Alohanews est allé à la rencontre de Rokhaya Diallo. Chroniqueuse, essayiste, éditorialiste, cette femme aux mille facettes est l’incarnation de la femme contemporaine. Elle milite contre la discrimination et le racisme en France. Son dernier ouvrage s’intitule : « Comment parler de racisme aux enfants ? ». Dans cet entretien, elle revient sur la banalisation du discours raciste, sur la laïcité, l’affaire « Leonarda » ainsi que sur le contrôle au faciès.

Vous êtes l’auteure entre autres de « Racisme : mode d’emploi ». Comment avez-vous réagi suite aux propos tenus dans le quotidien Le Monde du journaliste Harry Roselmack qui regrette le « retour de la France raciste » ?

Je salue cette initiative d’Harry Roselmack. Je trouve que c’est positif qu’une personnalité comme lui prenne la parole sur des sujets comme celui-ci. Malheureusement, je pense que cette France raciste n’est jamais partie. Aujourd’hui, quelque chose qui était très enfouie s’exprime de manière beaucoup plus débridée. Ce que l’on peut entendre sur les propos racistes envers Christiane Taubira, ce sont des paroles qui peuvent aussi être tenues à des personnes lambda. Ce n’est que l’expression d’un racisme qui était déjà présent.

Comment expliquez-vous la banalisation du discours raciste à l’image des propos tenus à l’égard de la garde des Sceaux, Christine Taubira, qualifiée de « guenon» ?

Cela fait une bonne décennie que l’on écoute des choses assez virulentes à l’égard des minorités ou des personnes qui sont issues de la banlieue. Elles ont été amalgamées et associées à des racailles qu’on allait nettoyer au Kärcher. Ce sont quand même des mots très durs prononcés par un ancien ministre de l’Intérieur (cf. Nicolas Sarkozy). Depuis les élections présidentielles en 2002 où Jean-Marie Le Pen est arrivé au second tour, la classe politique surfe sur les thématiques du Front national. C’est payant sur le plan électoral. L’escalade du discours raciste a commencé depuis plus de dix ans. Ce racisme s’est inscrit dans l’agenda médiatique vu qu’il est question d’une ministre de la République.

Que répondez-vous à ceux comme Florian Philippot, vice-président du Front national qui dit que cette question de racisme n’est qu’un écran de fumée à cette colère sociale qui touche actuellement l’Hexagone ?

Entre 2011 et 2012, le CNDH (Conseil national des Droits de l’Homme) qui se base sur les chiffres du ministère de l’Intérieur a noté une augmentation d’actes racistes à hauteur de 23 %. Je demande à Florian Philippot qu’il me montre ses chiffres qui prouvent le contraire. Aujourd’hui, quand on est noir en France, on a six fois plus de risque d’être contrôlé que lorsqu’on est blanc. Quand on est arabe, on a huit fois plus de risque. Il y a du racisme en France. Il y a des chiffres qui le démontrent notamment dans des rapports d’Amnesty International ou de chercheurs du CNRS.

Si Florian Philippot considère qu’il y a une partie des Français issus de l’immigration qui ne doit pas être prise en compte, alors dans ce cas, ce sujet est secondaire. Par contre s’il considère les Français dans son intégralité, il verra que le racisme est une réelle question de société.

Dans ce climat délétère, vous critiquez l’appropriation que certains se font de la laïcité. Vous avez déclaré dans le site du Nouvel Observateur : «  La laïcité est devenue une parade contre les expressions religieuses musulmanes, donnant lieu parfois à un laïcisme intégriste s’appuyant sur notre imaginaire « catho-laïque». Que voulez-vous dire par « laïcisme intégriste» ?

Beaucoup de personnes ne connaissent pas la loi de 1905 et la détournent. Cette loi prône la séparation du pouvoir et du religieux. Elle garantit aussi le fait que l’État ne reconnaisse aucune religion en particulier et permette à chacun d’exercer librement sa religion.

Aujourd’hui, cette loi est brandie pour empêcher les musulmans, en particulier, de pratiquer leur religion dès lors que cette pratique est visible dans l’espace public. Je tiens à préciser que je suis une fervente défenseur de la loi de 1905. Sous couvert de la laïcité, certaines personnes vont estimer que la religion ne peut apparaître en dehors du domicile. Juridiquement, c’est totalement faux. Le principe de laïcité a été dévoyé. J’invite les citoyens à se renseigner sur cette loi qui se réfère au premier article de la constitution française. Ils peuvent aussi consulter les textes en rapport avec le droit international que la France a ratifié à savoir la Convention européenne des Droits de l’Homme et la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. Ces textes garantissent la liberté de conscience.

