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Abd Al Malik : Coeur sur les épaules

« Vivre sa propre existence comme s’il s’agissait d’un film ». Celui qui fredonne « ce n’est pas moi c’est les autres » possède un parcours parsemé de paradoxes. Amateur de littérature, autrefois délinquant à ses heures perdues, l’auteur est un Français de banlieue qui flirtait avec l’intégrisme religieux pour finalement s’épanouir dans l’ouverture et la tolérance. Alohanews fait un portrait de celui qui n’en finit pas de scander son amour pour la France, sa France.

« De guerres remplis nous sommes, mais l’Histoire ne les retiendra pas ». Nous cheminons, vous cheminez, ils cheminent. Aucune élévation possible sans la force du verbe, le langage du cœur dit-il. Abd Al Malik, Régis de son prénom donné à sa naissance, est auteur, compositeur, interprète, écrivain et porte-voix de l’universalité des Hommes. Disciple d’une vie emplie de paradoxes, acteur d’un destin schizophrène, Abd Al Malik naît en France le 14 mars 1975. Pourtant, c’est le sol congolais que reconnaissent ses premiers souvenirs, car sa famille y vit, à Brazzaville, entre 1977 et 1981. Au cours de l’été 1981, son père, haut fonctionnaire surdiplômé,  décida de retourner « à la maison » pour poser les bagages à la cité du Neuhof, dans la banlieue sud de Strasbourg. Un immense HLM qui se caractérise par une entité plurielle de plus de 20 000 habitants. Son père quitta le cocon familial en 1983 laissant, derrière lui, une mère à laquelle sont greffés 4 gosses, fruits d’un amour antérieur, ainsi qu’une dette colossale à rembourser. La suite se distingua par une maman courageuse, soucieuse de l’éducation de ses enfants, malgré sa relation intime avec la boisson et les va-et-vient de ses compagnons de beuverie.

Partagé entre deux vies, il découvrait des auteurs tels que Sénèque et également une philosophie de la rue qui ne se trouvait dans aucun livre. Un melting-pot étrange de pédagogie. Régis, encore très jeune, commença les petites bêtises universellement répandues dans les cités. Du petit vol aux casses d’appartement, des casses à l’agression, les pas vers l’âge ont amplifié ses activités de malfrat. Pourtant brillant à l’école, Régis continuait ses fougues extrascolaires n’y voyant aucun mal. Ce n’est qu’avec un coup de pouce d’une institutrice, qui remarqua son fort potentiel, que Régis est admis au collège privé de St-Anne. Avide de connaissance, il continua malgré tout à jongler entre ses deux quotidiens totalement opposés.

Avant même que les premiers signes de puberté apparaissent, Régis menait une cadence de délinquant respecté. Vêtements à la mode, poches pleines, gadgets dernier cri, le jeune de cité vivait le spectre d’un aboutissement que la société lui imposait. Le paraître symbolisait la réussite, prescrivait une apologie. La sortie du film « Scarface » changea la donne et la banalité journalière des gars de banlieue. Tony Montana, adulé pour son audace, devient le modèle de toute une génération. Véhiculant des clichés tels que la soif de triomphe par quelque moyen que ce soit, la légende du « pouvoir c’est l’argent », l’éloge de la drogue dure, ce film fait effet d’une overdose dans les cités. Bon nombre sont morts ou tombés sous les écrous, mais la plupart ont dansé avec le diable : l’héroïne. Un slow de longue durée causant un effet domino de toute une génération victime d’un aléa similaire. À partir de là, Régis fut confronté à un questionnement profond.

Voilà qu’un nouvel épisode vient enivrer une jeunesse française des quartiers dits sensibles : le hip-hop, tendance qui naquit dans les quartiers de New York. « Peace, Love, Unity and Having fun », un credo qui raisonne, un credo qui plait aux ghettos de la Grande Pomme. Quelques années plus tard, la tendance traversa l’Atlantique et atterrit en France. Une flopée de breakeurs, graffeurs et rappeurs fleurit partout dans l’Hexagone. Le rap, fusion d’un texte percutant et d’une rythmique huileuse, était particulièrement concentré dans la capitale avec des groupes tels que NTM ou encore le charismatique MC Solaar. NAP, New Afrikans Poets était l’un des premiers groupes originaires de province. Ce collectif auquel appartenait Régis nait presque à la même période que la réflexion profonde qu’éprouve le jeune de la cité du Neuhof. Une remise en question au seuil d’une transition, au seuil d’un « Goodbye Guantanamo » qu’est le drame des tours de béton. Cette espèce de défaitisme, cette ghettoïsation mentale qui vouait chaque individu vivant dans cette misère sociale à l’échec par défaut. Alors vint la requête spirituelle, une quête à laquelle chacun est promis à se poser quelques interrogations. Certains y consacrent quelques poignées de minutes, d’autres en font une course de fond de longue haleine. Après une adolescence de péripéties en tout genre, il était temps pour lui d’éclairer sa foi qui ne le lâchait pas d’un poil depuis sa naissance. Après une discussion marquante avec son cousin Frédéric, Régis ouvrait les bras aux énigmes existentielles. Acceptant quelques ouvrages islamiques proposés par son frère Bilal, converti depuis un moment, Régis éclaircit les zones d’ombre qui planaient sur la force de l’évidence. Après avoir prononcé l’attestation de foi musulmane, Régis devint Abd Al Malik. Il choisit ce prénom musulman en fonction de son prénom d’origine qui, en latin, signifie « roi ». Le roi, Malik en arabe, devient disciple du changement, d’une passerelle d’une vie dictée par la loi de la rue vers un quotidien rythmé par un héritage dogmatique ancestral.

