La salle de la Madeleine n’est pas faite pour les rappeurs hyperactifs qui mettent leur public en transe dès leur arrivée avec un son banger. Elle est plutôt réservée aux artistes posés qui déclament leur texte avec justesse. C’est le cas d’Oxmo Puccino, grand parolier de ce siècle qui a reçu un accueil enthousiaste d’un public intergénérationnel. Petit retour sur ce concert qui est passé comme une livraison Uber Eat.

En première partie, un Liégeois sympathique et timide accompagné de ses musiciens. Malgré une musique un peu sirupeuse, AA parvient à remplir le devant de la scène et reçoit un accueil bienveillant. Plus le temps avance, plus le public s’amoncelle pour attendre de pied ferme le black desperado. À peine arrive-t-il sur scène qu’il entame sur un ton solaire les titres de son dernier album « La nuit du réveil ». Mais il est loin d’être un « enfant seul ». Accompagné d’un batteur américain trouvé au compte-goutte pour sa tournée, d’un DJ plutôt chevronné (Mr :Victor) du guitariste Eddie Purple qui agrémente les mélodies d’ambiances jazzy, Oxmo fait osmose avec ses musiciens et n’est pas du genre distant avec son public : il rentre en interaction avec lui et ne manque jamais d’énoncer une maxime avant d’entamer l’un ses classiques, façon de les rendre plus actuels. Car Oxmo est un Socrate version rap, quelqu’un qui tire un enseignement de chacune de ses rencontres et ses textes qui sur des abords planants et nonchalants cachent des réflexions profondes. «365 jours», «Tirer des traits» ou« Visions de vie», tout s’enchaine naturellement grâce à sa voix mielleuse et chaleureuse. Par sa longue carrière, Oxmo est resté ce qu’on peut appeler aujourd’hui un daron du rap français. Chacune de ses chansons est une madeleine de Proust qui nous ramène à des réminiscences. Ce qui fait resurgir des émotions palpables sur le visage des spectateurs. Heureusement, « Toucher l’horizon » arrive au bon moment et transcende la mélancolie et fait bouger le public dans tous les sens.

Dans ses nombreuses interactions, il ne manque pas de saluer la Belgique, terre d’artistes qu’il admire de Jacques Brel à Stromae. On l’a souvent appelé le « Jacques Brel du rap » par ses métaphores et ses phrases-chocs. Mais on oublie que Jacques Brel était un excellent showman qui savait bien s’entourer musicalement. Son concert nous confirme qu’Oxmo Puccino c’est avant tout un groupe. Le rappeur sait se faire plus discret et laisser son batteur s’éclater sur ses caisses comme son dj scratcher avec dextérité. Un cocktail musico-lyrical bien dosé. Oxmo est un mixologue né.

Inutile de dire que le concert s’achève avec une pointe d’applaudissement et de nombreux rappels. Le dernier morceau sonne comme une évidence: «Enfant seul», rappé dans une ambiance tamisée et un silence introspectif du public, le morceau ne laisse jamais indifférent. Oxmo se retire après avoir salué le public avec ses musiciens, façon « Opéra Puccino » de finir un concert qui donne envie de se replonger dans sa discographie et de prendre ses morceaux qui sont, comme dirait Baudelaire, « des gangues qu’il ne faut pas lâcher sans en extraire l’or ».

Bruno Belinski