1997. Le monde fait connaissance avec « Harry Potter », un jeune garçon de 11 ans n’ayant, à priori , rien de très séduisant, mais plutôt tout d’une victime. Avec ses cheveux hirsutes, sa cicatrice en forme d’éclair sur le front, ses vêtements trop grands et ses lunettes rafistolées au Scotch, Harry est un adolescent orphelin brimé par son oncle et sa tante, jusqu’au jour où Hagrid, envoyé par Poudlard, l’école de magie, lui annonce qu’il est un sorcier.

Si ce livre a, au premier abord, tout d’un conte pour enfants, il n’en reste pas moins LE phénomène littéraire du XXIème siècle. Au-delà de ses aspects fantastiques et magiques, J.K. Rowling, auteure de la saga, délivre des messages forts, des messages de tolérance, de respect, mais également de mise en garde. Décryptage d’une saga bien plus adulte que ce qu’elle laisse penser.

J.K. Rowling, auteure de Harry Potter
Une fable politique

Tout commence lorsque l’un des fondateurs de Poudlard, Salazar Serpentard, déclare qu’il ne faut enseigner la magie « qu’aux descendants des nobles lignées », ceux qui sont appelés dans les romans de Rowling les « Sang Pur », autrement dit les véritables sorciers. Bien des siècles plus tard, Tom Jedusor, alias Lord Voldemort, reprend les idées de Serpentard. La théorie raciale de Voldemort et de ses partisans repose sur une conception raciste du « sang » et met en place une échelle de valeurs des individus. Le seul sorcier authentique, le « Sang Pur » est celui qui peut prouver que ses deux parents sont sorciers et, par conséquent, maîtrisent la magie. Est considéré comme « Sang Mêlé » celui dont le père ou la mère est un(e) Moldu(e), c’est-à-dire une personne n’ayant pas de pouvoirs magiques. Enfin, un « Sang-de-Bourbe », notion extrêmement discriminatoire, est une personne issue de Moldus mais qui a tout de même des pouvoirs magiques, comme Hermione Granger, la meilleure amie d’Harry Potter.

Voldemort

La plupart des sorciers et sorcières eux-mêmes se considèrent comme des êtres supérieurs aux Moldus. Mais alors, qu’en est-il des « Cracmols », ces sorciers ne disposant pas de pouvoirs magiques ? Des gobelins ? Des elfes de maisons ? Des géants ? Des centaures ? Des loups-garous ? Ils sont tout simplement appelés « demi-êtres ». Certains sorciers voient dans le fait de posséder une baguette une forme raffinée de magie qu’ils opposent à une utilisation « primaire » qu’en font les autres créatures.

Lorsque Voldemort regagne du pouvoir (politique), son but est de chasser tout ce qui touche de près ou de loin au « métissage ». C’est ainsi qu’en ouverture des Reliques de la Mort, ultime tome de la saga, il assassine Charity Burbage qui proposait à Poudlard une étude des Moldus ouverte, tolérante, invitant au partage et à la rencontre des deux communautés.

Toujours dans le dernier tome, Dolores Ombrage, employée par le Ministère de la Magie, recense et auditionne les sorciers nés de Moldus- ce qui n’est pas sans rappeler les rafles ou les chasses ethniques- leur demandant à qui ils ont « volé leur baguette ». Avec Lord Voldemort au pouvoir, appelé aussi « Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom », ses partisans chassent ou poursuivent les « Sang-de-Bourbe » qu’ils jugent étrangers à leur communauté ; l’étranger étant la cible idéale des mouvements d’extrême droite. Il est craint ou détesté parce qu’il serait un voleur de travail ou pire encore, un chercheur d’allocations sociales, comme le montrent certaines réactions de notre époque. Le but suprême de Voldemort est donc d’éradiquer tous ces êtres « inférieurs » aux vrais sorciers.

Un dictateur qui refuse le métissage, qui abolit la liberté des individus, qui veut éradiquer ou soumettre toute personne ne correspondant pas à une norme physique ou généalogique imposée par lui-même, cela ne vous rappelle-t-il donc personne ?

