Sur un post Facebook, James Taylor, vivant à Ankara s’élevait : « Vous étiez Charlie, vous étiez Paris. Serez-vous Ankara ? ». Le 13 mars 2016, un attentat à la voiture piégée secouait la capitale turque. Au moins 37 personnes perdent la vie dans l’explosion.


L’auteur du post poursuit sa colère : « Il est très facile de regarder les attaques terroristes qui se produisent à Londres, à New York, à Paris et à ressentir de la douleur et de la tristesse pour les victimes. Alors pourquoi est-ce que ce n’est pas la même chose pour Ankara ? (…) Est-ce parce que vous pensez que la Turquie est un pays à majorité musulmane comme la Syrie, comme l’Irak, comme les pays qui sont dans un état ​​de guerre civile ? ». Avant que la théorie du choc des civilisations (encore une fois) s’invite dans les explications à ce phénomène, je suis parti à la recherche du plausible. C’est vrai que ce silence émotif peut s’apparenter à un nombrilisme occidental. Jusqu’à ce que la marée des réactions sur les réseaux sociaux fasse poindre des commentaires captivants, c’était le postulat cohérent qui était le mien. Mais tout compte fait, parle-t-on de nombrilisme occidental ou peut-on parler de nombrilisme humain tout court ? Comment désigner cette fichue indignation sélective ? Autant vous dire que la démarche est d’une importance puisque mal nommer les choses pourrait ajouter une plus value au malheur du monde comme dirait l’autre. Et voilà dans la brume, une réflexion percutante illumine les astres les moins scintillants du web. J’ai décidé de poster la trouvaille dans son intégralité qui explique l’empathie choisie :

« Voici ce que j’écrivais il y’a quelques minutes. Il n’y a rien de plus hypocrite que déclarer péremptoirement que tous les morts sont égaux et que la géographie des sentiments est une ignominie. Comme si la mort d’un marmot qu’il a vu grandir peinait autant un Syrien que la mort d’une victime du Bataclan. Et inversement, un Européen ne peut ressentir la mort de son voisin avec autant d’affliction que celle qu’aurait engendrée la disparition d’un Inuit. Même en France, on ne vivra pas les attentats à Bruxelles comme on a vécu les attentats du 13 novembre et inversement, je ne pense pas les Belges ont médité les attaques de Paris avec la même intensité. Pourtant je ne pense pas que les Belges viendront reprocher cela aux Français et inversement. D’ailleurs je ne pense pas que les Français et les Belges aient érigé en cause nationale l’expression de la solidarité de toute l’humanité vis-à-vis des drames qui les touchent, jusqu’à preuve du contraire, je n’ai jamais vu un seul Français forcer qui que ce soit à mettre  » Je suis Paris  » ou d’exprimer publiquement sa solidarité sur les réseaux sociaux, dans les médias, etc. Ce sont des prétentions faussement humanistes. Toutes les morts sont tristes, mais plus elles sont géographiquement proches, plus elles sont pénibles et cela est valable pour tous les êtres humains.

Sans vouloir manquer de respect à qui que ce soit, je pense que ceux qui affirment que tous les morts se valent veulent paraître en société comme des gens aux sentiments élevés, mais ils se mentent à eux-mêmes. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, je ne dis pas qu’il faut être indifférent, je l’ai dit dans mon commentaire, c’est triste, mais la nature humaine respecte la géographie des sentiments, c’est ainsi. Est-ce que les 6 millions de morts au Congo vous touchent autant que les attentats qui ont endeuillé vos pays d’origine ? Certainement pas. En ce sens, les morts ne se valent pas, selon nos origines, nous réagissons variablement à ce genre de drame. Cela est parfaitement subjectif et compréhensible. Il pourra soulever les montagnes et le ciel, mais aucun Turc ne pourra soutenir devant moi que les morts d’Ankara ont autant de valeur à ses yeux que ceux de Paris. Pourquoi ? Parce que ceux qui sont morts sont Turcs, ils appartiennent à sa famille élargie, son espace culturel, contrairement aux Français même si il peut être attristé par ces deux événements. Et même à l’échelle communale, régionale, la géographie des sentiments est respectée. Il y’a eu dans ma région un accident de bus qui a coûté la vie à plusieurs adolescents. Je peux vous assurer qu’en dehors de la ville voire du département dont ces enfants sont issus, cela n’a affecté que très peu de Français. C’est comme ça partout dans le monde. Après si vous préférez croire le contraire, grand bien vous fasse ! »

Que l’on soit d’accord ou pas, la vérité absolue est le vernis du subjectif. Conclusion : comprendre, ce n’est pas excuser. Comprendre, ce n’est pas oublier non plus.

Nikita IMAMBAJEV