Peu d’artistes peuvent se targuer d’avoir pu maîtriser des genres musicaux variés avec brio. C’est l’apanage de la récente égérie de la scène marseillaise : Soso Maness, qui compile dans ses textes une sincérité touchante avec une froide prise de conscience des horreurs de la rue. Revue d’un parcours assez inouï. 

Sofien Hakim Manessour, né dans la cité phocéenne, est devenu en quelques années un incontournable de la scène marseillaise. Encore peu connu avant 2019, Sofien est pourtant un ancien du game. Il grandit dans le quartier du Font Vert à Marseille, où l’activité effervescente des terrains et le trafic de stups ont alors rythmé sa jeunesse, dont les épisodes hantent encore la plupart de ses phases : « Oui à cause de moi parce que je vends la mort » (Mistral), « Il est minuit, j’fais les comptes, et je rends la sacoche » (TP). Le parcours tortueux de cet enfant des quartiers Nord aurait pu se terminer dans le drame, à l’ombre du mitard ou dans le sang d’un règlement de compte, et plusieurs séjours en prison achèveront d’ériger chez Sofien cette prise de conscience : il est un miraculé des quartiers. Aujourd’hui, Soso Maness peut se considérer comme un Rescapé de la rue (son premier album, sorti le 22 mars 2019).  

 

Validé à 12 ans par la Mafia K’1 Fry 

Sofien s’est inséré très tôt dans le rap français. Il a commencé le rap à 11 ans dans le groupe Les sales mômes qu’il créé avec un ami, et qui lui permet de se produire lors d’évènements festifs organisés dans des ginguettes de son quartier, où se réunissent rappeurs, graffeurs et danseurs. Le premier morceau de son groupe Les Sales Mômes qui « pète », il l’enregistre en feat, alors qu’il n’a que 12 ans, sur l’album culte du groupe Intouchable, du collectif de la Mafia K’1 Fry (originaire du 94). Un grand avenir semble promis à ce gosse qu’on entend dans le morceau La Relève, et qui pourtant se détourne à l’adolescence du rap pour se consacrer à d’autres activités.

De ses débuts parmi les plus grands, Soso Maness n’en garde que de vagues souvenirs. Il reprend la musique au milieu des années 2010, et s’illustre notamment en feat avec l’Algerino sur le morceau Tarpin, dans lequel on retrouve cette vibe « marseillaise », fraîche et ambiançante, propre à Soso Maness. Depuis, entre 2013 et 2018, le temps de lâcher quelques singles, dont Merlish et KTM et d’apparaitre sur le premier album de JUL « Dans ma paranoia », il fera plusieurs allers-retours en prison. Libre à la fin de l’année 2017, il signe chez Sony, délaisse le crime et prend le mic à plein temps.  

 

Entre amertume et scrupule face au passé 

Son premier album, Rescapé, qui paraît en mars 2019, achève de le propulser sur le devant de la scène marseillaise, grâce à des textes aux punchlines décalées et piquantes, qui brillent par leur authenticité. La particularité de ce dandy du crime tient à son univers violent et impitoyable, celui d’un pur produit des Quartiers Nord, mais qui pourtant parvient à ambiancer tout type de clubbeur. L’émotion reste palpable dans ses sons, où il oscille entre les insultes aux daronnes, la décomplexion brutale (« Il t’a volé dix balles, mets-lui dix balles de 9 millimètres », Minuit c’est loin), l’amertume face à la violence de la rue (« J’ai trop vu de larmes, le soir à l’hôpital, trop vu de blases sur les pierres tombales », Mistral) et l’humour qui découle de l’égo trip (« J’connais ces rappeurs, c’est des acteurs, ils parlent de kalash, de fours et d’inspecteurs mais le seul uniforme qui frappe à leur porte… crois-moi, ma gueule, c’est le facteur. » Minuit c’est loin). Son univers aux tons variés permet de proposer à ses auditeurs une palette musicale très riche, dont l’humour et le vécu touchant font de Soso Maness l’un des rappeurs les plus qualifiés pour dépeindre une certaine – triste – réalité des Quartiers Nord de Marseille.  

 

En parallèle de sa musique, il sort sur YouTube une série de court-métrages, qui dépeignent la violence des Quartiers Nord, et dont l’épisode 3, Avec le temps, paraît le 3 juin 2021. L’année 2020 est pour Soso Maness une nouvelle apogée. Son titre So Maness, sorti en mars 2020 et extrait de son deuxième album Mistral, enflamme les réseaux pour quelques semaines au moins. Un nouvel exemple de la polyvalence de l’artiste, qui propose à son public un titre purement dédié aux boites, pensé pour s’enjailler jusqu’au bout de la nuit, tout en gardant les mêmes lyrics inspirés de son vécu. Petrouchka en feat avec PLK, sorti le 4 juin, est dans un esprit similaire et emprunte aux sonorités du monde de la nuit. Avec son second album Mistral, Soso Maness devient l’un des rappeurs les plus probants de cette année. S’ouvre alors un nouvel âge d’or du rap marseillais, où Soso maness a sa place, après qu’il eût goûté au premier âge d’or des années 90 ; « j’avais 9-10 ans, j’étais avec Carré rouge et 3ème œil au café Julien », lâche Soso au cours de son interview Le Code par Mehdi Maïzi. Sur le titre en Bande Organisée, sorti en août 2020, en feat avec SCH, Kofs, Jul, Naps, Elams,et cie, il ne lâche que 12 mesures, mais ce sont celles qui berceront notre été, un été endeuillé par l’épidémie du coronavirus. L’automne voit la sortie de l’album 13’Organisé qui rassemble une cinquantaine de rappeurs marseillais, dont Soso Maness. Comme à l’époque d’IAM, dans tout le rap francophone, Marseille rayonne. 

 

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Musicalement, Soso Maness fait montre d’une ouverture inattendue, et ses influences sont diverses. Le son Rescapé reprend un classique de la chanson française, sur une top-line de Renaud, ou encore, Emmenez-moi qui est un hommage à Charles Aznavour, tandis que d’autres titres comme Bilal s’attachent à décrire l’enfer que vivent les migrants en Libye. On pourrait relever dans la discographie de Soso Maness la description avérée du quotidien des « jobbeurs » des Quartiers Nords, mais pour celui dont la voix résonne dans les boites et les pool-party de Dubaï, ce serait oublier le talent d’un artiste prêt à se renouveler et à se diversifier sans cesse. Son troisième album,  Avec le temps, avec un démarrage fracassant (17 129 ventes en première semaine ») est disponible depuis le 4 juin qui dépeint un Soso Maness qui grandit et fait valoir ses aspirations futures : musique, série et projets associatifs en vue dont la construction d’une bibliothèque dans les Quartiers Nord de Marseille. Ca promet. 

Paul Malem