Alohanews est allé la rencontre du comédien belge, Mourade Zeguendi. L’acteur bruxellois découvert dans la série Melting pot café, a participé à de nombreux succès cinématographiques tels que Dikkenek ou Taxi 4. C’est dans «Les Barons » que ce Maroxellois  a crevé l’écran. Lors de cet entretien, le « Baron » nous dresse un constat amer de cette société belge qui se morfond dans son silence. Il est revenu sur la formation du nouveau gouvernement belge ainsi que sur son combat contre toute forme de discrimination. Un entretien sans langue de bois…une fois !

La Belgique s’est dotée d’un nouveau gouvernement, celui de Charles Michel suite à « la suédoise ». Le gouvernement est notamment composé de personnalités politiques du parti de la N-VA. De quel œil voyez-vous ce nouveau gouvernement ?

Le constat est simple. C’est un gouvernement de droite voire d’extrême droite. Malheureusement, ce gouvernement va décider de l’avenir de la Belgique pendant des années. Le climat politique actuel en Belgique est malsain. Le gouvernement Michel n’est en poste que depuis quelques semaines que nous assistons déjà à un cirque médiatique. La presse relate quotidiennement des sorties médiatiques hasardeuses de plusieurs ministres. Et ce n’est que le début ! Je suis complètement opposé à certains membres du gouvernement qui sont, à mes yeux, des racistes notoires.

A ce propos, vous avez poussé un coup de gueule à la suite des propos du Secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, Theo Francken qui avait déclaré que « les petits cons de Marocains » n’apportaient aucune « valeur ajoutée » à la Belgique.  Via une vidéo, vous avez mobilisé ces « petits cons de Marocains » à demander la démission de Theo Francken. Où en est le mouvement actuellement ?

Malheureusement, le mouvement n’a pas pris. Il n’a pas pris pour une raison très simple. Mon analyse de tout cela est que les personnes aiment se porter comme victimes. Elles sont les premières à regretter qu’il y a des problèmes de racisme. Mais quand elles ont l’occasion de faire entendre leurs voix, de condamner, de signer des pétitions, de mener des actions, ces dernières ne sont pas au rendez-vous. Cela s’explique peut-être par le fait que ces personnes vivent dans la peur. C’est regrettable. Il y a très peu de solidarité pour des initiatives comme celles-ci. Ma communauté que j’aime a plus de facilité à être solidaire pour des choses futiles. Par contre, quand il s’agit de nous défendre et de faire valoir nos droits de citoyens, de montrer notre solidarité, personne ne bouge.

Vous êtes déçu par ce manque de mobilisation ?

Non, je ne le suis pas. Je croyais que c’était un problème générationnel. Ensuite, je me suis rendu compte que ce n’était pas le cas. Je garde espoir. Si nous ne nous mobilisons pas aujourd’hui, nous le ferons peut-être demain.

C’est un constat amer que vous nous dressez…

Bien sur qu’il est amer le constat. Toutefois, je ne leur reproche rien, je constate. Chacun est libre de faire ce qu’il désire. Il y a une injustice, bougeons-nous et si vous ne le faites pas, dommage pour vous. Il ne faudra pas venir se plaindre à l’avenir lorsqu’il y aura des incidents beaucoup plus graves.

Le jour où nous aurons des contrôles abusifs. Le jour où des personnes seront emprisonnées pour un rien. Le jour où on arrachera le foulard à des mamans. Ce jour-là, il sera trop tard pour se plaindre. C’est maintenant qu’il faut se bouger. Malheureusement, les personnes ne se rendent pas compte de ce qui se passe. Nous assistons en Belgique à une stigmatisation des communautés africaine et surtout arabo-musulmane. La communauté arabo-musulmane subit la même stigmatisation que subissait la communauté juive durant la Seconde Guerre mondiale.

Qu’attendiez-vous concrètement de votre appel ?

J’attendais tout simplement que tous les citoyens belges dans toute leur diversité se lèvent contre ces propos intolérables. Et j’attendais que Theo Francken, à part faire des excuses faciles, soit condamné sévèrement pour ses propos racistes. C’est un appel à la haine. J’espérais une solidarité citoyenne contre ce genre d’individus. Mon mouvement a été relayé par plusieurs médias et réseaux sociaux. Mais dans les faits, j’ai vu très peu de personnalités publiques à l’image de Zoubida Jellab, s’opposer à ces propos odieux. La balle est dans le camp de ceux qui se sont tus, pas chez moi.