Vous avez qualifié la politique d’immigration de François Hollande de « néant ». Comment qualifiez-vous la méthode Valls à l’égard de la communauté rom ?

Au-delà de la méthode, le discours est scandaleux. C’est de la pure provocation. Manuel Valls considère qu’il ne faut pas froisser l’électorat d’extrême droite. Il manipule totalement les idées de rejet de racisme en jetant les Roms à la vindicte populaire. Les Roms étrangers migrants en France sont au nombre de quinze à vingt mille personnes. En Espagne, ils sont 100.000 et ne font pas l’objet d’une telle stigmatisation médiatique ou politique. Nous sommes vraiment dans la manipulation. Cela ne devrait avoir aucune incidence sur le discours public. Manuel Valls est dans la stratégie politique électoraliste et manipule la haine envers un groupe fragilisé qui n’a pas les moyens de répondre. Il n’y a pas un Harry Roselmack rom qui va prendre la parole pour exprimer son mécontentement.

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Comment avez-vous qualifié le traitement politique de l’affaire « Leonarda » ?

La semaine où on a parlé de l’affaire « Leonarda », il y a eu 700 expulsions. La réaction de François Hollande est complètement indigne de son statut présidentiel. En effet, demander à une jeune fille de rentrer en France sans sa famille c’est méconnaitre le droit international et le droit de lui donner une vie familiale normale. Cet épisode martèle que les Roms sont un problème. Le traitement politique de cette affaire est totalement déplorable.

Pendant qu’on parlait de Leonarda, on taisait les autres expulsions brutales. Une famille bulgare avec six enfants à Montfermeil s’est fait expulser au même moment. Résultat, la famille de Leonarda est coincée au Kosovo alors qu’elle n’y a jamais vécu. C’est une décision irresponsable !

Vous avez participé avec d’autres personnalités comme le journaliste Nadir Dendoune ou la sénatrice d’Europe-Ecologie-Les-Verts, Esther Benbassa au collectif  « Stop : le contrôle au faciès ». Comment le collectif a-t-il vu le jour ?

C’est un collectif qui est né à l’initiative d’associations comme les indivisibles, la Brigade Anti Négrophobie pour lutter contre le contrôle au faciès. Esther Benbassa, Nadir Dendoune et moi-même sommes intervenus à la demande du collectif pour témoigner et couvrir leurs travaux. La porte-parole de ce collectif est Siham Assbague. Il s’agit de médiatiser un peu la question du contrôle au faciès et de pousser les politiques à prendre des décisions.

À ce propos, 13 plaignants avaient porté plainte contre l’État et le ministère de l’Intérieur pour pratique discriminatoire. Le Tribunal de grande instance de Paris ne leur a pas donné gain de cause. Vont-ils faire appel de la décision de justice?

Effectivement, il va y avoir un appel. Le collectif ira jusqu’à la Cour européenne s’il le faut. Le parquet a indiqué qu’il fallait que la loi soit modifiée et que ce n’était pas de leur ressort. Il faut faire pression à la fois sur le législateur et pousser l’action en justice jusqu’à ce qu’on ait gain de cause. C’est une étape parmi tant d’autres. Les plaignants sont déterminés, leurs avocats aussi.

Vous faites partie de l’ENAR (European Network Against Racism), une organisation européenne qui a vocation à éradiquer le racisme. Comment l’organisation s’articule-t-elle ?

Je suis membre au conseil d’administration depuis juin 2013. Les membres du conseil d’administration représentent localement dans leur pays la situation qui lutte contre le racisme de manière ou d’une autre. Sur base de cela, nous prenons des décisions, élaborons des rapports et organisons des colloques. Dernièrement, un colloque a récemment eu lieu au parlement européen sur les Afro-Descendants, les noirs en Europe. C’est une question qui n’est pas beaucoup traitée au niveau européen. Il y a plusieurs groupes de travail qui se penchent entre autres sur l’antisémitisme, l’islamophobie ou le racisme envers les Roms. J’ai aussi un rôle d’administrateur et je prends les grandes décisions de l’orientation de l’association de manière générale.

Un mot pour Alohanews ?

J’ai découvert Alohanews. Je vous souhaite longue vie. J’aime beaucoup le nom. Ça inspire quelque chose de très sympathique. C’est une belle initiative de lancer un média dans un contexte qui n’est pas évident. J’espère qu’Alohanews prospérera et continuera à proposer une information différente.

 

Propos recueillis par Mouâd Salhi