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Jäde : boss & bosseuse | ENTRETIEN

À l’occasion de sa première date bruxelloise, nous allons à la rencontre de Jäde, figure de proue polyvalente d’une New R&B riche en mélodies et en goût. Discussion autour de l’inspiration, de Soundcloud et du meilleur album de The Weeknd.

Salut Jäde ! On est heureux de te voir pour la sortie de ton projet Météo. Avant de rentrer dans la musique, je voulais évoquer la direction artistique visuelle de tes projets. Il y a un travail esthétique que ce soit au niveau des covers ou dans les clips, comme sur J’Boss. On dit souvent que la gastronomie, ça commence dès le moment où on voit l’assiette, est-ce que c’est le même rapport dans la musique?

C’est vrai que c’est une belle comparaison et c’est exactement la même chose, surtout avec l’évolution du monde et l’émergence des réseaux sociaux. Nous, les artistes, faisons encore plus attention à l’image. Personnellement, c’est quelque chose qui me touche beaucoup. C’était déjà le cas avant de faire de la musique. La vidéo m’a toujours passionnée, j’ai fait mes études là-dedans. Doucement, au fur et à mesure que j’évolue dans la musique, j’essaie de m’investir dans les visuels. J’arrive vers les réalisateurs avec mes idées, avec ce que je veux, et je leur dis “ Allez-y, faites mieux” et ils font mieux. (Rires.) On travaille comme ça, en équipe. Pour J’Boss par exemple, j’avais eu l’idée de base d’interpréter différents jobs. Puis, tout le côté esthétique rétro est venu du réalisateur (Paul-Henry Thiard).
 

 

Tu as fait ce projet avec le producteur Guapo du Soleil, comment c’était d’avoir un binôme dans la phase d’architecture du projet?

C’était très agréable parce que ça m’a allégé de beaucoup de travail. En plus, il y a une très bonne entente entre nous deux. Aujourd’hui c’est un ami. Il était là pour me recentrer dans les périodes de doutes, de questionnements. C’est la première fois que je travaille de cette manière. Il y a eu des producteurs avec qui j’ai souvent taffé , mais ils n’étaient pas aussi impliqués que Guapo du Soleil l’est sur ce projet.

Les relations amoureuses reviennent souvent dans tes sons, c’est un peu ta fontaine de jouvence de l’inspiration, on dirait que ça se régénère éternellement. Est-ce que tu as déjà eu peur que ça s’épuise ?

Oui, souvent. Surtout pour ce troisième projet, j’ai beaucoup fait le tour de ce sujet, je n’ai pas envie de me répéter. Donc j’essaie d’écrire sur d’autres sujets, d’où la chanson J’Boss ou Grand Bain par exemple. Ce projet ne parle pas que d’amour, à l’inverse de Romance ( EP de Jäde sorti en 2021), qui était vraiment centré sur ce thème. De plus en plus, j’essaie d’ouvrir le spectre. C’est un challenge pour moi, écrire sur des sujets différents.

Jäde et Berat en interview

Dans tes paroles, tu casses souvent le quatrième mur de la vie d’un artiste. Tu parles d’augmenter les basses, du pack de drums sur le Mac. Ça rejoint un peu l’esthétique lofi, indé. C’est quelque chose qui te parle ?

Oui totalement, parce que c’est exactement là d’où je viens. J’adore toucher à tout, depuis toujours j’essaie de m’enregistrer, de faire des prods, mixer même si je ne sais pas mixer. (Rires.) Je suis curieuse et je pense que le processus créatif est encore plus intéressant quand tu le comprends. Par exemple : quand tu connais un peu la création des prods, tu peux vraiment suivre la session studio avec les producteurs, dire précisément ce que tu veux et donc mettre un peu plus de toi dans les sons.

Tu parles souvent de Soundcloud, du fait que tu écoutais Doja Cat ou The Weeknd au début des années 2010. On peut dire que tu étais un peu une diggeuse. Aujourd’hui il y a beaucoup de digger et de diggeuse dans ton public à toi. Qu’est ce que ça fait d’être écouté par les Jäde​​​ du futur?

J’espère qu’à l’avenir la musique sera plus facile à trouver. En vrai, il faut y aller pour connaître Jäde au début. Si on remonte à il y a 4 ans, il fallait vraiment être un digger comme tu dis pour me trouver. Au début, tu es grave content de découvrir un artiste qui n’est pas connu, tu le chéris, et je l’ai beaucoup fait avec TheWeekend, qui est maintenant une énorme tête. J’espère que les gens qui me connaissent depuis longtemps, se reconnaissent encore dans ce que je fais aujourd’hui, qu’ils vont continuer de suivre.

