C’est, en tous cas, ce à quoi aspire Nitsh suite à la sortie de son EP Nu disponible depuis le 11 février. Dans cette belle et longue discussion, l’artiste revient sur son parcours, son lien à Nietzsche ainsi que sa participation à l’oeuvre de PNL.

Comment ça va, Mehdi ? 

Je vais bien. Je reviens tout juste d’Alger. C’est assez particulier, parce que la personne qui prononce ces mots dans le titre Ca va Mehdi de l’EP, c’est ma grand-mère et elle vient de décéder. C’est la raison pour laquelle j’étais à Alger.

Toutes mes condoléances..

Merci.

Avant de rentrer dans le cœur du projet Nu, comment en es-tu venu à faire de la musique ? 

Depuis que j’ai 7 ans, j’ai toujours été attiré par la musique. J’ai commencé par le saxophone. J’ai bien fatigué ma mère pendant une ou deux années afin de commencer à apprendre à en jouer. Un jour, un professeur de saxophone est venu dans mon école pour faire la promotion du conservatoire de ma ville et de l’instrument. Je suis devenu fou quand j’ai vu l’instrument, je l’ai trouvé magnifique. Mon premier contact avec la musique, ou du moins mon envie de faire de la musique, a surtout été quelque chose de sensoriel. J’ai vu l’instrument, je l’ai trouvé magnifique et je me suis dit que, moi aussi, j’avais envie de faire de la musique. 
 

 

Le BPM du nihilisme

Tu t’appelles Nitsh, en référence à Friedrich Nietzsche, philosophe à qui l’on doit la célèbre phrase : « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort ». J’ai lu que tu avais commencé le rap après un accident qui t’a paralysé pendant un moment…

C’est le démarrage de tout. J’ai passé 6 mois à croire que j’étais en train de mourir lentement ou que j’allais devenir handicapé à vie. On est clairement dans « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort » ou comme Booba a dit : « Ce qui ne tue pas rend plus fort, ou handicapé » [Rires.] Pour moi, ça a été l’option du plus fort. Ça m’a appris à me détacher de plein de choses et ça m’a appris à me laisser aller au gré de mes envies.

Tu es un artiste qui ne dévoile pas son identité. Est-ce de la pudeur ?

Comme j’en parle dans mon EP, je suis d’origine maghrébine. La pudeur intervient dans plusieurs dimensions : les émotions, les pensées et le corps. A la base, j’avais envie de déshabiller mes émotions et ce que je pouvais penser, sans complexe. J’en suis arrivé à un moment où je pense avoir bien structuré mes convictions, et bien identifié mes failles. On peut toujours tout remettre en question, mais je suis arrivé à un moment où il y a certains sujets que j’ai envie d’aborder et qui sont propres à mon origine sociale, propres à mes origines. Il fallait donc me mettre à Nu et utiliser des mots plus précis plutôt que de rester dans des concepts. 

Quand tu parles de Nietzsche, justement, ses écrits et ses concepts faisaient partie de ce que j’avais envie de partager, de traduire avec un peu de poésie. J’ai, maintenant, envie de les vulgariser.

Dans le titre Là où tu danseras dans lequel tu dis : « Chez nous, les enfants ne connaissent pas les caresses de leur père qui les aiment avec maladresse. ». Est-ce que ça a été ton cas ? 

Complètement. Tu touches un point sensible. Ça me touche que ce soit la première line dont tu me parles. C’est quelque chose qui était tellement évident dans mon enfance et dans le rapport que j’entretenais avec mon père. Quand je te parle de pudeur et de création d’univers, il m’a fallu du temps avant de développer une phrase aussi claire sur un concept aussi marquant. Mon père est décédé l’année dernière, et moi tout ce que je voulais c’était de l’affection. Cette affection je ne l’ai eu que dans ses derniers instants. C’était donc un sujet très important à aborder pour moi.

Je te parle de cette line parce que c’est l’une des plus marquantes de ce projet rempli de sens. Tu y parles également, dans le titre Echoué, de cette impression d’être en marge. Est-ce que c’est quelque chose de positif ou de négatif selon toi ?

