9 janvier 2015 : l’attaque à l’Hyper Casher. 23 novembre 2015 : attentats de Paris. 22 mars 2016 : attentats de Bruxelles. 14 juillet 2016 : attentats de Nice. Des attaques se multiplient sur le sol européen. Revendiquées par l’État islamique, ces opérations posent question. Quid du djihad de l’État islamique ?


Le 29 juin 2014, une organisation terroriste proclame le califat islamique entre l’Irak et la Syrie. Depuis, le nom de l’EI est sur toutes les lèvres, parfois tremblotantes.

Une chose est sure, l’État islamique valorise le djihad armé conceptualisé sous différentes formes notamment par le Palestinien Abdallah Azzam, un des pères fondateurs de la doctrine djihadiste. Le djihad dit défensif[1] invoqué aujourd’hui par des factions révolutionnaires telles que le Front al-Nosra (avant sa « scission » avec Al-Qaïda), est perçu comme acte militant pour se battre contre l’occupant représenté par les forces occidentales en Irak – lors de la guerre de 2003 – ou par le régime de Bachar el-Assad en Syrie depuis l’embrasement du pays en 2011.

Le djihad offensif, quant à lui, – dans la doctrine djihadiste – consiste à purifier le monde de toute idolâtrie afin que la parole de Dieu, représentée par l’islam véritable, règne sur le monde entier. Le monde étant mécréant, car sous le joug du polythéisme, les musulmans doivent faire le djihad offensif afin qu’il n’y ait plus aucune forme de dévotion en dehors de Dieu (Allah). Concrètement, dans cette perspective, les musulmans doivent prendre les armes pour imposer l’islam au monde. Le précédent leader de l’EI, Abu Omar Al-Baghdadi, a souligné l’importance du djihad offensif qu’il définit comme une mission. Selon lui, « il faut attaquer les incroyants apostats sur leur territoire d’origine, afin d’élever la parole de Dieu jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de persécution[2] ». 

Le djihad offensif de l’État islamique repose prioritairement sur la purification de l’islam de l’intérieur. Pour Daech, avant de répandre l’islam dans le monde, il faut d’abord combattre en son sein toutes les sectes égarées qui ternissent le « véritable » message. Pour l’ex-porte-parole de l’État islamique, Abu Mohammed Al-Adnani, mort le 30 aout 2016, les chiites mènent une guerre contre l’islam et essentiellement contre l’unicité divine (tawhid), principe fondamental du salafisme et de la pensée musulmane en général. Afin de mener le djihad offensif, il faut donc éradiquer le chiisme et ses partisans, car ils sont à l’origine de la discorde (fitna) qui ébranle l’islam. Selon Jean- Pierre Filiu, spécialiste de l’islam contemporain, la formation du califat permet au calife de proclamer le djihad offensif en terre de mécréance. Après la reformation du califat, le djihad mené contre les chiites, bien que prioritaire, n’est plus le seul djihad offensif à mener. De ce fait, l’État islamique fait l’apologie et légitime toute forme d’opération armée partout dans le monde considéré comme mécréant. Par ailleurs, l’État islamique a justifié les actions de Amedy Coulibaly dans l’Hyper Casher par ce type de djihad. Ils stipulent que le tueur de l’Hyper Casher a d’abord prêté allégeance au califat avant de prendre les armes et combattre l’ »ennemi ». Abu Bakr Al-Baghdadi, a incité au djihad offensif pour faire régner la loi d’Allah sur terre par le biais d’un communiqué de l’ex-porte-parole de l’État islamique, Al-Adnani :

« Alors Ô toi le Monothéiste ne rate pas cette bataille où qu’elle soit, attaque les soldats et les partisans des tawâghîts, leurs armées, leurs polices, leurs services de renseignements et leurs collaborateurs. Fais trembler la terre sous leurs pieds, rends-leur la vie impossible, et si tu peux tuer un mécréant américain ou européen, et particulièrement un français haineux et impur, un australien, un canadien ou autre que cela parmi les mécréants en état de guerre, habitants des pays qui se sont coalisés contre l’Etat Islamique, alors place ta confiance en Allâh et tue-le par n’importe quel moyen. Ne consulte personne, et ne demande de fatwa à personne. Que le mécréant soit un civil ou un militaire, ils ont tous le même jugement, tous les deux sont mécréants, tous les deux sont en état de guerre ». 