On parle de The Weeknd, j’en profite pour te demander une confirmation. Est-ce que After Hours est bien son meilleur projet?

Oui totalement. Même encore là, j’analyse tout. Je me fais une journée The Weeknd et j’analyse tout l’album. (Rires.) Ce n’est pas que la musique qui est intéressante, c’est aussi comment il a amené le projet, les visuels sont dingues, l’histoire de A à Z. C’est une énorme inspiration, je trouve que le travail est fou. Pour moi, c’est son meilleur album.
 

 

Dans le paysage francophone, il y a le terme de “new wave” qui revient et où le public te range souvent. Est-ce que c’est une comparaison avantageuse, dans le sens où ça crée un effet de vague, comme par exemple pour les mouvements artistiques, les surréalistes, les dadaïstes. Ou au contraire, est-ce que ça peut frustrer ta singularité, donner l’impression d’être “une goutte dans le lac” ?

Je pense un peu des deux. En vrai, je ne suis pas du tout dans les personnages les plus mis en avant de cette new wave. On pense souvent de La Fève, J9ueve. Comme je fais un peu partie du truc Soundcloud, on me glisse dans ça. Je le prends avec plaisir, parce que ce sont des artistes que j’aime beaucoup. Comme ma musique est un peu différente, il faut bien que les gens mettent une sorte d’étiquette.

Tu parlais sur twitter d’être un peu frustrée du terme “artiste en développement”. J’ai l’impression qu’aujourd’hui les artistes sont dit “en développement” jusqu’à ce qu’ils aient un gros tube qui les fait accéder à un nouveau statut. Sans forcément tenir en compte le travail de fond qui est effectué.

Quand j’ai tweeté ça, il y avait plein de gens qui étaient d’accord et d’autres non. En fait, j’ai compris que quand tu dis artiste “en développement”, c’est pas forcément dans le sens créatif, il y a aussi le développement d’une fanbase, de chiffres, de finances. Du coup, là c’est vrai, ça prend un vrai sens. Donc, je ne le prends plus aussi mal que je le prenais avant. Chaque artiste est toujours en développement. Mais c’est vrai que ça sonne encore un peu réducteur dans ma tête.

Il y a quelques jours, de nombreuses artistes sur Tiktok ont parlé du fait qu’elles se sentaient obligées d’utiliser la plateforme pour faire la promo musicale. Tu t’es reconnue là-dedans ?

Oui je me suis reconnue, car c’est une vraie réalité. Personnellement, je suis quand même décisionnaire de tout ce que je fais. Même si j’ai un contrat où le label est vraiment présent, au final je sors la musique que je veux. Si je ne veux pas faire quelque chose, je ne le fais pas. Personne ne force personne. Mais ils peuvent mettre une pression, donc parfois tu dois te battre pour faire ou ne pas faire quelque chose. C’est épuisant et des fois, tu peux céder. C’est horrible de dire ça, mais c’est la vérité. (Rires.) Pour le coup Tiktok, c’est un réseau sur lequel j’ai mis du temps à arriver. Aujourd’hui j’adore, mais je suis vraiment spectatrice. Je post très peu, parce que je n’ai pas encore trouvé comment publier des choses que j’aime. Mes équipes ont très vite compris que je ne voulais pas. Ils ont laissé tomber Tiktok, par contre ils m’ont dit de regarder Twitter et que c’était cool aussi. (Rires.) On va sur d’autres choses et on trouve des portes d’entrée, on se met d’accord.

Dans Slowdown tu dis « Laisse-toi du temps pour écrire la suite”. C’est un conseil que tu vas appliquer maintenant ?

Oui. C’est un conseil que je vais appliquer dans ma vie. Je ne parlais pas forcément d’écriture ou de musique dans cette phrase, mais plutôt de relations. Parce que je suis trop à vif. Il faut prendre du recul sur la vie, sur les choses en général. Mais dans la musique aussi, c’est vrai que la phrase marche très bien pour l’écriture. Aujourd’hui j’ai vraiment envie d’être fière de mon travail, et c’est très dur, du coup ça prend beaucoup de temps. Je vais prendre le temps qu’il faudra, pour sortir des choses que j’aime.

Propos recueillis par Berat Dincer