Jeudi 12 juin. Un trio emblématique, composé d’un enfant «blanc», d’une jeune fille «noire» et d’un jeune indien entrent côte à côte sur le terrain du stade de São Paulo, pour la cérémonie d’ouverture de la Coupe du Monde. Au sein du rond central, en signe de paix et d’unité, ils lâchent une colombe blanche qui s’envole sous les applaudissements des joueurs brésiliens et croates. Beau geste. Un bémol, cependant, vient ternir la lumineuse opération : en quittant le terrain pour laisser place au premier match de l’évènement, le jeune indien sort une banderole rouge mais l’image est boycottée par les caméras du monde entier, pourtant braquées sur lui une minute auparavant. On peut y lire «Demarcação», – «démarcation» en français.

Le message du jeune indien fait référence à une lutte ancestrale constituant une énième polémique autour du pays organisateur du 20ème «Mundial». Il s’agit d’un appel destiné aux autorités brésiliennes pour une consolidation de la démarcation des terres indiennes dans le pays.

Des tensions se nouent plus intensément autour de cette lutte, ancienne et peu médiatisée. Actuellement, des procédures visent à amoindrir les droits constitutionnels des Indiens, vivant pour la plupart, dans des conditions précaires. Entre conflits fonciers et expulsions, il existe des centaines de procès sur la délimitation des territoires, paralysant un processus complexe concernant près de 90% des terres indigènes.

Indiens du Brésil : spoliés et ignorés

Le Département des affaires Indigènes du gouvernement brésilien (La FUNAI) s’accorde à dire que le plus grand nombre de tribus isolées au monde – 77 en tout- se trouve dans l’Amazonie brésilienne. Or plus de la moitié des Indiens du Brésil vivent hors de l’Amazonie, n’occupant que 1,5% des territoires indigènes qui leur sont réservés ; c’est bien là le nœud du problème. Car si le gouvernement a reconnu 690 territoires indigènes couvrant environ 13% de la superficie du Brésil, 98,5%, soit la presque totalité de ces territoires, se trouvent essentiellement … en Amazonie.

Selon Survival France, une organisation militant pour les droits des Indiens brésiliens, la tribu la plus nombreuse aujourd’hui au Brésil sont les Guarani ; ils sont près de 51 000 et sont quasiment privés de terres. Au cours du dernier siècle, la quasi-totalité de leur territoire a été spolié pour être transformé en terres d’élevage, en plantations de soja et de canne à sucre. De nombreuses communautés sont entassées dans des réserves surpeuplées, d’autres vivent sous des bâches au bord des routes.

Un génocide historique peu médiatisé

En 1500, avant l’arrivée des colons, le Brésil était occupé par près de 11 millions d’Indiens, répartis en 2 000 tribus. Durant le premier siècle de la colonisation, près de 90% d’entre eux furent décimés, en majorité à cause de maladies importées par le colonisateur : la grippe, la rougeole ou la variole.  Leur système immunitaire s’est trouvé aussi démunis que leurs chefs, devant l’ampleur d’un mal qu’ils n’ont su combattre. Les siècles suivants ont vu plusieurs milliers d’autres Indiens mourir, affaiblis par des conditions extrêmement précaires. La plupart étaient réduits en esclavage dans les plantations d’hévéa et de canne à sucre.

‘Ici, c’est ma vie, mon âme. Si vous prenez ma terre, vous prenez ma vie.’
Marcos Veron, Guarani

Les crimes, les viols, les spoliations, les humiliations ont été le quotidien de ce qui se révèle être un véritable génocide. Les conditions des indigènes ont été tellement insoutenables que l’éminent sénateur et anthropologue Darcy Ribeiro avait prédit que les Indiens disparaitraient dans les années 1980. Une des affaires les plus marquantes de ce génocide, porte un nom qui parle de lui-même : Lors du «Massacre du 11ème parallèle», en 1963, un baron du caoutchouc ordonne à ses hommes de lancer des bâtons de dynamite dans un village de Cinta Larga, et d’assassiner les survivants à coups de machette.

C’est au terme de vingt-deux ans de dictature militaire, qu’une nouvelle Constitution est votée en 1985. Les Indiens et leurs partisans firent pression pour obtenir davantage de droits, ce qu’ils n’ont obtenu qu’en partie. Les Indiens ne jouissent toujours pas de la propriété foncière collective à laquelle ils ont droit en vertu de la législation internationale, à ce jour inappliquée.

Les défis actuels des Indiens du Brésil

Malgré plus de 200 organisations indigènes qui sont au premier plan dans la défense de leurs droits ; des manifestations pour protester contre les projets gouvernementaux qui les affaiblissent, les défis auxquels les indigènes doivent faire face sont nombreux et complexes.

D’un point de vue économique, d’abord. Le Brésil veut développer et industrialiser l’Amazonie à travers des projets agressifs visant même ses zones les plus reculées. Plusieurs barrages hydro-électriques sont en cours de construction à proximité de groupes d’Indiens isolés, visant à fournir de l’énergie bon marché à des compagnies minières qui s’apprêtent à exploiter les territoires indigènes. Si le Congrès adopte ce projet de loi, défendu par un puissant lobby minier, il privera certaines tribus d’eau, de nourriture et de terres à coup d’expropriation forcée.

Face à cette cruelle réalité, des mouvements de résistance se sont mis en place. Le Conseil indigène du Roraima, par exemple, mène des projets d’élevage, de pêche, et de préservation de banques de semences pour la diversité génétique dans le but d’assurer l’autosuffisance de la tribu.

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Mais malgré ces efforts, un racisme endémique persiste vis-à-vis des Indiens du Brésil se traduisant juridiquement par des mesures les réduisant dans leurs droits civiques ; au regard de la loi brésiliennes, ils sont toujours considérés comme des mineurs.

En 2014, le Brésil accueille la Coupe du Monde dans un climat partagé entre fierté et dégout. Expropriations pour cause de construction de stades ; augmentation de prix insoutenables pour la population locale ; mesures anti-mendicité aggressive… Au milieu de l’effervescence de l’évènement se dessinent des injustices croissantes ayant donné lieu à plusieurs manifestations. Les 11 milliards de dollars de fonds publics investis dans l’organisation de cette Coupe du Monde représentent une somme perdue pour le développement d’un pays rongés par la gangrène des mafias, la pauvreté des favelas et un fossé grandissant entre une minorité riche et une majorité pauvre. Au milieu des problématiques sociales et économiques qui secouent le plus grand pays de l’Amérique latine, n’oublions pas la cause indienne. Dans le silence des caméras du monde entier, qui ont détourné leur regard de la banderole du jeune indien, il est de notre responsabilité de crier sa cause, haut et fort.

Sonia Hamdi

Sources :

Le Monde, Sao Paulo: l’étrange omission télévisée de la cérémonie d’ouverture

Survival France, Indiens du Brésil