Lire le chapitre 1 : Du berceau à la case prison


Malcolm Little rentre en prison avant de souffler ses vingt-et-une bougies, il est jeune, insolent et inspire la crainte et le respect. Dans les prisons américaines, nombre de détenus se tournent alors vers la spiritualité, la majorité écrasante, vers le christianisme. Mais Malcolm refuse catégoriquement de faire partie de ces gens, il refuse de se laisser attendrir et cultive la haine. C’est dans ce contexte qu’il menace, à titre préventif, quiconque oserait lui parler de Dieu. Dans le pénitencier, cette attitude lui vaut le surnom de Satan.

Réginald et Philbert, deux de ses frères, viennent de rentrer dans la NOI (Nation Of Islam), organisation suprématiste noire se réclamant abusivement de l’islam. Ce dernier prend les devants et envoie une lettre à Malcolm pour l’inviter à adhérer à la NOI. Celui qui se fait appeler Satan en prison ne se gêne pas de lui dire ce qu’il pense de sa « sainte » église. Reginald, quant à lui, connait trop bien Malcolm que pour tenter de lui parler de Dieu, de Prophétie, de respect ou d’amour fraternel. Il rédige une lettre en s’adressant à lui selon son langage et son tempérament : « Malcolm, ne mange plus de porc et ne fume plus. Je te montrerai comment sortir de prison ». Malcolm accepte de suivre la recommandation, même s’il est loin de comprendre comment, il estime que si son frère lui dit que c’est une façon de sortir de prison c’est que cela doit l’être. C’est ainsi qu’il va, de fil en aiguille, commencer à suivre les préceptes de la NOI jusqu’au jour où, depuis sa cellule, il reçoit une lettre du « vénérable » Elijah Muhammad, chef et « Prophète » des musulmans noirs de la NOI. Ce dernier y dit : « Tu ne sais pas qui tu es. Tu ne sais même pas, parce que le Blanc s’est bien gardé de te le dire, que tu appartiens à une civilisation très ancienne, riche en or et en rois. Tu ne connais même pas ton vrai nom de famille, tu ne reconnaîtrais pas ta propre langue si tu l’entendais parler. L’homme blanc t’a bien aliéné. Depuis le jour où le diable blanc t’a assassiné, violé, arraché à ta terre natale dans la personne de tes ancêtres, tu as été sa victime. »

Il décide alors d’abandonner son nom de famille. « Little » n’était que le nom donné par un maître blanc à son ancêtre, esclave noir, il le remplace par le symbole de l’inconnue mathématique, le « X ». Dorénavant il sera Malcolm X, membre de la Nation Of Islam, disciple du Prophète Elijah Muhammad et descendant d’une civilisation très ancienne, riche en or et en rois, malheureusement dépouillée depuis longtemps par les diables blancs.

Malcolm X reçoit de nombreuses lettres d’autres disciples d’Elijah et commence à changer. Il décide de se former de façon intensive depuis sa cellule afin de rattraper toutes les années perdues. Il se retire et passe son temps à lire, de jour comme de nuit, il lit tout ce qui lui passe entre les mains. Il dira plus tard qu’il n’a jamais été aussi libre qu’en prison car, là-bas, il avait un accès total au savoir et aucune autre responsabilité. Afin d’enrichir son vocabulaire, il décide même d’étudier le dictionnaire et en recopie chaque mot avec sa définition. Il se sent investi d’une mission, les Noirs ont été trompés par les Blancs depuis trop longtemps et il doit se préparer à les informer. En parallèle, il participe régulièrement à l’atelier de débats organisé pour les prisonniers, il y apprend ainsi à défendre des idées, à argumenter, et à démonter méthodologiquement les contre-arguments de ses opposants.


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À sa sortie de prison, Malcolm X grimpe rapidement les échelons du Mouvement. Il devient pasteur (l’équivalent de l’imam dans la NOI) dans un « temple musulman», puis commence à en fonder d’autres partout aux États-Unis. Il est acclamé de toutes parts, voyage d’une ville à l’autre, d’un État à l’autre, et commence même, selon certains dires, à faire de l’ombre au « Prophète » de la NOI, le grand Elijah Muhammad. Les médias se font un malin plaisir à le mettre en avant et à populariser son message : il est invité à la radio, à la télévision ; l’homme noir qui traite les Blancs de diables intrigue les Américains. Ses prêches enflammés, mettant en exergue les déplorables conditions de vie des Noirs en Amérique et appelant à s’organiser, attirent des dizaines de milliers de sympathisants. Des nouveaux temples, ouverts grâce aux donations des disciples, accueillent alors, un peu partout, la communauté toujours croissante de la NOI.

Pourtant, dès le début des années  60, l’expansion du Mouvement commence à s’endiguer. Des rumeurs liées au mode de vie d’Elijah Muhammad vont entacher la NOI. De son côté, Malcolm se fait de plus en plus d’ennemis de l’intérieur, d’aucuns considèrent qu’il a pris trop de place dans le Mouvement et qu’il est temps pour lui de prendre des distances. À la suite d’une déclaration publique non autorisée par la NOI, il sera alors « temporairement » condamné au silence par le « vénérable » Elijah Muhammad en personne. À suivre…

Yusuf Lopez

Sources

Malcolm X (et Alex Haley), L’autobiographie de Malcolm X, Paris, Presses Pocket, 1993

Tariq Ramadan, La vie de Malcolm X.

Malcolm X (et Alex Haley), L’autobiographie de Malcolm X, Paris, Presses Pocket, 1993, p. 136.

Les membres de la NOI se réunissent au temple et non à la mosquée. Beaucoup de pratiques et de qualificatifs du Mouvement sont calqués du protestantisme.

Malcolm X a « fondé ou aidé à fonder la plupart des cent et quelques mosquées [temples] ouvertes dans les cinquante États Américains. Il m’arrivait de sillonner l’Amérique d’est en ouest, trois ou quatre fois par semaine. Souvent je ne dormais qu’en avion. »