40 millions. C’est le chiffre de smartphones qu’il y aura bientôt en Iran. Une nouvelle voie d’accès pour la jeunesse à la liberté d’expression et un moyen de faire vivre les cultures subversives, menacées par la loi islamique.
En Iran, la voix de la jeunesse est loin de se laisser étouffer. Les jeunes de moins de 30 ans représentent 55 % de la population. Selon les chiffres publiés sur le site de l’Office des statistiques, un peu plus de 71 % des Iraniens habitent désormais en ville, contre moins de 29 % dans des zones rurales. Cette nouvelle génération est dynamique, éduquée, assoiffée de liberté. Leur arme de résistance privilégiée : le smartphone sur lequel ils peuvent s’exprimer, disposer d’une information non censurée et avoir accès au reste du monde et à ses tendances.
Telegram devient le réseau social le plus populaire dans la République islamique. En 2017, l’application revendique 40 millions d’utilisateurs mensuels en Iran. Instagram est également très apprécié. Moins utilisés, Facebook et Twitter sont bloqués en Iran, mais facilement accessibles à l’aide d’un réseau privé virtuel (VPN).
Je ne suis ni politique ni politicien, mais dans les pays du tiers-monde, la politique a un lien direct avec la société
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Dans un pays où tout moyen de communication est censuré, du journal de kiosque au film américain diffusé à la télé, une photo diffusée sur Instagram peut revêtir une valeur de rébellion et peut devenir révélatrice d’une volonté de changement. Hamid Janipour, un photographe iranien avec 39 000 abonnés sur Instagram prend seulement des photos avec son smartphone. Pour lui : « L’expression de la vision du monde et de la pensée dans l’art est une expérience vivante et une continuité. Les moyens d’expression sont importants, mais le regard, la réflexion et la vision du monde sont plus importants que les outils. L’outil est juste un dispositif entre les mains de l’artiste, qui devrait guider la ligne de pensée artistique. » Son flux Instagram tourne autour de photos du quotidien aux allures de photographie documentaire social. « Je n’ai pas essayé de tricher, mais j’ai essayé de décrire les moments importants de la vie de mon peuple et de moi-même », explique Hamid Janipour. Ces photos sont politiques, un peu contre sa volonté : « Je ne suis ni politique ni politicien, mais dans les pays du tiers-monde, la politique a un lien direct avec la société ».
Une culture underground numérique
L’utilisation massive des réseaux sociaux par la jeunesse iranienne permet aussi au reste du monde de comprendre certains aspects de cette génération si particulière. Elle veut plus de liberté, s’inspire des codes occidentaux et de la mode Instagram, mais avec son identité persane propre. Depuis la révolution de 1979, l’intégralité de la production culturelle iranienne est contrôlée par le régime islamique, mais la jeunesse a décidé de résister. Lorsqu’on consulte les comptes Instagram iraniens, on découvre une génération talentueuse et créative. Il y a bien une jeunesse underground qui fourmille en Iran. Elle casse tous les clichés qu’on peut s’en faire en Occident. Cette jeunesse désobéit de façon clandestine et pacifique, mais le geste n’est pas moins révolutionnaire. En voici quelques exemples :
RAP
. سال خوبی داشته باشین… راستی ضبط مجازم تموم شد دیروز…
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En Iran, la musique occidentale est interdite et le rap est l’une de ses pires manifestations pour le régime. Il est difficile de se contenter de la musique actuelle autorisée. Cela n’empêche pas certains de produire en cachette. Pour cela, ils doivent aller dans des studios clandestins ou à l’étranger. Hichkas (« personne » en persan) est l’un des rappeurs les plus populaires en Iran avec 633 000 abonnés sur Instagram. Pourtant, il n’a jamais eu l’autorisation d’enregistrer en Iran. Dans des interviews, il avoue ne pas vouloir parler de politique.
