Parmi toutes les peurs nommées et reconnues, nous connaissons notamment l’agoraphobie, l’arachnophobie, la claustrophobie ou encore l’homophobie. Ajoutez à cette liste sans fin la « pauvrophobie », un nouveau terme désignant un concept tristement établi : la peur du pauvre.

Le mot a été officiellement élu par ATD Quart-Monde, après un sondage auprès de ses militants, et lancé le 17 octobre à l’occasion de la Journée mondiale du refus de la misère : la « pauvrophobie », comprenez le rejet du pauvre, et plus particulièrement le rejet des sans-abris.

Bien qu’il soit, par définition, extrêmement compliqué de comptabiliser le nombre de sans-abris en Belgique, une enquête de 2011 révélait qu’il y avait 140 000 personnes sans domicile personnel, à la rue ou logées dans des foyers d’accueil. Depuis, ce chiffre a augmenté de 50%. Mais comment expliquer cette peur du pauvre et d’où nous vient-elle ? Par quoi est-elle motivée et encouragée ?

La pauvrophobie ne se constate pas de la même manière que le racisme ou l’homophobie, par exemple. En effet, ceux-ci sont clairement exprimés : il existe des manifestations, des partis politiques qui les encouragent et la « peur du migrant » est de plus en plus claironnée. Mais qu’en est-il de la peur du pauvre ? Et bien, elle est tout aussi présente, sauf qu’elle est plus vicieuse. Il s’agit d’actes dissimulés. Elle ne se clame pas, elle s’insinue dans nos quotidiens, via les riverains, les actions locales et les politiques, et nous est servie sur un plateau d’argent. Utiliser le terme « cassos », par exemple, est déjà un exemple. Par son biais, on montre déjà que l’on voit les personnes pauvres comme des personnes différentes. L’idée génère l’action.

Plusieurs phrases toutes faites participent d’ailleurs au renforcement de la pauvrophobie. La théorie selon laquelle « qui cherche du travail en trouve » en fait partie et rend dans ce cas la personne responsable de son sort. Faire croire aux gens qu’il y a tout un tas d’emplois en Belgique est culpabilisant pour les chômeurs, car, en fait, la réalité est toute autre. « A Bruxelles, pour sept personnes qui cherchent du travail, il n’y a qu’un seul emploi disponible. En Wallonie, cette proportion est de dix pour un. » Les personnes pauvres sont jugées responsables aux yeux des autres et cela entraîne une baisse de leur estime de soi, comme si leur situation ne suffisait pas. On ne peut pas dire que la précarité crée une déferlante d’empathie.

N’avons-nous pas déjà entendu ou prononcé nous-mêmes ces paroles : « sont-ils vraiment pauvres, ces pauvres qui achètent un smartphone dernier cri ou un téléviseur à écran plat, alors qu’ils se plaignent de ne pas boucler leur fin de mois ? »

Derrière cette question se cache- à peine- un jugement selon lequel les personnes pauvres seraient incapables de gérer raisonnablement un budget.

Mais ne vivons-nous pas dans une société fortement matérialiste ? Une société dans laquelle l’on existe que si l’on possède l’objet dernier cri, une société dans laquelle les publicistes nous vendent leurs produits comme le « Saint Graal », fondateur de notre bonheur. Et ce raisonnement ne s’applique pas aux simples d’esprit. N’avez-vous pas, dans votre poche, une petite pomme connectée ?

Les discours politiques et les journaux télévisés principalement renforcent ces préjugés et cloisonnent la population ; il n’y a donc que très peu de contacts entre les différents milieux sociaux. Si nous n’avons pas vraiment d’idées sur la façon dont vivent les autres, nous ne cherchons pas non plus à le savoir et c’est de là que naissent les représentations mentales.

 

La crise économique que l’on connaît est tellement importante que tout un chacun craint pour sa situation et son avenir. Les SDF que l’on croise en rue nous renvoient un miroir de nos propres peurs et pourtant, ils ne représentent qu’une infime partie de la pauvreté. En effet, combien existe-t-il de familles logées dans des conditions insalubres ? Pourtant, elles sont hébergées, elles ont un toit et on ne les voit pas.

Mais quelles actions concrètes appuient la pauvrophobie ? Comment s’exprime-t-elle dans nos rues ? Car, oui, évidemment, elle s’exprime. Ce sont ces dispositifs anti-SDF dans les stations de métro, ce sont des plots à bouts pointus installés sur les parvis des immeubles liégeois. Tandis que la ville de Paris a remis en place des sanisettes gratuites, celle de Marseille ne comporte désormais plus aucune toilette ni douche publique. En somme, la déploiement d’action politique s’attaque aux personnes plutôt qu’aux racines du problème.

Loin de toute idée utopiste, renforcer la pauvrophobie, c’est renforcer la perte collective puisque, comme le souligne Christine Mahy, membre du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté, « le potentiel que chaque individu a en lui et peut cultiver, quand il est dans le trop peu de tout, il est obligé de le manger pour survivre. »

« On ne peut pas donner à tout le monde », c’est certain, mais comme le dit l’adage, « un sourire ne coûte rien et produit beaucoup. » Créer des tables plus longues et non des murs plus hauts. S’ouvrir à l’autre et communiquer.

Alexia Zampunieris


Alexia vient de publier son nouvel ouvrage intitulé « Mademoiselle cherche le soleil » aux Editions Chloé des Lys à découvrir ici