Il y a plus de trois mois, le typhon Haiyan a dévasté tout dans son passage et a fait plus de 15 millions de victimes dans la région de la ville surpeuplée de Tacloban aux Philippines. Plusieurs millions de personnes demeurent toujours sans abris. Plus de 2500 personnes ont perdu la vie et une partie de la population est toujours déplacée. Plusieurs ONG se sont rendues sur place pour venir en aide aux rescapés. C’est le cas de Handicap International. Alohanews est allé à la rencontre d’un de ses membres : Damien Kremer. Lors de cet entretien, il a été question de la situation actuelle à Tacloban, de la mobilisation des ONG ainsi que de l’attention médiatique face aux catastrophes naturelles.

Pouvez-vous vous présenter et dire quel poste vous occupez au sein de Handicap International?

Je m’appelle Damien Kremer. Je suis coordinateur pour la communication et attaché de presse pour Handicap International Belgique.

Près de deux mois après le passage du typhon Haiyan, une délégation de Handicap International a été envoyée sur place pour secourir la population. Quelle est la situation actuelle aux Philippines ?

Nous avions déjà des équipes sur place avant le passage du typhon. Nous y étions notamment pour des projets de prévention des catastrophes naturelles. Nous travaillions déjà avec les populations. Il faut savoir qu’il y a des cyclones qui passent régulièrement dans cette région. Ce n’était donc pas inattendu qu’il y ait un cyclone. Par contre, nous avons été surpris de la violence de ce dernier. C’est pour cela qu’après son passage, nous avons dépêché des équipes supplémentaires sur place.

 Après quelques jours,  les premières personnes sont parties pour des évaluations afin de déterminer les besoins. Parce que nous ne pouvions pas commanditer des énormes missions alors qu’il y a un goulot d’étranglement. Il faut bien se répartir les tâches pour éviter des erreurs telles qu’il y en a eu pour le Tsunami. Tout le monde débarquait et allait aider les gens au même endroit. Même si l’aide est importée massivement et positivement, nous pouvions mieux travailler.

Pour les Philippines, nous avons réagi très rapidement avec des difficultés logistiques importantes. La région touchée est composée de beaucoup d’îles. Tout le dispositif de communication a été détruit. Les points d’accès étaient très rares. Il y avait un aéroport qui permettait le passage de quelques avions. Il faut s’organiser, il y a des priorités. Souvent, les Américains passent en premier au niveau de l’armée car ils ont des capacités logistiques très importantes. Il faut se frayer un passage au milieu de tous pour pouvoir apporter notre aide et nos compétences en fonction des populations locales qui en ont besoin. Handicap International a des compétences plus larges que ce que l’on pourrait penser. Nous avons des compétences en appui logistique, en fourniture de matériels d’urgence et bien sûr tout ce qui tourne autour de la réadaptation et l’aide aux plus vulnérables.

Il était important de le faire pour être transparent

Au niveau de la coordination, plusieurs ONG se sont greffées pour l’opération Haiyan 21-21 via le consortium 12-12. Qu’est-ce que ce consortium et comment s’organise la coordination concrètement?

L’opération Haiyan 21-21 a été lancée par le consortium 12-12 du nom du numéro de compte que nous utilisons à chaque opération (BE19 0000 0000 1212). Le consortium 12-12 se compose d’ONG qui se réunissent pour mieux collecter des fonds en Belgique. Nous n’avons pas forcément d’opérationnalité sur le terrain. Par contre, en cas de grosse catastrophe, les médias sont prêts à aider, le public est prêt à donner. Il faut donc une communication conjointe et claire pour ne pas que les ONG se tirent dans les pattes. Les grosses ONG d’urgence qui ont une capacité d’intervention forte sur le terrain se mettent ensemble pour essayer de collecter le mieux possible de l’argent en dépensant moins de frais en communication.  Actuellement, il y a cinq ONG dans le consortium à savoir Handicap International, Médecins du Monde,  Caritas International, Oxfam Solidarité et Unicef Belgique.

