Dès que le rap s’est démocratisé, il n’a pas hésité à s’exporter vers d’autre style, notamment le rock, et cela sous toutes ses formes. Par exemple, on distingue la vague de punk/shoegaze qui a donné naissance à des rappeurs aux cheveux froissés et à la teinture douteuse. On peut citer Lil Peep, Lil Uzi Vert ou Post Malone dans une idée d’exposer leur semi-dépression et leur peine de cœur. À côté de cela, des artistes comme City Morgue se dirigent vers des guitares plus distordues, à la lisière du métal. Si le mouvement s’essouffle depuis quelque temps, d’autres prennent le relais comme le hit Old Town Road de Lil Nas X en basculant, cette fois-ci, dans la country. Malgré cela, le phénomène ne date pas d’hier, car, en effet le rap et le rock entretiennent une longue relation pour le meilleur et pour le pire.

L’amour du rock dès les 80s

Il faut remonter en 1986, alors que le rap n’était qu’à ses prémices pour déjà y apercevoir une collaboration hérésiarque. Pour exemple, Run DMC, l’un des premiers groupes à avoir popularisé le rap au milieu des années 80, rejoint les membres mythiques d’Aerosmith sur le titre Walk This Way. Dix ans après la sortie du titre originel de 1976, cette nouvelle version du titre coup de poing fait son apparition pour lui procurer une nouvelle genèse. Le groupe de Boston, alors au pic de leur carrière s’exporte déjà dans la sphère extravagante du rock&roll. Le tout est produit par Rick Rubin, co-fondateur de Dej Jam. À la même époque, on pourrait également citer Public Enemy au côté de Anthrax sur Bring the Noise en 1991, ou bien encore Rage Against the Machine assumant pleinement le crossover entre les deux genres.

 

Pour autant, encore de nos jours, la connexion est loin d’être évidente et il n’est pas si commun de lier les deux genres. Il faudra attendre la résurrection du pop-rock au milieu des années 2000 pour y voir des rappeurs se glisser parmi les batteries et les guitares. Cela jusqu’au point que le phénomène s’inversera avec Cypress Hill, déjà très marqué par le rock, qui invitera Chino Moreno sur un titre explicite : Rock Superstar. La formule se veut plus poussée, avec une production évolutive passant du boom-bap aux guitares angoissantes. Alors à partir de maintenant, la démarche artistique prend le pas sur celle du marketing. Du moins c’est ce que nous aurions pu croire jusqu’à ce que Jay-Z arrive pour nous prouver l’inverse en s’associant avec Linkin Park dans un album commun, Collision Course. Dedans, Il est question d’un mash-up grossier qui, certes se ponctua par le succès du titre Numb/Encore, mais dont les intentions artistiques resteront douteuses, avec un mauvais goût presque assumé.

Les perturbations de notre siècle

À l’aube du XXIe siècle, il est difficile de dire si nous sommes en train de frôler le mauvais goût ou redonner naissance à un genre trop peu exploité. Car en 2001, Gorillaz, le groupe virtuel de Damon Albarn, révolutionne la musique en brisant la barrière des genres. Un trip hop qui se décline sous une plâtrée d’influence dont le rock et où certains rappeurs viennent participer à la BO. Que ce soit MF Doom, Mos Def ou De La Soul, chacune de leur participation fut une grande réussite, que ce soit en terme d’audience ou sur le plan qualitatif. Problème : Gorillaz est si unique et imprévisible que personne n’aura essayé de perpétuer leur patte musicale.

Cela n’empêchera pas le rap rock de perdurer, comme le prouve un certain Lil Wayne. Suite à sa collaboration avec Kevin Rudolf, -une horreur musicale dont la carrière n’aura duré seulement le temps d’un album- le rappeur désire faire les choses jusqu’au bout en composant un album dans la même veine. Son nom ? Rebirth. Telle une deuxième carrière pour le rappeur, l’amour qu’il porte pour les guitares sous amplificateurs prend vie dans ce projet. Pour autant, ce dernier n’aura pas fait l’unanimité. Il fait dire que l’écart est énorme : proposer du rock à des fans de rap sudiste à la Cash Money. Adieu la violence rigide des batteries crasseuses à la Juvenile et bienvenues dans un déchirement de tympan provoqué par des riffs explosifs. L’année 2010 commence, en un sens, par un album rap rock qui n’annonce rien de bon pour la suite en vue des critiques cinglantes à son égard. Malgré l’apport de Cool & Dre ou J.US.T.I.C.E. League, le constat reste le même : Weezy vient de découvrir Blink182 et n’a appris à jouer seulement 3 accords à l’improviste. À côté, rappelons que le batteur Travis Barker investit le rap au collaborant avec The Game sur Dope Boys ou encore une fois Cypress Hill, encore une fois.

 

Mais avec un tel loupé de la part de Lil Wayne, le rap rock est-il mort ? Certainement pas. Kid Cudi, aussi détesté qu’adorer, aura su mélanger la nouvelle vague électro et celle de l’Indé-rock du début de la décennie. Pour conter son histoire d’adolescent détruit par la vie, il ne se limitera pas qu’au rap, accueillant des sonorités plus pop. Pas étonnant alors de retrouver MGMT dans Pursuit of Hapiness mais surtout Ratatat dans Alive. Succès commercial, certes, mais cela ne plait qu’à moitié au public du rap. Pourtant, la jeunesse s’empare du phénomène pour se le réapproprier. Une génération qui résulte à des acteurs comme Travis Scott qui ira chercher plus loin en invitant Tame Impala et Toro Y Moi, affichant sans complexe ses inspirations bien plus larges que le hip-hop.

