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Comment la paternité est traitée dans le rap français ?

Le rap français a toujours parlé des relations parents/enfants, mais les rappeurs se sont longtemps exprimés d’un point de vue du fils. Celui qui témoigne à quel point sa mère est une femme forte ou son père est un alcoolique. Aujourd’hui, même parmi les plus hardcore, nombreux sont ceux qui exposent leurs enfants, autant sur les réseaux sociaux que dans leurs chansons. 

Des classiques du rap français : Shurik’n, Arsenik, Stomy Bugsy

Si on procède à un petit flashback au cœur des années 90’s, on observe que certains des plus grands classiques du rap français abordent la thématique de la paternité. Dans « Regarde le monde » du groupe Arsenik, Lino et Calbo se voulaient lucides sur la société de demain, celle dans laquelle grandiront leurs enfants en bas âge. Une manière d’exprimer leur propre vision du monde en passant par le filtre de leur gamin, mais surtout une sorte de testament. Pour être sûr de pouvoir léguer quelque chose, même si ce n’est qu’une idée : « À travers ma prose je t’explique, avant de partir en cendres / Que je t’aime aussi vrai que je hais déjà mon futur gendre ».

 

Dans « La lettre », Shurik’n saute une génération pour camper un grand-père qui écrit une lettre d’adieu à son petit-fils avant de mourir. Un texte d’anticipation dans lequel il sait exactement comment réagiras sa progéniture : « Tu vas te chiffonner pour un « ta mère la pute », même si c’est pas vrai », « Tu subiras un peu les vannes des potes plus à la mode ». Comme c’était souvent le cas, il livre un storytelling assez générique, la moitié de Iam n’étant vraisemblablement pas encore grand-père en 1998. Chacun peut facilement s’identifier à ses propos, que cela soit en tant que fils ou en tant que père.

Autre classique, autre ambiance. Stomy Bugsy sort en 1996 un son léger nommé « Mon papa est un gangster », dans lequel il se met dans la peau de son fils pour se mettre en valeur et dire du bien de lui-même. On peut y voir un égo surdimensionné, mais aussi la sensibilité d’un Stomy qui veut rendre fier son fils plus que tout.

 

Au-delà de ces exemples forts, peu parlaient de leurs marmots. Deux explications simples à apporter : les rappeurs étaient en moyenne moins âgés, et ils ont décomplexé leur discours pour aborder tous les sujets, notamment l’amour.

Exposer ses enfants sur les réseaux sociaux

Aujourd’hui, la grande majorité exhibe sa vie sur les réseaux sociaux. Instagram est la plateforme privilégiée des rappeurs, qui gèrent généralement leur compte, contrairement à Twitter ou Facebook, utilisés pour une communication plus conventionnelle. Dans le grand jeu des storys Insta, l’idée est de fidéliser les fans en se montrant proches d’eux. On montre des tranches de vie, même celles qui peuvent paraître les plus futiles. Pour les moins pudiques, les enfants jouent logiquement un rôle majeur dans cette pièce de théâtre permanente. C’est ainsi qu’en scrollant entre les storys, on retrouve Médine et sa voix grave ordonner à son fils d’exciser d’autres enfants armés d’une épée en plastique, Booba faire des montages avec sa petite Luna ou le terrifiant Kaaris donner le biberon à sa fille.

Les fans connaissent maintenant les enfants de leurs idoles non pas grâce aux médias racoleurs, mais directement via les artistes. Une proximité nouvelle qui fidélise et engendre des likes en masse. En un mois, la publication de Booba la plus aimée est une photo toute simple de sa fille Luna (plus de 250 000 likes). Devant ses trolls sur Kaaris/La Fouine/Rohff ou l’annonce du clip de « Trône ». Même les rappeurs qui insultent des mères allégrement ont leur part de tendresse, souvent signifiée uniquement par l’amour qu’ils portent à leur progéniture.

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Une logique commerciale… ?

On peut alors se poser la question de la sincérité de la démarche. Si une bête image de sa fille entraîne plus de réactions que n’importe quelle autre publication, pourquoi un rappeur se priverait de cette communication positive ? Et pourquoi ne pas en faire une chanson, qui marchera forcément en mettant un peu d’émotion dedans ?

Force est de constater que pour chaque rappeur ayant abordé cette thématique, le morceau en question s’avère être un des plus importants de sa discographie. C’est le cas pour les premiers cités en début d’article, mais aussi pour Nakk avec « Mon fils ce héros » ou Triptik avec « Papa ». Plus récemment, ce genre d’initiatives se multiplie, et chacun y va de son morceau hommage. Si l’objectif commercial est impossible à vérifier, les chiffres sont parlants. « Petite Fille » qui figure sur le dernier album de Booba, fait partie des plus streamés du projet. Même chose pour « Allo Papa » du rappeur marseillais Alonzo, qui est le track le plus écouté de son album « 100% » et dont le clip cumule plus de 100 millions de vues sur YouTube.