Baskets, casquette et jeans de marque ont été remplacés par la tenue traditionnelle. Malik devenait le porte-parole de son choix spirituel. Dévoué dans sa pratique, Abd Al Malik ira encore plus loin. Lors d’une rencontre à la mosquée de son quartier, il rejoint un groupe de pratiquants pour œuvrer au nom de Dieu. Il se mit à errer les rues à la recherche d’individus sensibles au « dhikr », au rappel du nom de Dieu. De cette façon, le groupe s’exporta pour propager le message de l’islam.

Le temps passait. Parallèlement à ses activités spirituelles, NAP, son groupe de rap prenait une dimension dépassant les frontières régionales. « La racaille sort un disque » était un carton et certains titres passaient sur des chaines nationales. Cependant, c’est d’une nouvelle schizophrénie dont est atteint le nouveau-né de l’islam. D’un côté, il continuait ses prêches dénonçant le mal et invoquant le bien. De l’autre, pour financer ses projets musicaux, il acceptait de l’argent sale d’un financier douteux. De plus, son amour de la musique était bafoué par des prescriptions islamiques interdisant la pratique de celle-ci. En plein dilemme, Abd Al Malik devient un mensonge ambulant. Paisible de l’extérieur, sa préoccupation propre était un spectacle de confusion, au dedans.

Ses prêches basés sur la dichotomie paradis/enfer, halal/haram, croyant/mécréant faisait pondre un doute sur sa vision de l’islam. L’islam, auquel il a adhéré, pesait dans son âme, dans son être se sentant ainsi à l’étroit dans la paix qu’il pensait universelle. Le « Nous » et le « Eux » devenait un confortable mensonge au vu de l’Humanité qui en faisait qu’« Un », se disait-il. C’est cette pratique dualiste qui participait à la ghettoïsation de l’islam. Cet islam de banlieue, touchant une partie de la jeunesse crispée au sentiment de culpabilisation, symbolisait l’écharde dans les cœurs des Hommes.

Au sortir de cette pratique machinale, Abd Al Malik rencontra Naouale alias Wallen. Une rencontre qui ne cessera de multiplier les épreuves. Un échange qui dura au travers de longues discussions sur la vie dans toutes ses formes. C’est par le biais d’une longue lettre que l’espoir d’un amour se réveilla respectivement dans les deux cœurs. Un amour, conclu quelques années plus tard, plus fort que la frontière des Hommes qui empêchait l’abstraction des couleurs.

« Dans les jardins les fleurs sont multiples, mais l’eau est unique ». À la recherche de quiétude spirituelle, Abd Al Malik parachevait sa Voie avec la découverte du soufisme. La tradition soufie est une branche mystique de l’islam, prônant l’Amour qui émane de Dieu délivrant de toute limite, respectant toute forme de dévotion. Dévorant de nombreux ouvrages sur le sujet, il découvrit l’existence d’une confrérie dont la maison mère se trouvait à Madagh, au Maroc. Divers allers-retours lui permirent de découvrir plus vigoureusement la direction qui deviendrait sienne. « Il faut être soumis à sa propre libération et non point libre dans ses prisons ». C’est par le biais du soufisme, sous le prisme d’un Amour fraternel de l’Humanité, qu’Abd Al Malik se vêtit de paix intérieure. La dimension du monothéisme se traduit par la préoccupation du regard du Divin, et non pas par cette espèce de polythéisme caché qui se traduit par la crainte constante du regard des Autres. « Il cherche comme un chien sans collier, le foyer qu’il n’a jamais eu ». Désormais, il ne cherchera plus.

Nikita Imambajev