Déjà, dans ma manière de voir les choses : rien n’est tout blanc ou tout noir. Il y a du positif et du négatif dans tout. Pour ce qui du négatif dans l’impression d’être en marge, c’est quelque chose qui était difficile dans mon adolescence. Quand les parents sont originaires d’un autre pays , il est normal de ne pas se sentir intégré en France. Et ce même si mes parents étaient parfaitement intégrés. Dans mon école, nous n’étions que 4 maghrébins, ça fait déjà sentir une différence. Et bien sûr, en Algérie, j’étais « le français ». Ce qui est intéressant, c’est que la dernière fois que j’y suis allé, j’ai moins senti cette différence. Je me sentais chez moi, comme si les mentalités n’étaient plus les mêmes. Quant au positif, je l’ai notamment senti quand j’ai commencé les instrumentales. Encore plus quand j’ai commencé à produire pour d’autres artistes : ce qui m’anime le plus, c’est d’être différent. Et oui, Nitsh c’est mon pseudonyme pour la partie interprétation. Mais sur le côté, je produis sous un autre pseudonyme pour des artistes plus ou moins connus. J’ai toujours envie de proposer quelque chose de différent. Je refuse de me baser sur des type beats, je veux que l’on reconnaisse ma touche. Quand un artiste me demande une prod, je préfère me rendre en personne au studio afin de sentir l’énergie et de proposer quelque chose d’unique. Cela me plaît d’être en marge. 

Nietzsche a développé le concept du nihilisme. Est-ce que tu t’y intéresses ? 

Bien sûr, je m’y suis beaucoup intéressé. Même si le nihilisme n’est pas forcément la théorie de Nietzsche qui me pousse le plus à la réflexion. Il y en a d’autres qui éveillent davantage mes sens. Je pense, notamment, à la morale d’esclave qui m’impressionne grandement. Pour ce qui est du nihilisme, j’ai l’impression que c’est un terme qui est souvent maladroitement utilisé. Tu me demandes si je souhaite vulgariser ce concept, mais toi qu’as-tu retenu du nihilisme ?

C’est un courant qui est apparu à la perte de pouvoir de l’Eglise, ce qui a causé la disparition d’une échelle de valeurs communes. La question que pose le nihilisme c’est : comment remplacer cette échelle de valeurs ?

Exactement, je l’interprète de la même manière. Selon moi, on la remplace par la science. On doit accepter la fatalité de certaines choses. Tout a un début et tout a une fin. C’est dur à dire parce que j’ai grandi dans une famille dans laquelle la religion a une grande importance. Je trouve ça très beau et fort. Je pense que l’un des avantages de la religion, c’est d’offrir un projet commun, de solidifier une communauté. Selon moi, une croyance est toujours sujette à une interprétation individuelle. Qu’on le veuille ou non, et même si ses principes y sont inscrits dans les livres saints. D’un côté, je me dis que c’est dommage qu’on ait besoin de cela pour apprendre à vivre et de l’autre, je regrette de ne pas avoir cette naïveté. Quand j’en parle avec ma famille, ils me disent que sans la foi, ils seraient perdus. Et c’est vrai que moi aussi, et j’en parle dans Elle habite mon esprit et dans Echoué, ma nature me pousse à me sentir perdu quand je n’ai pas de combat à mener. 

Du coup, est-ce que tu dirais que Dieu n’est pas vraiment mort ?

Pour moi, il n’a même jamais existé. Nietzsche le dit d’une manière assez provocatrice avec sa célèbre phrase, parce qu’il voulait aller contre les règles de son époque. Pour moi, il n’a même pas existé. Ce que j’ai vu autour de moi, c’est l’interprétation d’une religion plutôt que la présence d’une force divine.

Le monde ou l’agonie

 

 
A la fin du titre Etre moi, j’ai cru discerner les dernières notes du morceau Le Monde ou rien de PNL. Est-ce que je me trompe ? 

Oh putain, t’es un génie. Je voulais pas en parler, mais tu ne te trompes pas.

