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Être danseur à l’Opéra

Josua Hoffalt (à gauche sur la photo), danseur étoilé et son frère Lucas, designer, donnent un aperçu de l’Opéra et de son empire.

Yousra Gouja

D’où venez-vous ?

On a grandi dans les Bouches-du-Rhône. Notre mère est marseillaise et notre père est lorrain. Notre grand-mère est belge. J’ai suivi une éducation normale jusqu’à la 4e. Plus jeune, j’étais déjà très sportif. Je faisais du tennis et de la gymnastique. Nos parents nous soutiennent depuis toujours. Il fallait que j’aille à Paris.

Quels sont tes premiers pas dans le monde de la danse ?

J’ai commencé à Marseille à 8 ans puis  j’ai intégré l’école de danse à Nanterre à 14 ans. Je suis arrivée en cours de cursus. Pour l’audition, j’ai envoyé une vidéo, car  mes parents n’avaient pas les moyens de monter à Paris, c’est une démarche exceptionnelle. À Nanterre, je suivais les enseignements de l’éducation  nationale et les cours de danse. Je dormais au même endroit. À 18 ans, je tente le concours d’entrée de l’Opéra. Tu entres dans un système pyramidal. Tu peux être danseur jusqu’à 42 ans. J’ai 32 ans et je suis danseur étoile depuis 5 ans.

Comment se passe le concours d’entrée dans la compagnie ?

Nos pairs nous jugent. L’institution décide elle-même de qui intègrera la compagnie. Le jury est composé à moitié par la direction de l’opéra, par un invité de marque et par les danseurs de l’opéra. Le concours donne la chance à tout le monde de se montrer et quand tu es en bas de la pyramide, c’est le moment de tout donner. Sur 150 danseurs, 16 sont étoilés avec 8 femmes et 8 hommes. La direction seule décide de nommer ses étoiles. J’ai été nommé à 27 ans comme danseur étoile.

Comment s’organise l’Opéra ?

© Josua Hoffalt

Chaque danseur est considéré comme assimilé fonctionnaire, car l’Opéra est un établissement public. L’Opéra de Paris est l’établissement culturel qui reçoit le plus de subventions de l’État réparties entre l’Opéra Bastille, l’école de danse de Nanterre, l’Opéra Garnier et les ateliers Berthier. À l’Opéra, je suis un interprète et je viens travailler dans cadre donné. Je sais ce que j’ai à faire tous les jours. À côté de l’Opéra, nous avons monté avec d’autres danseurs, 3e Étage : une troupe de danse indépendante créée par Samuel Murez. On prend plus de liberté et on apprend à avancer avec l’aide du mécénat, ce qui nous permet de monter nos propres chorégraphies.

Faut-il partir ailleurs pour mieux revenir ?

J’ai toujours trouvé qu’à l’Opéra on avait une diversification énorme dans la programmation. Aucune autre compagnie ne propose une programmation aussi variée en classique et en contemporain. Je ne me vois pas m’installer durablement à l’étranger. J’aime beaucoup trop la France et la gastronomie pour ça.

Où trouve-t-on la danse classique et contemporaine ?

Beaucoup de compagnies étrangères et notamment russes viennent en France avec des spectacles classiques et les spectateurs s’y rendent en pensant voir le Bolshoï ou le Kirov alors qu’il s’agit de la 3e ou 4e compagnie de Moscou. En Russie il y a souvent 3 voire 4 compagnies par ville, car la danse classique est un art beaucoup plus répandu là-bas. Du coup il faut faire le tri lorsqu’ils sont invités en France.

En France, en dehors de l’Opéra de Paris, les meilleures compagnies sont celles de Bordeaux, Toulouse et celle de Lyon en contemporain. Pour s’entraîner à Paris, le Cent-Quatre est un endroit fabuleux pour les danses urbaines.

Quelle a été la politique d’ouverture au grand public de l’Opéra ?

La 3e scène est un projet sur internet permettant d’ouvrir notamment la danse et le lieu au public. C’est un contenu gratuit qui propose un gros panel de danseurs, et d’autres corps de métier présents à l’Opéra. C’est un projet encore récent qui nécessite encore des aménagements dans la réalisation des vidéos, spécialement en ce qui concerne nos plannings.

Son frère :  L’idée devrait être partagée avec d’autres scènes. Pour l’instant le principe se résume à inviter des personnalités artistiquement déjà établies à venir réaliser des vidéos. On espère par la suite voir aussi de jeunes talents plus anonymes y participer.

© Ann Ray

Comment les danseurs travaillent-ils avec les autres corps de métier ?

Les rencontres se font au gré de notre planning. Je me rends souvent à l’atelier couture. On y rencontre des gens à part, qui ont une autre mentalité différente et qui vivent l’Opéra à un autre rythme que celui des danseurs.

Par quels moyens les jeunes danseurs issus de la diversité peuvent-ils entrer ?

Son frère : L’accès à la culture est la question des institutions culturelles, cela s’applique à n’importe quelle grande ville !

Ici nous parlons de danse classique et comme les beaux-arts ou la musique classique, cette culture de par son accès coûteux et compliqué et réservé à une élite.

Chez les Russes, cette culture est populaire. Ce n’est pas une culture des riches, la musique classique et le théâtre sont à l’inverse des schémas occidentaux. C’est une question idéologique.

Josua :  Encore une fois, c’est dès l’école que ça se joue. 90% des danseurs viennent de l’école de danse. Il faut se pencher sur la question. Entrer dans la compagnie sans passer par l’école est plus difficile malgré l’existence du concours externe.  On est encore qu’au début du chemin. Mais à titre personnel personne ne m’a jamais dit que la danse n’était faite pour moi.

Qu’est-ce que Benjamin Millepied a apporté pour répondre à cette question?

Benjamin Millepied a déclaré beaucoup de choses, s’est approprié beaucoup de soi-disant nouveautés. Quand il déclare qu’il est le premier à donner le rôle principal à quelqu’un de métis, c’était très dur pour nous d’entendre ça. Quid de Mathias Heymann actuel danseur étoile d’origine marocaine, d’Alice Renavand actuelle danseuse étoile d’origine vietnamienne, d’Eleonora Abbagnato danseuse étoile italienne, de Kader Belarbi, de José Carlos Martinez, de Miteki Kudo, de Charles Judes, d’Eric Vuan, de Jean Marie Didière… La liste est longue. Quand il dit qu’il veut moderniser le répertoire de l’Opéra, cela fait plus de 20 ans que tous les plus grands chorégraphes contemporains viennent travailler à l’Opéra.

Si vous aviez l’opportunité de changer la politique d’intégration de l’Opéra, par où vous commenceriez ?

La priorité est de refonder l’école de danse. Les élèves ne devraient pas apprendre que la danse. On avait des cours de danse de folklore or on ne poursuit pas cet enseignement dans la compagnie. On devrait rencontrer de grands danseurs de temps en temps. La danse classique est très verticale, et lorsqu’on intégré la compagnie on se retrouve du jour au lendemain à devoir danser des styles très contemporains avec un tout autre rapport au sol. Peut être qu’il faudrait intégrer d’autres disciplines qui nous apprendraient à bouger différemment.

Yousra GOUJA