Relativement peu abordée, la question de la présence musulmane n’a jamais vraiment fait débat dans cette partie du monde. Cependant, c’est en 2014, dans un contexte international sous tension, que naît la peur de l’implantation d’un islam violent et radical en République Démocratique du Congo. En effet, certains faits de violence extrêmes perpétrés par les Forces démocratiques alliées (ADF), un groupe armé ougandais islamiste, ont eu pour conséquence la stigmatisation des musulmans dans le Nord et Sud Kivu à l’Est du pays.

En République démocratique du Congo, le nombre exact de musulmans est difficile à définir. Pas étonnant, puisque même le nombre d’habitants est nébuleux dans ce pays. Selon COMICO, organe officiel des musulmans de la République Démocratique du Congo, la présence musulmane a longtemps été sous-estimée, par exemple, par les chiffres avancés par le Pew Research Center. Celui-ci affirmait que le nombre de musulmans au Congo était de 1,5%. Aujourd’hui le COMICO estime que 10 à 12 % de Congolais sont musulmans en se basant sur les chiffres du World Factbook de la CIA.

L’islam, héritage de la traite des esclaves

Jusqu’au 19e siècle, l’Afrique était le continent le moins connu des Européens (Terra incognita). Des navires marchands portugais, néerlandais et britanniques en route pour les Indes s’étaient familiarisés avec les côtes. Cependant, le centre de l’Afrique n’évoquait pas grand-chose pour les commerçants jusqu’en 1850. À cette date là, la forêt équatoriale de l’Afrique centrale suscite l’intérêt des commerçants non seulement de l’île de Zanzibar, mais aussi de la côte Est de l’Afrique allant jusqu’à L’Égypte.

Les Arabes sont arrivés dans la province de Maniema, et plus précisément sur les territoires de Kasongo dans le village de Nyangwe”, explique le Cheikh Assimi, représentant de la communauté musulmane de Goma. Ces hommes venus de l’Afrique orientale, intéressés par la région des Grands Lacs, ont été séduits par une matière première : l’ivoire. Outre les matières premières, un autre facteur a amené la venue d’étrangers dans la région : la traite négrière. Par ailleurs, en 1856, le commerce d’esclaves dans la région était exclusivement entre les mains d’un seul homme : Al Zubayr. Ce personnage était un commerçant soudanais très puissant dont l’empire s’étendait en 1880 du nord Congo jusqu’au Darfour. L’influence arabe s’étendait jusqu’au sud du Soudan.

Tippo Tip
Tippo Tip.

Un autre homme tristement célèbre a marqué l’histoire : Tippo Tip, lui aussi marchand d’esclaves, de son vrai nom Hamed Ben Mohamed Ben Yuma Ben Rajab El Murjebi. Descendant d’une famille afro-arabe de Zanzibar, il devient l’homme le plus puissant de l’est du Congo jusqu’en 1887 où il est évincé par la mise en place de l’État indépendant du Congo qui sera la propriété de Léopold II. Souvenez vous qu’en février 1885, le Congrès de Berlin reconnaissait officiellement la souveraineté de Léopold II et faisait du Congo, l’État privé du roi de Belges.

Les missionnaires catholiques sont arrivés avec une volonté de convertir cette partie du monde », explique Cheikh Assimi. « Les Arabes ont été dépassés par les moyens déployés à des fins d’évangélisation. Parallèlement cette région verra la construction de la première cathédrale, mais aussi de la première mosquée. Ce qui témoigne de la rivalité entre les deux religions”, poursuit  le Cheikh Assimi. Les Arabes ont été chassés, mais leur présence et l’entreprise esclavagiste a laissé une empreinte religieuse dans le sud du Congo qui a perduré au travers le temps, celle de l’Islam.

L’islam et la colonisation belge

Dès les premières heures de la colonisation belge, les signes extérieurs d’appartenance religieuse à l’islam sont combattus. Prétextant une lutte contre l’esclavagisme, une bataille contre le développement de l’Islam au Congo a été menée par l’Église avec le soutien de l’administration belge. Interdiction de construire des mosquées, destruction de certaines d’entre elles, interdiction de faire fonctionner des écoles coraniques, les mesures étaient nombreuses dans le but de limiter la présence de l’Islam au Congo. Ignorés et stigmatisés, les Congolais musulmans étaient désintéressés par la politique avant l’arrivée de Patrice Lumumba. Le leader congolais sera pour eux l’occasion de sortir du silence en le soutenant dans la lutte pour l’indépendance.