© AHMED JADALLAH/REUTERS

Quoi qu’il en soit, le combat armé reste une notion centrale pour un groupuscule salafiste djihadiste. Ce qui peut paraître original dans ce contexte est que l’ennemi numéro 1 de l’EI n’est pas l’Occident, particulièrement les États-Unis comme cela a été le cas pour Al-Qaïda. La priorité du califat est de maintenir leur influence sur les zones conquises et de continuer une expansion régionale. De facto, les partisans de Daech font avant tout le djihad contre les forces locales, qu’elles soient kurdes, chiites, ou contre d’autres groupes djihadistes. La notion territoriale oriente un djihad de proximité. Depuis la proclamation du califat, nous pouvons constater qu’une coalition internationale s’est formée pour lutter contre Daech en août 2014. Des frappes aériennes ont débuté le 8 août 2014 en Irak et le 23 septembre en Syrie. Elles se perpétuent depuis.

La proclamation du califat en 2014 a permis d’actionner le levier du djihad offensif. Le calife a ordonné aux musulmans du monde entier de faire la hijra (émigrer vers le califat) ou, dans l’impossibilité de le faire, de commettre des attentats sur leur sol. Cette injonction s’inscrit dans l’actualité occidentale dans la région du Sham. Ce djihad offensif semble s’inscrire dans une vision politique, une réponse à la formation de la coalition internationale et des missions militaires internationales débutées en Irak et en Syrie. Une stratégie de dissuasion d’attaquer l’État islamique afin que le groupuscule puisse consolider son enracinement dans la région. François Burgat, politologue directeur de recherche à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (l’IREMAM) à Aix-en-Provence, commentait l’actualité après les attentats du 23 novembre à Paris :

« Je n’ai jamais cru qu’envoyer le porte-avions français Charles de Gaulle en Syrie allait améliorer la protection des Français. Bien au contraire. Cette décision nous fait paraître comme à l’avant-garde de l’hostilité à l’égard d’un groupe qui n’a rien de sympathique, mais qui ne nous avait pas déclaré la guerre. Nous n’étions pas en guerre contre l’État islamique quand nous avons décidé de le bombarder. »

Diviser pour mieux régner  

Pour Pierre Piccinin da Prata, reporter de guerre et ancien otage en Syrie, les attentats de Paris et de Bruxelles ont un lien avec l’engagement militaire contre les forces de l’État islamique de ces deux pays. Dans une interview accordée à un journal communautaire nommé L’Arche, Jean-Pierre Filiu, politologue, complète ce postulat : « On voit bien que l’on n’est plus désormais dans la terreur de masse de type 11-Septembre aux États-Unis, mais dans la volonté de semer la psychose en alimentant le mythe de « l’ennemi intérieur », désigné comme tel à la vindicte publique[3] ». Un djihad offensif qui permettrait de diviser une société occidentale et essayer d’imposer, aux musulmans occidentaux mis au ban de la société, l’idéologie djihadiste. A ce propos, un adepte de l’EI du nom de Abu Nai’ïm témoigne dans le livre « Les Français jihadistes » de David Thomson :

« Mon objectif c’est d’abord le khilafa (califat) en Syrie, mais des opérations en dehors de la Syrie, ça peut fortement aider. Une opération en France, c’est cent frères qui partent. Ça peut semer une da’wah (prédication) sur les gens et semer la terreur chez les kouffar (mécréants). Après, ils vont peut-être penser à deux fois avant d’attaquer les musulmans[4]. » 

Cette vision polarisée contribue à ce que les musulmans occidentaux fassent un choix : subir une discrimination de plus en plus grandissante en Europe ou s’allier à Daech. Même si les chiffres sont difficiles à dresser, selon les données du ministère de l’intérieur français, 700 Français sont sur place en Syrie tandis que 200 personnes sont rentrées en France. Le quotidien Le Monde a toutefois cité une source proche du renseignement qui indique que « l’EI est en train de perdre son assise territoriale et de son attractivité. On voit revenir en France des jihadistes qui avaient des responsabilités au sein de l’organisation, c’est un phénomène significatif ». Le changement est-il en marche ?

Nikita IMAMBAJEV

[1] ASSO (Racha), La conception du jihad : entre la doctrine classique et les jihadistes d’Al-Qaïda, à Université du Québec, Montréal, 09/2007.

[2] AL-BAGHDADI (Abu Umar), Fa-ammā ’l-zabad fa-yadhhab jufā’an, dans Al-Furqān, le 4/12/2007, traduit par Majmū‘.

[3] ILAN (Stéphane), « Monter une coalition internationale enfin efficace contre Daech » », par Jean-Pierre Filiu, le 19/01/2015, en ligne http://larchemag.fr/2015/01/19/1415/monter-une-coalition-internationale-enfin-efficace-contre- daech-par-jean-pierre-filiu/.

[4] THOMSON (David), Les Français djihadistes, pp. 225-226.