Alohanews est parti à la découverte de Samira, fondatrice de l’ASBL Dafa Yow. Cette jeune femme de 28 ans porte en son histoire la volonté de créer des ponts entre les communautés. Depuis 2008, Samira défend la cause des enfants vivant de mendicité au Sénégal. Surtout, elle incarne l’abolition de la communautarisation des causes afin d’aider celui qui est dans le besoin, sans distinction. À travers des projets d’éducation, d’insertion professionnelle et d’accès à l’eau, Dafa Yow représente l’espoir de nouveaux lendemains. Une main tendue à ces enfants mendiants.  

Éclairage sur Dafa Yow et l’exposition-photo « Warrior Kids » qui se tient actuellement au Pianoafabriek jusqu’au 10 décembre 2016. Une occasion de découvrir, en photo, le quotidien de ces enfants talibés.

Bonjour Samira, avant de nous parler de ton exposition, est-ce que tu pourrais nous parler de toi, de tes activités, de tes aspirations ?

Je suis une jeune bruxelloise de 28 ans, chargée de projet et de production au Pianofabriek. En tant que salarié ou pas, j’ai toujours voulu créer des liens entre les gens et créer des ponts entre les communautés.

Au quotidien, je soutiens également les jeunes artistes autodidactes qui n’ont pas fait l’école d’art ou de cinéma, mais qui ont une expression artistique, du talent et qui ne le savent pas nécessairement. Je veux leur donner les moyens de développer leurs projets artistiques.

« Le Sénégal est prospère, pas forcément pour le peuple »

Pour ceux qui ne connaissent pas ta structure, tu peux nous en toucher un mot ? 

J’ai eu l’opportunité de partir au Sénégal en 2008 avec une maison de quartier à Schaerbeek qui s’appelle « MJ Vision ». Nous sommes partis pour un projet sans vraiment savoir où on allait. Un peu à l’aveuglette, avec cette volonté de partir découvrir l’Afrique.

Dès que je suis arrivée, ce fut le coup de coeur. J’ai découvert également la problématique des enfants « Talibés », ces enfants qui sont confiés par leurs parents à un marabout, un chef spirituel qui doit transmettre l’éducation religieuse à ces enfants. L’islam a une forte importance dans l’éducation et les traditions des Sénégalais.

Samira, fondatrice de Dafa Yow.

À l’époque, ce système était établi dans les campagnes pour permettre une certaine démocratisation de l’accès à l’enseignement coranique. Le marabout, pour pouvoir survivre, recevait des dons en nature par les parents des talibés. En retour, ces enfants s’occupaient du bien-être de l’endroit où ils vivaient en cultivant les terres par exemple.

Malheureusement, les terres sont devenues arides. Les marabouts sont donc rentrés dans les grandes villes avec les enfants. Du coup, la contrepartie liée à la terre a disparu. Les enfants étaient donc contraints de mendier pour subvenir aux besoins des marabouts. En conséquence, cette mendicité apporte beaucoup de choses : les enfants qui vivent dans la rue, le manque d’accès à l’eau, à l’hygiène, etc.

Toute cette situation m’a vraiment frappé. En 2008, j’ai donc décidé avec un ami de créer l’ASBL Dafa Yow. De petits projets, nous sommes devenus une structure qui a pour ambition de mener à bien des projets visant l’autosuffisance intellectuelle, alimentaire et financière. Nous travaillons beaucoup avec des volontaires.

Il y a également un projet au Nord, en Belgique plus précisément, où nous soutenons des jeunes en décrochage scolaire ou des jeunes en formation professionnelle.

Comment tes venu lidée dune exposition et surtout quel a été le cadre de la rencontre avec Quentin Bruno ? 

On m’a très souvent dit que Dafa Yow ne vendait pas, car à chaque fois que l’on voit les images des enfants, ils sont souriants. Le misérabilisme vend mieux, certes, mais je n’ai jamais accepté d’instrumentaliser les enfants en utilisant leur dignité.

D’un autre côté, j’ai voulu montrer le quotidien de ces enfants et nous avons une chance énorme d’être proches de ce milieu et d’avoir développé une véritable relation de confiance avec les enfants et les marabouts.

J’ai donc rencontré Quentin Bruno. Je lui ai proposé de venir travailler avec moi pour travailler sur des photos dévoilant l’intimité de ces enfants tout en respectant leur dignité.