Les sous-genres 

 

 

Sur une terre lointaine, d’autres rappeurs amènent leur héritage country comme Yelawolf. Élu XXL Freshman en 2011, il ne se cache pas d’être envouté avant tout par les mélodies de Kid Rock plutôt que celle d’Eminem. Une brise fraîche qui se dépose sur le rap avec un personnage qui est capable du meilleur comme du pire. Cette figure de redneck alcoolique est aussi attrayante que détestable notamment lorsque des guitares acoustiques sans âmes viennent rythmer certaines pistes. Là encore Travis Barker vient y fourrer son nez sur un EP en commun avec le cowboy, Psycho White. Cette tendance s’inscrit dans une tradition très sudiste de diluer le rap avec la country comme avait pu le faire B. Un phénomène qui a pris de l’ampleur lors de l’élection de Donald Trump. Et pour preuve, une tripotée de rappeurs à la Peau-Rouge écarlate munit de chapeau et de ray-ban vissés sur la tête investissent internet. Souvent tourné en dérision à cause de parole et de visuel graveleux, ils ne sont bons qu’à devenir des memes ambulants aux yeux du monde entier. Mais à la country, ce sont aussi des superstars qui vont si coller comme Young Thug avec Beautiful Thugger Girls, loin d’être mauvais, qui épouse les plus gros clichés du genre. Un album comparable avec son style vestimentaire digne des plus grands rockeurs aux pantalons de cuire. Comme il l’a été évoqué plus tôt, le flambeau sera repris par Lil Nas X et son hit Old Town Road qui mettra tout le monde d’accord : la country rap a du potentiel. Du moins le temps d’un hit étant donné que le phénomène semble déjà s’essouffler, comme s’il n’y avait pas assez de matière à exploiter dans ce crossover incongru.

 

Le Hard Rock ou le Métal auront eux aussi envahi le hip-hop. Pour cela, il faut revenir sur ces rappeurs dépressifs au bord du précipice évoqué également plus haut. Cette scène se constitue d’emo-rap au riffs de guitare emprunté du grunge (principalement Nirvana à vrai dire) et qui aura perduré un bon paquet de mois. La mouvance s’accompagne de visuels psychédéliques où les rappeurs ne sont plus que des spectres flotteurs. À l’opposé, des boucles de guitares bruyantes -un euphémisme en un sens- seront exploitées par des artistes comme Ghostmane ou City Morgue avec une déclinaison des rythmes ainsi que des prises de risque plus intéressantes. La drogue, le meurtre et les femmes y sont évoqués san finesse pour percuter l’auditeur. Un genre provocateur qui continue de perdurer à ce jour.

Une troisième catégorie rentre en ligne de mire, l’Indé-rock. Un sous-genre qui s’assimile plus à une attitude plutôt qu’à une réelle patte musicale. Cependant, il est obligé de reconnaître que nombreuses sont les collaborations couronnées de succès. Glass Animals et Joey Bada$$, Parquet Courts et Bun B ou encore Flatbush Zombies avec Portugual Man. Tant d’exemples majoritairement réussis qui ne basculent pas dans la caricature, comme s’ils avaient appris des erreurs de leurs ainés pour effectuer un quasi-sans-faute.

 

Toujours dans un bon goût certain, Boosie ou Kevin Gates penchent vers le blues. L’héritage légué par leurs villes natales du Sud se ressent dans leur voix déchirée. Le plus frappant reste l’album Boosie Blues Cafe toujours par Boosie venu prouver avec pertinence que le rap ne se résume pas qu’à des 16 mesures. Ici, la violence et les rythmes nostalgiques font bon ménage, rappelant les heures tourmentées de la classe ouvrière au début du XXe siècle.

Et le rap français dans tout ça ? 

Dans une liste non-exhaustive, la France aura aussi eu droit à son lot de melting pop. Disiz, adepte des expérimentations en tout genre, aura été l’un des premiers à mettre les pieds dans le plat avec son projet Dans le Ventre du Crocodile. Auto-rebaptisé Disiz Peter Punk, le rappeur configure un album qui aura été criblé de balles à sa sortie en 2010 tellement il ne s’adaptait pas aux normes de l’époque. Par chance, il aura eu le droit à une réévaluation au fil du temps. Quelque peu maladroit, Disiz a eu moins le mérite  et l’audace de ne pas rester sur sa position initiale. Dans un style plus punk, donc brutal et revendicateur, Casey avait livré L’angle mort au côté de de Hamé tout en s’entourant de Serge Teyssot-Gay, co-fondateur de Noir Désir pour l’apport des guitares. Hormis une pochette qui a pris quelques rides, Casey et Hamé laissent derrière eux un album insolite démontrant que la France ne sait pas résigner à copier les États-Unis éternellement.

 

Comme tout mariage, il y a des hauts et des bas. Mais aucun divorce n’aura lieu. Le rap rock existe depuis le début du hip-hop et ne cesse d’évoluer. Une corde graphique irrégulière qui n’arrête pas de varier au fil des années permettant à tout le monde de piocher ce qu’il souhaite afin d’y trouver son compte. Puis rappelons-le, le rap s’est toujours nourri d’influence diverse pour devenir ce qu’il est aujourd’hui. Alors bien sûr, il n’est pas si étonnant de voir le rock s’immiscer dans l’équation. Dorénavant, il ne reste plus qu’à attendre que des gens proclament “Moi je n’écoute que du rap rock, c’est ce qui se fait de mieux je trouve” pour que le genre dispose de la résonance qu’il mérite.

Axel Bodin

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