Là, les choses se déroulent très vite. La catastrophe s’est passée un vendredi (08 novembre 2013), le lundi nous nous sommes rencontrés. Nous avons vu si l’ampleur était suffisante pour lancer une action. A partir de mardi, nous avons décidé de lancer la campagne.  Nous avons prévu à ce moment-là, quelle serait la clé de répartition en fonction des capacités des ONG en Belgique. Pour notre cas, Handicap International a reçu 18% de l’argent collecté dans le cadre de l’opération Haiyan 21-21.

Pourquoi Haiyan 21-21 ?

Nous gérons des crises d’urgence très intenses émotionnellement. Nous appelons les personnes à donner. Dans le cadre de ces crises, tout l’argent doit être utilisé pour la même catastrophe. Or, nous avions déjà un appel qui était en cours pour le 12-12. C’est assez exceptionnel. C’était l’appel pour la Syrie. Normalement, les campagnes du 12-12 sont très courtes mais la crise syrienne revêt un profil très particulier. Ce n’est pas une catastrophe naturelle. Ce n’est pas un tremblement de terre. L’appel était toujours en cours. Au niveau du ministère des Finances, les personnes qui font un don pour le 12-12 reçoivent une attestation fiscale et l’argent que l’on reçoit doit être utilisé pour la Syrie. C’est pourquoi lorsque nous avons décidé de lancer une campagne pour les Philippines, il a fallu ouvrir un nouveau numéro de compte afin de différencier les opérations. Il était important de le faire pour être transparent.

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Pouvez-vous nous donner une action concrète qu’a mené Handicap International aux Philippines?

Nous sommes intervenus pour envoyer sur place des pompes à eau et des systèmes de potabilisation. Dans ce genre de catastrophes naturelles, il y a un réel problème d’accès à l’eau potable. Nous avons envoyé des kits de survie. Nous avons envoyé des tentes pour des familles de six personnes. Nous avons envoyé des kits de cuisine aussi. Nous avons aussi envoyé des kits d’hygiène. Nous avons aussi très rapidement mis en place une flotte de camions qui servait à faire de la logistique, de transport pour des petites ONG qui n’ont pas forcément les moyens de le faire seules. Nous mettons nos compétences au service d’autres ONG pour transporter du matériel. Nous avons par ce biais transporté de la nourriture qui n’était pas la nôtre et l’avons amené au point de distribution.

 Nous mettons aussi en place soit des centres fixes soit des points mobiles de repérage et d’orientation pour les personnes les plus vulnérables. Nous entendons par personne vulnérable, les personnes handicapées mais aussi les femmes enceintes et les personnes âgées. Par exemple, l’aide massive d’urgence installe des points de distribution de nourriture. Beaucoup de personnes vont pouvoir y aller. La difficulté est que si une personne ne sait pas se déplacer, qu’elle ne sait pas voir ou recevoir l’information, elle ne peut accéder à cette distribution. Le but de Handicap International est de repérer ces laissés-pour-compte de l’aide d’urgence. Et enfin le dernier volet est l’aide à la revalidation qui est plus classique pour Handicap International. Nous avons rapidement remis en place un centre de réadaptation. Nous avons aussi envoyé des kinésithérapeutes qui travaillent au sein de quatre hôpitaux à Tacloban.

Comment les populations locales victimes du typhon réagissent face à cette mobilisation internationale ?

La réaction a été très positive. Nous avons rapidement vu à travers les médias beaucoup de personnes qui transmettaient des messages pour nous remercier. Nous avons reçu des remerciements de la part de l’ambassade et du Gouvernement philippin. L’aide est appréciée. Elle était nécessaire car la catastrophe était beaucoup plus importante. Cela ne veut pas dire que l’aide était parfaite. Nous n’avons pas su atteindre tout le monde. Le contexte est extrêmement difficile. J’ai l’impression  que nous pouvons être fiers du travail accompli. Je reste tout de même conscient de la frustration de personnes qui n’ont pas bénéficié de l’aide qui était nécessaire au moment où elles en avaient besoin.