Pourquoi ce clin d’œil à PNL ? 

Bah écoute, c’est pas un clin d’œil à PNL. C’est un clin d’œil à une personne qui… Je ne pensais pas que tu allais me toucher comme ça. C’est un clin d’œil à une personne qui, involontairement, a changé ma vie. C’est la personne qui a composé ce titre Le Monde ou rien : MKSB. 

Le jour où j’ai découvert PNL avec Le monde ou rien, je vois le clip tourné à Naples, et je n’aimais pas trop. Je ne comprenais pas PNL, j’avais un blocage. Mais j’ai fermé les yeux et j’ai réécouté l’instru, et je l’ai trouvée incroyable. C’est le moment précis où j’ai renoué avec le rap. Parce que, quelques années auparavant alors que j’étais déjà signé en maison de disque et après avoir produit des gros sons, je trouvais que le rap des années 2010 s’était perdu, il n’était plus qu’une parodie du rap américain. Mais avec Le monde ou rien, je me suis dit qu’il était encore possible d’innover, de faire des choses originales. Même le BPM utilisé par MKSB, c’est le genre d’instru que j’adorais faire mais que les autres rappeurs n’écoutaient pas. Pour moi, c’était une révélation. 

Quelques mois après, il y a J’suis PNL et J’suis QLF qui sortent. Et je me prends une claque sur J’suis QLF, je sens le travail derrière la prod, la minutie. Je commence, alors, à adorer PNL et à m’attarder à leur univers. On parle de vulgarisation, eux ils vulgarisent des thèmes compliqués avec notre vocabulaire, ce que je trouve très fort. J’essaie donc de savoir qui fait les instrus, parce que je me dis qu’il est sur une autre planète. Et je vois que les 3 sons qui m’ont le plus marqué étaient crédités MKSB. J’essaie donc de le contacter pour le remercier, et après quelques échanges on commence à créer un lien. 

Entre temps, je pars vivre au Mexique, et à un moment je lui dis que je fais aussi de la musique. Il écoute, et il se prend une tarte alors que c’étaient d’anciens sons. Et ce parce qu’il a compris, que déjà quelques années auparavant je faisais de la cloud, mais personne ne comprenait. MKSB a mis la cloud à jour parce qu’il y a incorporé des drum kits trap, alors que moi j’utilisais d’autres drum kits pour un résultat quasi similaire. Alors, on commence à bosser sur une instru à distance et il me propose de travailler ensemble dans un bon studio à Los Angeles. J’y fonce tout de suite, et une amitié de fou se crée. Alors, sur le morceau Etre moi, j’avais envie de le remercier. On a aussi collaboré ensemble sur l’album Deux Frères dans lequel on a des instru en commun. Pour moi, c’est important de rendre hommage, que ce soit dans mes prods ou dans mes textes.

L’EP finit par le titre Mehdi, ça va, et tu t’y livres sur beaucoup de sujets. Alors, à quoi on peut s’attendre pour l’avenir de Nitsh ?

Le Mehdi, ça va, pour moi c’était l’outro parfaite. Tout au long du projet je me dénude et j’avais envie de montrer que pour conclure le projet, je me mettais à nu en enlevant le voile sur mon identité. Mehdi, en France, ça veut tout dire. On comprend vite que je suis un jeune maghrébin, que j’aime le foot, etc… C’est comme ça, on connait le rapport entre la France et le Maghreb. Le “ça va”, c’est aussi pour montrer le rapport de tendresse que j’avais avec ma grand-mère, qui se préoccupait tout le temps des autres, malgré les épreuves. C’est une manière de dire que je vais réussir à prendre du recul afin d’être plus à l’écoute des auditeurs pour pouvoir donner. Tout au long des mes anciens projets, c’était très égoïste. Là, j’arrive à un moment où je peux donner. Les bases sont assez solides pour faire plaisir à mon public. Alors qu’avant, j’imposais ma vision de la musique à mon public. Et ça, c’est fini. 

Propos recueillis par Youssef Basbas