Lesram travaille ses rimes depuis bientôt une décennie, entre la sortie de son clip East Side jusqu’à sa récente apparition sur la Don dada mixtape. Pourtant, nombreux s’accordent à dire que le Parisien ne connaît pas – encore – un succès à la hauteur de son talent. Retour sur le trajet de celui qui headshot les prods avec une précision de sniper et qui vient de sortir son projet “Wesh enfoiré”. Portrait.
Le cycle des choses
Lorsqu’on s’imagine une carrière de rappeur ou de footballeur, on respecte souvent les différentes étapes, les cycles habituels. D’abord, la longue introduction où la fougue se traduit en travail, les nuits à griffonner ses rimes, les séances d’entraînements passées à répéter le même geste.
Ensuite, l’explosion. Avec son lot d’albums vendus, les soirées mondaines, les matchs de Ligue des Champions. Et puis finalement, le phénix qui se déplume, années par années, projets par projets, la fin douce et paisible. Peut-être un éventuel retour, un combo album + tournée, une pige dans un championnat exotique, le temps de parodier son glorieux passé. Et puis, rideau. Le cycle s’achève.
Cependant, il arrive qu’un prodige ne s’embarrasse pas avec le cours naturel des choses et accélère les processus. Mbappé avec le maillot monégasque contre Porto. Lesram au micro d’un Grunt ou d’un Planète Rap. Le talent parle fort. Mais quand Kylian continue d’enchanter les terrains et accumule les millions, comment s’est-il fait que le rappeur du 93 n’a pas suivi la trajectoire lumineuse de son alter-parigot footeux ?
Le centre de formation parisien
Avant tout, il faut retracer les pas et les sessions freestyles foulées par Lesram et les siens au cours de la décennie précédente. Il fait son entrée dans le monde du rap vers 2012 et rejoint le blason des collectifs « Les tontons flingueurs » avec des artistes comme M le Maudit ou Lasco et du « Panama Bende » aux côtés du désormais illustre PLK, d’Ormaz ou de Aladin 135. C’est avec ce dernier crew que Lesram se fait remarquer d’un public plus large, sur le titre Avé en 2014. Le rappeur place dans son couplet une phase percutante comme une devise qui a été reprise en chœur par la génération-1995 vivant ses premiers émois de rap : « Un peu de sky dans ton Coca, un peu de Coca dans mon sky ».
En solo, Lesram se lance la même année avec East Side, un morceau dont la structure raconte déjà beaucoup sur le rappeur : 3 couplets sans véritable refrain. Il y a déjà toute l’essence de Lesram, de sa vie dans le Pré-Saint-Gervais. L’évocation brute des rapports avec la police, la drogue, l’envie de partir ailleurs, les fantasmes de Porsche et les soirées passées à se buter sur un banc. Le tout sur une toile de rimes ciselées avec précision. Lesram respecte les syllabes et représente sa commune, comme il le cristallise dans ce premier clip solo : “Wesh l’ami, j’avoue le week-end j’aime pas les soirs sans tise / Au tieks on dit pas “jamais deux sans trois” mais jamais 310”.
Dans la même période de temps, Lesram est en feat avec Maxi Jay sur 317. Il délivre un énorme couplet, décrivant successivement son rapport à la musique « Ouais gros, boom-bap ou peu-tra moi je m’en fiche / Tant que ça fonctionne et que je fais mon beurre à 40 piges » et son quotidien à travers des enchaînements techniques « Bah ouais j’veux de la maille pour éviter de voir mes soss à terre / J’roule un niamo, Soso tire, bellek y a triple 6 autour ». Lesram calcule les multisyllabiques comme un mathématicien et affûte son phrasé contre les micros de Paname qu’il croise. Il dégage une impression de nonchalance et de talent indomptable, comme Ronaldinho avec le maillot du PSG. Quand on l’entend rapper, c’est dur de faire une autre analyse pertinente que « il est fort ».
