sur le plan législatif, nous avons tout fait de manière autonome en se référant à des sites fédéraux et des codes juridiques locaux. Tout cela a pris un temps fou. Par la suite, avec 4,7 % de votes, on se retrouve au Conseil communal. Je me rends compte que nous sommes très mal accueillis et que nous représentons un danger potentiel pour les partis traditionnels. Cela se traduit par une attitude agressive des partis. On traite facilement les nouvelles initiatives de populistes ou d’extrêmes. Cette critique gratuite discrédite généralement toute nouvelle initiative car les partis cherchent à conserver leur posture. Néanmoins, on persévère et on ne lâchera rien. « Citoyen » sera maintenu pour 2018 en tant que projet local.

En ce qui me concerne, je suis porteur de différents projets qui doivent être discutés au niveau régional. La priorité aux plus fragiles et aux bas salaires reste ma priorité depuis toujours. Le cumul des mandats pose un véritable problème d’éthique et celui-ci n’est toujours pas réglé, je trouve ça scandaleux. La disparition progressive de nos  commerces locaux qui font face au dumping économique des multinationales est aussi inquiétante. Comment préserver la citoyenneté économique face à la crise ? A Mons, en moins d’une année, 80 commerces ont fermé et la désertification du centre-ville continue face à une gestion et une planification désastreuse des travaux.

Pour « Citoyen », se présenter avec une liste indépendante « Citoyen » sur le plan régional aurait été un coup d’épée dans l’eau. Toutefois, ne rien faire pour moi aurait été la pire des solutions. Notre objectif est d’abord de promouvoir la proximité sur le plan local, de travailler au niveau démocratique le plus proche du citoyen et de faire avancer les idées. Pour les questions qui relèvent de la Région, nous avons travaillé sur l’accès au logement, la question du décret anti-cumul, le soutien aux commerces locaux, et la présentation d’un pacte citoyen axé sur la consultation et l’amélioration du degré de démocratie.

Comment comptez-vous imbriquer vos deux casquettes ?

Je connais personnellement Carlo Di Antonio, je lui porte beaucoup de confiance. Sa vision et son travail  politique me correspondent notamment dans la défense des commerces locaux. Il est pragmatique et défend les dossiers jusqu’au bout. C’est quelqu’un qui ne cherche pas à mettre le conflit en évidence dans le débat. L’intégration au sein du cdH a été un choix d’affinité et non pas un choix idéologique bien que le débat gauche-droite est parfois extrêmement épuisant pour les citoyens.

Sur le fond, je veux débattre des questions qui relèvent de l‘éthique, de l’implication des citoyens dans la gestion quotidienne de l’Etat et des différents problèmes qui tournent autour de la culture démocratique. Je suis extrêmement sensible à la capacité et la responsabilité individuelle du citoyen dans la politique. Les partis traditionnels ne défendent plus certaines de ces valeurs car cela va à l’encontre de leurs intérêts. Pour citer deux exemples concrets, on pourrait prendre le financement même des partis et le cumul des mandats.

Plus tard, on voudrait donc développer  « Citoyen » sur l’axe régional en intégrant les citoyens au niveau régional par le biais de la consultation dans différents domaines. Grâce aux nouvelles technologies, je pense qu’il est tout-à-fait concevable d’impliquer les citoyens et les associations sur le travail réalisé par la Région. La consultation se pratique déjà mais de manière spontanée et pas suffisamment. Aujourd’hui plus qu’hier, les politiques se servent des réseaux pour rencontrer et débattre avec les citoyens mais cela relève d’une démarche personnelle. Je pense qu’officialiser ce genre de processus serait une chose positive pour la démocratie.

Propos recueillis par Nikita Imambajev