« Le Sénégal est devenu le septième pays le plus prospère de lAfrique », déclare le site dactualité Sénégo. Quen penses-tu ? 

Au Sénégal, il fait très bon vivre et si l’on veut investir et développer une activité économique, c’est vraiment le moment idéal. Cependant, il faut se demander à qui profite cette prospérité ? Pour l’élite ! Le Sénégal est prospère, mais pas pour le peuple.

Il y a également la prospérité culturelle, car le Sénégal est un pays très « safe ». Avec une population composée de différentes ethnies, avec une présence religieuse diversifiée, ils vivent de manière très harmonieuse. Chacun adopte les codes culturels des autres et vit ensemble sans aucun jugement de l’autre.

Je pense que le soufisme y est pour quelque chose. Ce courant spirituel est fortement ancré dans la vie des Sénégalais. D’ailleurs, une des personnes les plus populaires du Sénégal est un maître spirituel soufi du nom de Cheikh Ahmadou Bamba. Ses valeurs sont transmises de générations en générations chez les mourides. Seul le don de soi est important.

« Je suis dans la misère, mais je nai pas besoin de vous »

Lactuel Président Macky Sall semble prendre la question des enfants mendiants très au sérieux. Est-ce que les mesures prises sont suffisantes ?

Malheureusement, au Sénégal, la majorité des démarches et déclarations sont purement médiatiques. Ce n’est pas la première fois qu’un Président semble vouloir prendre de telle mesure. Abdoulaye Wade avait également parlé d’une loi censée interdire la mendicité dans les rues. Cette loi n’a jamais été mise en application, car les chefs spirituels ont bloqué l’affaire.

L’actuel Président Macky Sall a également déposé cette loi. Pourtant, j’ai été trois fois au Sénégal depuis, mais les enfants Talibés mendient toujours. D’ailleurs, je pense qu’il n’y a qu’un seul maire qui a vraiment interdit la mendicité et qui arrête les marabouts.

Il faut tout de même souligner que l’interdiction pure et simple de la mendicité n’est pas vraiment une solution. En effet, l’éducation par les marabouts est très ancrée culturellement parlant. Avec une interdiction, comment les Talibés vont vivre ? Comment les marabouts survivront ? Que deviennent les daara traditionnelles ? (Ndlr. Des maisons d’étude du Coran). Il faut de véritablement mesures alternatives pour changer ces codes culturels.

Quest-ce qui pourrait permettre au Sénégal de changer radicalement ? 

Je pense sincèrement que pour les changements, il faut un changement local. La problématique des enfants taillés vue par l’Europe est extrêmement paternaliste. Il faut que le Président prenne ses responsabilités en mettant en place un véritable programme d’insertion pour ces enfants, pour les marabouts et leurs familles.

D’ailleurs je pense qu’une mesure assez concrète a été mise en place. Il s’agit de subventionner les écoles franco-arabes, c’est-à-dire, une transition entre la daara traditionelle et la daara moderne. Grâce à ce projet, les enfants auront non seulement des cours d’arabe, mais également des cours de français. Des outils pour la vie.

Parmi les photos prises par Quentin Bruno, parle-moi de la photo que tu préfères, la plus chargée de sens à tes yeux ?
senegalCette photo, rien qu’avec son regard, représente véritablement son caractère. Son regard nous dit : « je suis dans la misère, mais je nai pas besoin de vous ». De très larges épaules pour un si jeune petit garçon.Oh c’est assez difficile je les aime toutes. Pourtant, là, il y a ce petit garçon que je connais très bien. Il s’agit d’un enfant mendiant très difficile, car il ne supporte pas qu’on puisse le filmer ou le photographier. J’adore cette photo, car son parcours est très difficile. Il s’agit d’un enfant talibé arrivé vers 5 ans dans le quartier. Il est le plus coriace et le plus impulsif.

Est-ce que ta structure met en place un système de parrainage pour les enfants sénégalais ? 

Oui tout à fait, nous avons un système de parrainage pour les enfants talibés qui est de 25 euros par an. Cela permet de financer une année scolaire à raison de trois fois par semaine.

Nous recherchons donc idéalement des dons privés, mais également et surtout des moyens humains pour pouvoir développer et concrétiser les projets sur place.

Propos recueillis par Bahija ABBOUZ