Des freestyles jusqu’aux plateformes
Mais le rap mieux que tout le monde sait que ce ne sont pas toujours les plus forts qui gagnent. Au fil des années, Lesram apparaît sur le projet ADN du Panama Bende avant de tomber dans un silence qu’il brise sporadiquement avec un ou deux clips solos par an. Cette irrégularité dans le rythme des sorties frustre une fanbase prête à brandir le drapeau du FC Lesram. On s’impatiente de le voir sous un format de projet solo à l’heure où le « rap qui rappe » est de retour, notamment sous l’impulsion de Alpha Wann. Il franchit finalement cette étape avec G-31, un 7 titres où se mêlent l’exercice du boom-bap traditionnel sur East Side 2.0 avec des prods julesques sur Red Dead Redemption, le tout lié avec cette même exigence de la rime. Sur Mode de Vie, l’artiste place une nouvelle devise : « L’argent c’est toujours pareil : y’en a pas assez / les keufs c’est toujours pareil : y en a beaucoup trop », montrant une nouvelle fois sa maîtrise de la formule, celle qui remplit les « tops 20 punchlines » des fins d’années.
Une autre spécialité de Lesram est la facilité avec laquelle il découpe pendant les freestyles. Depuis les Planète Rap avec le Panama Bende ou Georgio jusqu’aux nombreux Grünt où il a rendu visite, les passages du parisien sont souvent ceux qui enflamment les commentaires sous la vidéo. Dans la Grünt #20 de Zeurti, il pose cette fulgurance “On s’barre en ville au volant d’une Peugeot 306 / + moi, + 3 mecs du quartier, ouais, ça fait 310”. 22 épisodes plus tard, c’est Limsa d’Aulnay qui devant l’arrivée d’une instru boom-bap, interpelle Lesram en lui disant “rends ça classique mon frérot”. Nouvelle preuve qu’on peut compter sur lui quand il s’agit de briller dans cet exercice.
La beauté du succès d’estime
Le rappeur fera ensuite une apparition remarquée sur la don dada mixtape aux côtés de la superstar Nekfeu pour une profession du rap parisien, san andreas. Les deux rimeurs d’élites domptent la prod de Louis et montrent à quel point ce sport est facile pour des athlètes entraînés. Lesram prend le refrain en alliant un hommage à sa ville avec une rime imagée : “Les rues de ma ville, j’en suis devenu l’orateur / à chaque dos d’âne je me crois dans une low-rider”. Nombreux auditeurs ont découvert Lesram à travers ce titre, et il trône depuis de loin dans le top 1 des titres les plus streamés de l’artiste. En plus de cet échange à domicile 100% Paris, le rappeur est aussi parti jouer à l’extérieur sur le “Classico Organisé” du marseillais Jul, avec un couplet de très haut niveau sur Heetch. Cette exposition sur deux projets très écoutés et aux D.A différentes montre non seulement la polyvalence de Lesram, mais également le respect qu’il inspire à ses collègues. Plus que le succès commercial, la reconnaissance par les pairs est la meilleure preuve que le travail est bien exécuté.
Dans la suite de ces apparitions, Lesram sort une série de 5 freestyles clippés en 2021 intitulé “Wesh enfoiré”. Encore une fois, le rappeur fait ce qu’il fait sans cesse depuis 2014 : bien rapper. Les extraits sont partagés par des noms comme Deen Burbigo, Louis, Limsa d’Aulnay, commenté par Dinos ou Heezy Lee. Finalement, Lesram tease avec son dernier clip sorti ce 2 mars 2022 l’arrivée imminente d’une mixtape “Wesh enfoiré” désormais disponible.
Le milieu du rap est-il prêt à donner au grand public un de ses secrets les mieux gardés ? Lesram est un rappeur à la trajectoire complexe, aussi fort en 2022 qu’il l’était en 2014, une sorte de rookie intemporel, celui qu’on s’attend à voir finir inévitablement dans la lumière. Mais les années passent et ne tiennent pas leurs promesses. Finalement, c’est peut-être l’artiste lui-même qui en parle le mieux, lorsqu’au détour d’une rime sur la difficulté de quitter le quartier, il décrit inconsciemment sa place dans le monde du rap :”J’ai pris un coup quand j’ai su / que le monde est grand mais je suis bloqué dans ma ne-zo”.
Berat Dincer