 

Mais est-ce seulement dans une logique commerciale et d’image positive que les chansons sur le thème de la paternité se multiplient ? Difficile de douter de la sincérité d’un artiste, surtout sur un sujet aussi personnel. Le fait que la parole se soit décomplexée et que les rappeurs osent maintenant parler d’amour sous toutes ses formes pèse également.

…Ou une affection décomplexée ?

Le rap est la seule musique où le discours est au moins aussi important que la musicalité. Il a toujours été question de se raconter : décrire les galères du quartier, le quotidien, se vendre comme le meilleur… Même ceux qui ont le plus de mal à mettre, des mots sur leur amour l’expriment, par bribes. Aujourd’hui genre musical le plus écouté en France, le rap tend de plus en plus vers des sonorités mainstream et devient la nouvelle variété/pop. Les barrières d’un rap codifié à l’excès sont brisées et les nouvelles tentatives musicales sont au service d’un propos plus diversifié. Si l’on pousse le comparatif avec la chanson française, tous les grands noms du milieu y sont allés d’une musique dédiée à leur(s) enfant(s) : Johnny Hallyday, Jacques Brel, Jean-Jacques Goldman, Alain Souchon… Il n’est pas illogique que les rappeurs s’y ouvrent à l’heure où tout le monde applaudira la démarche plutôt que de la moquer.

Pour les artistes exposant leurs rejetons sur les réseaux, c’est coup double : l’attachement avec le public est déjà fort et un morceau permet de retranscrire l’amour déjà affiché via les photos et vidéos. Pour les plus pudiques, peu à même de dévoiler ce pan de leur vie et conscients de l’importance de l’image, leur affection se dessine en musique.

Vald, une des têtes d’affiche actuelles, s’est construit une carapace et n’est pas le plus à l’aise pour s’exprimer sur sa vie privée. Il a pourtant récemment sorti un morceau consacré à son fils de 4 ans, Charles, avec « Deviens génial ». Même constatation pour Damso, qui a délivré un titre sans équivoque nommé « Peur d’être père » sur son retentissant album « Ipseité ».

 

Je préfère être un meilleur père qu’un meilleur rappeur

Dans l’adage populaire, on dit qu’on ne comprend ses parents que quand on le devient soi-même. Le Mc du 18ème Flynt l’a d’ailleurs relaté dans Homeboy : « A mon tour je sais comment mes parents m’aiment ». C’est n’est que lorsqu’un bébé vient chambouler leur quotidien que certains commencent à reconsidérer leur mode de vie. La vie d’un rappeur est bien souvent rythmée par les tournées, la promotion et les longs moments passés au studio. Pas idéal pour être présent auprès de son enfant. Un attachement pour ce milieu que Flynt n’hésite pas à mettre entre parenthèses pour l’amour des siens, surtout que le gros de sa carrière est derrière lui « Je leur offrirais le cadre de vie le plus sain possible / quitte à mettre le cap loin de la scène et de mon possee » tout comme Nakk Mendosa qui clame : « Je préfère être un meilleur père qu’un meilleur rappeur ». La carrière devient secondaire pour s’occuper au mieux des siens.

Le rôle de père qui prend le dessus sur celui d’artiste ? Pas pour tout le monde. Pour Street Press, Guizmo était revenu sur les contradictions que cela engendre : « C’est un mode de vie difficile à gérer. Si j’ai une femme et des gosses, je veux être présent, je ne veux pas qu’ils manquent d’un mari et d’un père. Mais je t’avoue que le rap est une passion. Même avec des marmots, une femme et un loyer à payer, c’est quelque chose de viscéral, presque compulsif. Donc je ne suis pas sûr d’arrêter un jour… ». Pour d’autres, la réflexion est différente. Il faut se servir de son exposition dans la musique pour mettre à l’abri les siens. « Depuis la naissance de mon fils, je me dis que je n’ai aucun droit à l’erreur. Doc Gynéco a fini par gratter le Pôle Emploi », assume Rim’k dans Libération.

Chez l’ancienne génération, une certaine valeur morale à respecter était portée dans le message. Maintenant, à l’ère où les rappeurs sont moins moralisateurs qu’hédonistes, ils semblent vouloir le bonheur plus que le respect des codes familiaux. Quand eux-mêmes ne sont pas des modèles de puretés, les questionnements sur l’éducation sont nombreux. « Comment donner l’exemple de ce que je serai jamais » s’interroge Damso dans « Peur d’être père ». Revenu sur le sujet pour RapElite, le Belge veut laisser les épreuves de la vie décider : « Je ne peux pas imposer une vision », « La vie fera ce que tu seras. »

Une chose est sûre, les rappeurs assument aujourd’hui ce qu’ils sont, manifestant leurs sentiments sans complexe. Plus que jamais, le mantra « Que La Famille » prend son sens dans le rap français.

Simon Virot