Ce combat dépasse les clivages politiques

Justement, Zoubida Jellab, conseillère communale Ecolo à la ville de Bruxelles a déposé une plainte contre le secrétaire d’état N-VA pour incitation  à la haine raciale et à la discrimination. Elle a signé une pétition qui compte plus d’un millier de signataires. Vous a-t-elle contacté pour que vous vous joigniez à son combat ?

Bien sur, j’ai notamment signé sa pétition. Nous avons convenu de nous voir bientôt pour continuer ce combat important. Ce combat dépasse les clivages politiques. Je ne vais pas vous dire à quel parti j’adhère. Je suis de gauche, c’est sur. C’est avant tout, un acte citoyen. Il faut combattre sans relâche la discrimination et la haine.

Est-ce le rôle d’un comédien de prendre position sur des faits politiques?

Ce n’est pas en tant que comédien que je prends la parole. C’est en tant que citoyen belge, en tant que père de famille. Comme je l’ai dit précédemment, c’est un acte citoyen. Ensuite, il est vrai que ma notoriété me donne accès plus facilement aux médias. Ma foi, si ma notoriété me permet de faire entendre une cause juste, je ne me gênerai pas. Je ne peux me taire face aux injustices. Je suis un homme de combat. Pour le coup, la communauté marocaine a été stigmatisée. Si les communautés noire ou juive avaient été visées, j’aurais réagi de la même manière.

Les extrêmes-droite européennes tiennent de plus en plus un discours islamophobe à l’image de Marine Le Pen en France ou de Geert Vilders aux Pays-Bas. Comment expliquez-vous que les discours stigmatisant les musulmans prennent autant écho ? Est-ce la faute à la communauté musulmane qui ne se mobilise pas assez ?

Si j’affirme cela, c’est que je suis aussi bête que Theo Francken qui affirme que l’homophobie à Bruxelles est à cause des petits cons de Marocains. Depuis le 11 septembre, il y a une espèce de psychose envers la communauté musulmane. Les personnes ne savent plus qui est qui. Ils entendent dans les médias les mots islamiste, terroriste, pianiste, tout ce qui finit en –iste associés au terme « musulman » (rires). C’est ce besoin de nommer les choses simplement, ces amalgames terribles font du tors à notre communauté. Je vais même aller plus loin, j’ai l’impression qu’il est plus facile de dire que nous avons le sida qu’affirmer que nous sommes musulmans.

Une partie de la société a peur. Mais elle a peur de quoi ? Certaines personnes voient à la télévision, dans le monde arabe, des conflits sanglants et les attribuent à l’Islam. Mais la réalité à Bruxelles ou dans les grandes villes européennes, elles craignent quoi, ma mère avec son petit foulard qui va chercher ses fruits au marché ?

Ensuite, il est vrai qu’il faut être autocritique envers sa communauté et qu’il y a des choses à dire sur celle-ci. Il faut privilégier le dialogue pour que nous puissions bien vivre en communauté. Nous sommes les parfaits bouc-émissaires de l’extrême-droite qui nous attribue tous les dysfonctionnements de la terre entière.

En avril dernier, nous commémorions le cinquantième anniversaire de l’immigration marocaine en Belgique. Quel constat pouvez-vous dresser, à votre échelle, de l’immigration marocaine en Belgique? 

Tout d’abord, je tenais à dire que j’ai vraiment du mal avec les commémorations quelles qu’elles soient. Je n’aime pas cela car nous allons fêter le fait que nous sommes différents. Dans l’inconscient collectif, cela sous-entend que l’on sera toujours exogène à la société belge. Il est vrai que ces commémorations nous rappellent le parcours que nos parents ont fait pour venir travailler jusqu’en Belgique. Par contre, moi, je suis né ici, mes enfants sont nés ici. Combien de temps allons-nous encore célébrer le fait que nous sommes étrangers ?


Propos recueillis par Mouâd Salhi