Dichotomie du bien et du mal

Certains personnages sont décrits par Rowling comme des êtres malfaisants, notamment Dolores Ombrage ou Voldemort, et leurs comportements ne laissent planer aucun doute là-dessus. Un clan du mal est même clairement identifié grâce à une « Marque des Ténèbres ». Heureusement, Rowling fissure la séparation nette établie très vite entre les « bons » et les « mauvais » sorciers. Certains personnages nous ont même obligés à revoir totalement notre jugement à leur égard, positivement comme négativement.

James Potter, Sirius Black et Albus Dumbledore ont leur zone d’ombre. James Potter, père idolâtré par Harry, était assez odieux envers Severus Rogue lorsqu’il le harcelait à Poudlard durant leurs études ; Sirius Black, le parrain d’Harry Potter, passe du statut d’ennemi public numéro un à celui de parrain dévoué, mais se révèle très déplaisant lorsqu’il s’adresse à son elfe de maison, Kreattur.

Albus Dumbledore, quant à lui, fait le choix d’enseigner à ses élèves la tolérance. Pour cela, il tente de leur donner l’exemple à l’égard d’Hagrid, de Lupin ou des créatures magiques en les considérant avec respect et bienveillance. Pourtant, en découvrant le passé de Dumbledore, Harry va de désillusions en désillusions. En discutant avec Abelforth, le frère d’Albus Dumbledore, il apprend que celui-ci était un frère tyrannique et arrogant qui négligeait de prendre soin de sa sœur handicapée parce qu’il « travaillait pour le plus grand bien » avec, en somme, l’idée que la fin justifie les moyens.

Albus Dumbledore

Mais s’il est un personnage qui nous oblige à reprendre le récit sous un angle complètement inversé, c’est sans nul doute Severus Rogue. Ne se contentant pas d’être le personnage le plus réussi de la saga, il achève la formation d’Harry. Lorsque le lecteur lit la saga, il le sait, Rogue n’est pas tolérant. Mais il aime en Lily, la mère d’Harry, l’incarnation de la tolérance ; cela lui suffit pour agir contre ses propres convictions. Dans « Harry Potter à l’école des philosophes », Jean-Claude Milner l’explique : « La découverte finale permet à Harry d’aller au-delà de lui-même. Il tenait Rogue pour l’incarnation du Mal, plus encore que Voldemort, à cause de l’ampleur de sa trahison ; il découvre en lui le plus grand sacrifice. Sur le point de mourir, Rogue répète à Harry qu’il a les yeux de sa mère, mais ce n’est pas encore tout à fait vrai : Harry devra voir à quel point il a mal jugé Rogue, depuis l’origine, pour que son regard traverse les apparences et découvre la beauté par-delà la laideur de la surface. »

Un puissant message de tolérance

En 2016, Anthony Gierzynski, professeur de sciences politiques à l’Université du Vermont, affirme avoir « trouvé des bases empiriques pour étayer l’idée que la série Harry Potter a influencé les valeurs politiques et les perspectives de la génération qui a grandi avec ces livres ». Plusieurs études menées ces dix dernières années par diverses universités européennes et américaines tendent vers la même conclusion.

Le fait d’avoir lu Harry Potter est corrélé avec un plus haut niveau d’acceptation et de tolérance envers les personnes extérieures à son propre groupe, avec une plus grande tolérance politique et avec une moindre disposition pour l’autoritarisme, avec des convictions égalitaires plus marquées et avec une opposition plus forte à l’égard de la violence et de la torture. Il s’agit là des thèmes centraux régissant l’univers du petit sorcier.

J.K. Rowling elle-même a souligné que si quelque chose devait être retenu de ses livres, c’était un enseignement de la tolérance. Il n’est donc pas faux de penser que la lecture peut changer le monde. Et si, amis français, elle peut même vous aider à voter pour l’humain, le respect de l’autre et la diversité lors de vos élections présidentielles, il y a tout à gagner.

« Les différences de langage et de culture ne sont rien si nous partageons les mêmes objectifs et si nous restons ouverts les uns aux autres. »

– Albus Dumbledore dans Harry Potter et la Coupe de Feu –

Alexia ZAMPUNIERIS