Pour en revenir aux médias, comment qualifiez-vous le traitement médiatique des catastrophes naturelles en général ?

C’est extrêmement variable. Il y a clairement une mondialisation de l’émotion. La crise aux Philippines a fourni des images impressionnantes qui ont fait le tour du monde.  Il y a eu beaucoup de collectes d’argent de par la médiatisation. Par contre, dans des crises d’une ampleur moindre mais nécessitant aussi des fonds, ces dernières  ne vont trouver écho nulle part. C’est quelque chose qui est assez frustrant. Le consortium 12-12 rentre, dans une certaine mesure, dans ce jeu. Il ne va activer le 12-12 que s’il sent qu’il y a un potentiel de communication autour. Dans le cas contraire, chaque ONG se mobilisera pour faire du bruit au maximum afin de récolter les fonds nécessaires.

A côté de cela, le temps médiatique est très court. C’est une règle qui est absolue. Les médias vont très vite communiquer en pointant le fait qu’il n’est pas normal que les populations ne disposent d’aucunes aides. Nous avions déjà des réclamations le premier mardi quand nous avons ouvert le 12-12, nous reprochant d’avoir ouvert le compte trop tardivement. C’est énorme comme réalisation ! Cinq ONG doivent décider ensemble et vérifier qu’elles sont capables d’agir sur le terrain. Si nous collectons des millions et qu’à l’arrivée nous ne savons pas utiliser l’argent efficacement, mieux ne vaut pas lancer la campagne.

 Par contre trois mois plus tard, les retombées que nous voulions avoir pour rendre compte de nos résultats étaient très limitées. Le donateur aura aussi une frustration en disant que nous avons beaucoup communiqué pour collecter mais que par après nous n’avons quasi rien communiqué. Nous essayons de communiquer sans l’appui des médias mais ce n’est pas évident. Nous n’allons pas non plus dépenser l’argent des donateurs pour acheter des panneaux de publicité pour être plus visible. Il y a une frustration des deux côtés. Toutefois, nous établissons des rapports de nos missions qui sont consultables sur notre site. Nous savons que la fenêtre d’action pour collecter de l’argent est très limitée.

Le but de Handicap International est de repérer ces laissés-pour-compte de l’aide d’urgence

Que peuvent faire les citoyens pour venir en aide aux victimes du typhon Haiyan ?

Depuis la Belgique, au niveau du consortium du 12-12, la réponse est très simple : des dons financiers. Beaucoup de personnes nous proposent systématiquement de l’envoi de matériels. Mais organiser des collectes, de l’envoi de matériels sont des choses très compliquées qui coûtent beaucoup de temps et d’argent. Nous allons plutôt travailler avec des ressources locales qui vont pouvoir gagner de l’argent et faire vivre leurs familles. Pour l’envoi de matériels, on trouve aussi cela localement ou alors nous utilisons des achats de masse qui sont faits au préalable pour nous permettre de réagir très vite. Nous avons des stocks dans nos bureaux à Lyon ou à Dubaï qui sont prêts à être utilisés. Cela nous a permis après quelques jours d’affréter des avions et d’envoyer du matériel sur place. C’est beaucoup plus pratique et efficace.

Bien entendu, il y a des personnes qui ont de la famille là-bas et qui collectent un peu de matériel pour l’envoyer à leurs familles et vont payer eux-mêmes le transport. Nous sommes dans un registre différent. Tant mieux que cette solidarité existe et elle a bien fonctionné dans le cas des Philippines.

Un mot pour Alohanews ?

Félicitations pour votre travail. C’est une très bonne initiative. C’est très chouette de sentir cette volonté de parler de sujets avec une certaine distance, un temps que l’on ne peut pas nécessairement retrouver ailleurs. C’est aussi pour cela que je prends le temps de vous répondre. Si j’ai quinze secondes sur Bel RTL c’est très bien, mais si j’ai une page complète sur Alohanews c’est excellent aussi, car cela permet d’en parler et c’est l’essentiel.

Propos recueillis par Mouâd Salhi