TATOUAGE
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Depuis quelques années, il y a un boom du tatouage chez les jeunes de classe moyenne. On remplace le mot persan « khalkoobi » par le terme occidental « tatouage ». Il n’y a pas de loi spécifique contre le tatouage mais les autorités iraniennes punissent quand même cette pratique jugée trop occidentale. Kambiz Arman est un tatoueur iranien populaire sur Instagram (28 000 abonnés et sur Telegram). Ses tatouages s’inspirent des symboles mythologiques et de calligraphie persans.
GRAFFITI
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À Téhéran le graffiti n’est pas interdit. Il faut seulement qu’il représente des paysages oniriques, le guide de la révolution ou des martyres. Cela n’empêche pas omq_graffiti de graffer les murs à son gré : « En Iran tu peux aller en prison pour ton graffiti. Il n’y a aucune aide pour les artistes, ce n’est pas un art reconnu. Les médias sociaux m’aident à connaître les autres artistes, et créer une connexion avec eux. C’est le seul endroit où on a une certaine liberté de nous exprimer. » Bam.bam021, un autre graffeur iranien très présent sur les réseaux sociaux, reste optimiste quant à l’avenir de l’Iran : “on a bien une nouvelle génération d’artistes en phase avec la culture hip-hop, et qui essaient de la faire perdurer. Ils pourront être reconnus comme de grands artistes s’ils se distinguent des cultures américaines et seulement garder une identité persane”.
DJ
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Les lois islamiques n’empêchent pas au monde de la scène de la rave d’exister en Iran. L’organisation des soirées techno se fait en totale illégalité. Arya Ashkan est DJ techno à Téhéran et vit le danger au quotidien : “mixer à des soirées représente toujours un risque de se faire attraper par la police”. “Danser, boire, et être dans une salle remplie de filles et de garçons est contre la loi”. C’est là que les réseaux sociaux peuvent jouer un rôle : “c’est notre seule arme pour représenter notre travail en ligne et d’être vu par des promoteurs”. Pour Arya; “il y a bien une nouvelle génération éduquée et expérimentée en Iran. Internet connecte les artistes à travers le monde”.
Le pouvoir des réseaux sociaux est à nuancer. Il est rare de trouver un artiste vivant en Iran qui attaque ouvertement le régime. Soit ils sont exécutés ou vont en prison, soit ils s’exilent à l’étranger pour ne plus jamais pouvoir revenir au pays. Il n’empêche qu’ils permettent de dresser le portrait d’une génération libre, les prémices peut-être d’un changement à venir.
L’image numérique partagée endosse un pouvoir qui le dépasse. La vaste toile du web, ce qu’il y a de bon et de pire ne peut être sous le joug de la propagande d’État. Même si le gouvernement restreint cette liberté, le nombre d’Iraniens qui accèdent aux réseaux sociaux parfois même en contournant la loi est le symbole d’une société affranchie des idéaux de la République islamique.
Une liberté menacée en Iran
Cette nouvelle liberté numérique est cependant sans cesse menacée par le gouvernement. Les autorités ont provisoirement interdit Telegram, accusé d’avoir laissé des groupes « contre-révolutionnaires », basés à l’étranger, d’utiliser sa plateforme pour alimenter les troubles. Et le ministère de l’Éducation a interdit l’utilisation des réseaux sociaux dans les écoles depuis le 15 avril. Lors du Whitewednesday, le mouvement dans lequel les femmes enlèvent leur voile pour revendiquer leur droit, des photos ont été largement diffusées. Saeed Paivandi, sociologue spécialiste de l’Iran parle de « #Metoo à l’iranienne ». Pour lui, cette utilisation des réseaux sociaux s’est massivement installée « seulement depuis 3, 4 ans. Les gens osent davantage contester, c’est un nouveau pouvoir. Si les conservateurs demandent que ces réseaux soient limités, c’est parce qu’ils sont devenus le média le plus important et suivis au sein de la société. »