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Premier organisme de représentation des musulmans en 1972:  Le COMIZA

Le 10 février 1972, soit 12 ans après l’indépendance, le gouvernement congolais reconnaît officiellement la communauté musulmane et le COMIZA devient l’organisme de représentation officielle de la Communauté Musulmane du Zaire. Après la décolonisation du Congo, ce sont des marchands d’Afrique de l’Ouest qui arrivent au Congo, mais aussi des Libanais apportant avec eux une autre doctrine islamique : le chiisme. Les Indiens qui s’installent également au Congo pour des fins économiques apportent avec eux leurs influences.

Musulmans à Goma : février 2018

C’est sur la route principale qui nous mène au foyer culturel de Goma que nous voyons la première mosquée. Plus loin, nous entendrons l’appel à la prière et très vite nous sommes interpellés par des « As-Salamo3alikoum ». Goma vit à plein régime. Au fil des rencontres, nous observons une cohabitation pacifique entre les communautés religieuses de la ville.

En compagnie du Cheikh Assimi, deuxième personne en partant de la gauche.

La collaboration interreligieuse existe. Et des réunions de concertation ont lieu sur une plateforme (CODEP) à laquelle sont conviées toutes les confessions cohabitantes sur le territoire congolais”, assure le Cheikh Assimi.

Parmis les 4 écoles, celle de L’Imâm Ash-Shâfi’i prédomine au Congo. Il  existe des confréries soufies à Goma, mais restent très discrètes par rapport à l’influence qu’elles ont en Afrique de l’Ouest par exemple avec les Tidjanes ou les Mourides. Bien que des militaires Sénégalais vivent ici à Goma et que leurs pratiques séduisent certains, cela reste minoritaire”. nous témoigne le Cheikh Assimi.

Organisation des musulmans au Congo

Kinshasa est le fief de représentation de l’islam en RDC. Il existe un porte-parole et figure d’autorité de la communauté musulmane de la région à Goma, mais ce dernier est dépendant de Kinshasa. Des associations islamiques voient le jour petit à petit. Ces actions sociales demandent du soutien financier, or ces structures fonctionnent à leurs frais. Le Cheikh Assimi déplore, par ailleurs, le manque de moyens : “Un des besoins criants des musulmans résidant à Goma est la nécessité de construire des mosquées et des écoles, le gouvernement est boiteux à ce niveau-là. Il y a un besoin criant d’orphelinats”. Selon Assimi, plus de 45 000 musulmans vivent à Goma. Il n’y a que 27 lieux de culte islamique. Huit mosquées officient la grande prière du vendredi. Tous les musulmans de la ville sont appelés à rejoindre ces huit mosquées le vendredi. Par ailleurs, depuis plus de dix ans, la société civile congolaise pointe du doigt la communauté musulmane en dénonçant un potentiel extrémisme et un prosélytisme latent d’un islam radical. Selon une étude de l’Ifri (Institut français des relations internationales), aucune preuve tangible n’existe à ce jour. Entre 2008 et 2009, un officier pakistanais de la MONUSCO a fait construire six mosquées sur ses fonds propres dans le territoire de Walungu au Sud-Kivu. Toutefois, rien n’indique qu’il s’agirait d’une volonté de promouvoir un islam radical.

Rencontre avec des musulmans dans une mosquée à Goma.

Médiatiquement et politiquement peu représentée, la communauté musulmane du Congo semble être en expansion et marque une volonté plus forte d’exister sur la scène politique et sociale. Néanmoins, le christianisme reste largement la religion majoritaire. La stabilité fragile de la région pousse les habitants à s’organiser pour ne pas créer des malentendus. L’association “Dynamiques Islamiques de lutte contre le terrorisme dans la région des Grands Lacs” a été créée pour répondre à l’extrémisme et à la stigmatisation des musulmans. Cette structure plaide auprès du gouvernement congolais majoritairement non-musulman. Durant notre discussion, le Cheikh soupire et constate le manque de représentativité de la population de confession musulmane en RDC : “Sur 26 provinces du pays, aucun gouverneur n’est musulman. À l’assemblée générale, 540 députés, deux musulmans seulement”.

Des musulmans qui comme ailleurs luttent contre la stigmatisation suite à un contexte mondial péniblement lourd à porter. Se redéfinir, s’affirmer, être représenté, autant de combats que les musulmans peinent à mener en Europe également. Un pays historiquement affaibli par la soif de pouvoir, la traite négrière, la colonisation…mais qui continue à croire en l’espoir. Les Congolais ont en commun une histoire, et un présent sanglants. Cependant, différents témoignages penchent vers l’envie de construire ensemble en vue d’une paix sociale. Un mince espoir dont tout le monde rêve.

Yousra Dahry