À l’occasion de la 6e édition du festival Cinéma & Droits Humains organisé par Amnesty International, j’ai eu le plaisir d’assister à la diffusion en avant-première du film « Dégradé ». Réalisé par les frères palestiniens Tarzan et Arab Nasser, ce premier long métrage a été sélectionné à Cannes pour la Semaine de la critique. La présence d’Arab Nasser au cinéma Le Reflet Médicis à Paris et le jeu de questions/réponses auquel il s’est prêté me permettent de vous en dire plus sur ce film percutant.

Synopsis : Bande de Gaza, de nos jours. Le petit salon de coiffure de Christine déborde de clientes. L’après-midi de détente de treize femmes se voit interrompue par des coups de feu dans la rue : une famille mafieuse a volé le lion du zoo de Gaza et le Hamas décide de lui régler ses comptes ! Coincées dans le salon, les femmes commencent à s’affoler…

Dans ce huis clos à l’image de Gaza, prison à ciel ouvert, treize personnalités se confrontent : une divorcée amère, une religieuse, une lunatique accro aux drogues, une jeune fille en passe de se marier et que sa belle-mère déteste, une femme d’âge mûr qui rêve de jeunesse éternelle ou encore une jeune femme qui vit une histoire d’amour compliquée et dont elle a du mal à se défaire.

Cet espace confiné et réservé aux femmes permet à la parole de se libérer. On y découvre alors des problématiques communes à toutes les femmes.

Une des volontés des réalisateurs du film « Dégradé » est de raconter la vie des gens de Gaza. Souvent dépeints comme des terroristes, empêchés par le blocus et mentionnés essentiellement à travers le conflit israélo-palestinien, qui sont vraiment les Gazaouis ?

« C’est comment de vivre à Gaza ? C’est comment d’aimer à Gaza ? C’est comment de résister à Gaza ? […] On a décidé de parler de la vie des gens, pas de la mort. »

Selon Arab Nasser, un film sur le conflit israélo-palestinien est quelque chose que l’on a l’habitude de voir. C’est ce que l’on attendrait forcément d’un réalisateur palestinien. Lui, tend à humaniser les Gazaouis aux yeux du monde en racontant leur quotidien. Plutôt que de dénoncer la politique israélienne au premier plan du film, chose qui lui a été reprochée à plusieurs reprises lors du débat, il préfère essayer de rendre leur dignité aux Palestiniens. Son œuvre sonne, de toute manière, comme une réponse à la propagande israélienne.

« La résistance ne se fait pas que par les armes »

Parce que tenter de se maquiller pour son mariage alors que la guerre fait rage au-dehors, c’est aussi là une façon de résister.

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Arab Nasser ne ressemble en rien à l’image que l’on pourrait se faire d’un habitant de Gaza : jean slim destroy, cheveux longs, yeux verts soulignés de khôl. Après avoir voyagé à travers le monde dans le cadre de festivals, il confie d’ailleurs que les femmes palestiniennes sont souvent perçues comme forcément voilées, faibles et soumises à leur mari. Ces présupposés sont mis à mal dans ce film où les femmes que l’on voit à l’écran sont braves. Il les compare à la mère de Mohammed Abu Khdeir, jeune palestinien de 16 ans brûlé vif par des colons israéliens en juillet 2014.

Cette œuvre porte une approche nouvelle, celle qui montre que la population de Gaza est doublement victime. D’un côté, le blocus et l’occupation israélienne que l’on retrouve dans ce film à travers les drones et hélicoptères, les coupures d’électricité, le manque de matières premières et les difficultés à rejoindre Jérusalem pour se faire soigner. De l’autre, les tensions internes entre le Hamas et d’autres factions, comme ici avec cette famille mafieuse.

« Hamas tue ses propres frères. Il est important d’être soudés en tant que Palestiniens pour vaincre l’occupant. On dénonce tous ceux qui gâchent la vie des Gazaouis, mais c’est Israël qui est à l’origine de tout ce qui se passe chez nous ».

Déçus par le Fatah, déçus par le Hamas, et si les femmes prenaient le pouvoir ? C’est ce que se met à penser une des personnages du film. Se voyant Présidente, elle attribue un ministère à chacune des femmes du salon. Il y a là une manière amusante d’avancer le fait que certains Gazaouis attendent une évolution, quelque chose de nouveau sur le plan politique.

Sélectionné dans la catégorie « dignité » par le Festival Droits Humains & Cinéma, « Dégradé » est un long métrage plein d’humour noir et qui, surtout par sa fin, réussit à nous prendre aux tripes. Empreint de réalisme par ses plans très rapprochés et brefs, ses bruitages maîtrisés à la perfection et une caméra qui adopte parfois une focalisation interne, on finit par se sentir présent dans ce huis clos asphyxiant.

Le prochain film des jumeaux gazaouis est déjà en cours d’écriture. Pour retrouver « Dégradé » dans les salles françaises, rendez-vous le 10 février 2016.

Yasmine Mrida