Avec un premier album certifié disque de diamant et un deuxième certifié triple disque de platine, faut-il encore prendre la peine de présenter Nekfeu ? Et encore, il y en a certains, oserais-je dire les vrais, l’ayant connu dès ses débuts, que ce soit durant son passage (genre) historique au Rap Contenders ainsi que les albums de groupe avec 1995, l’Entourage et le S-Crew. Par conséquent, ce bref rappel de courtoisie terminé, il est temps de passer au grand retour du Fennek dans le monde du rap.
Attendu depuis presque trois ans, le public fut immédiatement au rendez-vous à l’annonce de son concept inédit d’un « l’album à l’écran » qui comptabilisa cent-mille entrées ; Les étoiles vagabondes est donc, dès son premier jour de sortie, indirectement certifié disque de platine. De plus, dans cet esprit de nouveauté inédite, la pochette de l’album témoigne aussi d’un modernisme, une routine quand il s’agit de Nekfeu.
Concernant les instrumentales, l’album montre une grande diversité, allant de la plus traditionnelle, comme Cheum, à la plus singulière, comme De mon mieux. Hugz (Hefner) étant toujours en feu pour laisser une empreinte, notamment reconnu à travers la similarité troublante entre Dans l’univers et J’aurai pas dû, morceau de l’album Destins Liés. Ainsi que d’autres producteurs habitués à collaborer avec Nekfeu durant la création de ses projets, notamment Kezo et Diabi. Et alors que certains rappeurs favorisent les instrumentales, comme à son habitude, Nekfeu les met au service de ses textes, ces derniers étant toujours dotés d’un niveau d’écriture impressionnant, que ce soit dans ces rimes, allitérations, assonances et autres figures de style que le rappeur manie selon son bon vouloir pour aborder les nombreux thèmes de l’album.
L’influence japonaise, déjà présente dans Cyborg, maintient son importance dans l’atmosphère du projet, elle est peut-être même davantage insufflée, que ce soit à travers les noms des titres ou les multiples interventions de Crystal Kay. S’ajoute à cela un florilège immense de références à ce qu’on appelle la « pop-culture », terme à peine idiot puisqu’il s’agit de la culture majoritaire désormais. Enfin, Nekfeu s’amuse aussi à faire quelques échos aux morceaux de ses précédents albums, ce qui permet de marquer une continuité vers son élévation personnelle, de l’être humain à l’humanoïde à l’étoile vagabonde.
Cependant, les nombreux thèmes présents dans l’album, que ce soit la recherche d’identité dans Alunissons, son ressenti face à sa carrière dans Takotsubo et sa place dans le monde du rap dans Koala mouillé, ses conflits émotionnels dans Elle pleut ainsi qu’un retour aux sources dans Ολά Καλά ; tous ces aspects de l’album peuvent être regroupés sous la même casquette du thème de l’errance, le titre de l’album confirmant d’ailleurs l’omniprésence de ce sentiment. «Les étoiles vagabondes» symboliserait peut-être la promotion de l’artiste au titre symbolique de « poète maudit », comme pouvait le faire présager le discours annonçant le long-métrage.
Ce qui accentue cette idée vient notamment des mentions se rapportant à la lumière, qui sont misent en contraste avec la position actuelle du rappeur dans ses longues marches nocturnes. La relation qu’il entretient d’ailleurs avec la lune à travers tout l’album ne faisant que confirmer le poids de la solitude incombant Nekfeu.
Malgré tout, il a gardé son entourage du début, que ce soit en mentionnant des noms ou en plaçant une brève phase ; Nekfeu propose aussi des collaborations inattendues, même si les participations externes sont moins fréquentes que dans les albums précédents. Dans un premier temps, il y a celles faisant référence aux relations, parfois compliquées, que peut entretenir un couple, sur une tonalité douce et paisible. Et malgré celle avec Vanessa Paradis qui fut discrètement annoncée par certains médias avant ce jour, cela n’enlève rien au fait que le rap est désormais totalement démocratisé dans le domaine musical, n’en déplaise aux élites réticentes à sa légitimité. Vient ensuite, à la grande surprise de tout le monde, la collaboration avec Damso ; l’alliance entre l’humanoïde et le lithopédion n’aura jamais été aussi agréablement reçue du public. Enfin, l’habituel et légendaire duo PhillyFeu, rebaptisé Flingue et Feu, n’ayant même pas besoin d’être défendu pour prouver sa qualité, une simple écoute devrait suffire.
Pour conclure, « Les étoiles vagabondes » peut déjà être considéré comme un classique du rap français. Certes les trois ans qui séparèrent les deux albums furent longues, mais amplement à la hauteur des attentes à l’égard d’un artiste comme Nekfeu. Un voyage, littéralement, dans l’univers vaste et infini du monde, et de l’album, relevant de nombreuses questions que tout le monde peut se poser durant une vie. La structure, comme la plume, est irréprochable et en adéquation avec l’esprit global du projet ainsi que des collaborations imprévisibles, mais appréciables et appréciées. Il ne serait d’ailleurs pas étonnant de voir une multitude des phases de Nekfeu citées sur les réseaux durant les jours à venir.