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Vin’s : « Je ne suis pas un rappeur conscient »

« Sophia (sagesse en grec ancien) c’est penser que tout est bénéfique, le meilleur comme le pire et que toutes les épreuves sont l’occasion de devenir un peu plus qui ont est. C’est aimer toute chose à commencer par soi. Car c’est l’amour qui crée le changement, pas le rejet ». En une seule phrase, Vin’s définit son dernier projet. Vendredi dernier, l’album Sophia sortait, parfait équilibre entre authenticité et modernité. Alohanews est parti à la rencontre du rappeur afin d’échanger sur ce nouvel opus.

Une évolution audacieuse

La première chose qui saute à l’oreille lorsqu’on écoute cet album, c’est d’abord l’évolution du style. Si sur 23h59 Vin’s se tournait déjà vers quelque chose de plus moderne, cette fois-ci pas de doutes : il veut se laisser aller. Et il explique le choix de ce changement : « C’est venu naturellement, dans le sens où j’ai toujours fait du rap de manière assez éclectique. J’ai toujours rappé sur tout et n’importe quoi, même avant mon album Freeson ».

Cette direction artistique est donc venue d’elle-même. Et s’il est classé dans la case ‘’rap indé’’, cela n’a jamais été un objectif pour lui. « J’ai envie de tenter moi aussi » dit-il au sujet de l’autotune, très présent dans ses influences qui restent s’étendent du rap ‘’old school’’ jusqu’aux musiques plus récentes françaises ou américaines. Parmi ces inspirations, PNL, Damso, Orelsan : « pour le souci du détail » nous dit-il. Ces rappeurs ‘’à plume’’ comme on pourrait vulgairement le dire ne sont pas les seules références pour Vin’s. « Kekra m’a pas mal influencé, parce que c’est l’opposé de ce que je fais, et ça m’intéresse. Ce genre de rappeurs vient compléter ce que je n’ai pas, que ce soit dans l’intonation ou dans la répétition des mots. Je n’aimais pas les répétitions mais écouter ces rappeurs a totalement changé ma psychologie face à la musique. Aller chercher la facilité n’est pas si aisé que ça ».

Musicalement, les influences de Vin’s sont encore plus larges. Il n’hésite pas à aller puiser dans ses souvenirs d’enfance. « Mon père vivait en Argentine et il aimait bien jouer de la guitare quand j’étais petit. J’ai toujours côtoyé des gens qui trainaient dans la musique. Autour de moi, mes frères faisaient du piano ». Vin’s s’est beaucoup déplacé dans sa vie, et chacune de ses villes lui ont aussi beaucoup apporté : « Au-delà du rap, c’est un truc qui m’a fait grandir vite ». A chaque nouvelle ville, c’était l’occasion d’avoir un regard neuf sur soi-même. « C’est une richesse quand tu t’inspires un peu de tout ».

Face aux clichés

Face à cette évolution, une question évidente est celle des retours du public. « Evidemment qu’il y en a eu des mauvais » répond-il, « mais ça ne reste qu’une minorité heureusement ». Vin’s ne semble pas touché pas cette perte. En effet, il explique que « ça reste des gens que je n’ai pas forcément envie d’avoir dans mon public. Si t’as pas d’ouverture d’esprit, va écouter ceux qui te font plaisir. Il faut arrêter de mettre des cases. La musique c’est quelque chose qui nous rassemble, si des gens sont là pour mettre des barrières et des cases alors qu’on en n’a pas besoin, alors tant pis ».

Au sujet de ces ‘’cases’’ justement il ajoute : « Je ne suis pas un rappeur conscient, je suis un rappeur tout court, qui écrit des textes, avec conscience peut être, je réfléchis à ce que je dis. Mais je n’ai jamais aimé cette étiquette, et ça me fait du bien d’être connu pour autre chose que mes morceaux ‘’engagés’’. Je serai toujours derrière des causes, mais en tant qu’homme pas en tant que rappeur. Quand je fais #METOO, c’est quelque chose qui m’anime avant toute chose en tant qu’être humain, je ne vois pas le coup marketing. Je ne réfléchis pas comme ça. Je veux que les gens écoutent ma musique en faisant moins attention aux paroles, pour danser en soirée. Mais malgré tout, il y a toujours du texte. J’ai envie d’apporter une forme, je trouve justement que ça sert le propos ».

L’image du ‘’rappeur féministe’’, du ‘’rappeur engagé’’, Vin’s n’hésite pas à s’en détacher : « J’ai l’intention que ça ne me desserve pas. J’avais besoin de remettre les points sur les i ». Habitué à la direction de certaines interviews, Vin’s ne cherche pas à dénoncer le milieu du rap, mais la société en général : «J’ai même vu un article titré Vin’s le rappeur qui aimait les femmes, comme si les autres rappeurs n’aimaient pas les femmes. Il y a une notion qui me dérange ». À sa façon de parler, on ressent un certain cynisme des médias qui ne semble pas choquer le rappeur : « Même si les médias font leur travail de stigmatisation, moi j’essaie de faire l’inverse dans mon clip, user des clichés pour sortir un morceau hors clichés ».

 

Un album introspectif

Dans Sophia, c’est une introspection que Vin’s fait tout au long de l’album. Les musiques semblent basées sur l’humain, ses relations et ses valeurs. « Parler politique, ça ne m’a jamais intéressé » nous informe-t-il. Même s’il reste attentif à ce domaine, il ne semble pas en retirer grand-chose. Dans des musiques comme Marianne, c’est un vrai coup de gueule que le rappeur exprime. « Quand je parle de politique, c’est plus pour aller chercher des failles qui me rendent ouf. À ce moment, oui je vais parler politique ». Mais sur ce projet « je voulais vraiment accentuer le côté introspectif, parler de quelque chose qui nous touche tous qui est l’humain, les relations, le rapport à l’humain, le rapport à toi-même et au monde. Cet album décrit tout un processus psychologique, un processus introspectif ». Dans Frérot ou même Blessant, nous retrouvons un rapport aux relations très pertinent. « Chaque relation est unique » nous explique-t-il.

 

L’importance de ces relations est une des raisons pour lesquelles le rappeur français a invité Sylver et El’Ka, les mêmes que sur 23h59. Une symbolique importante de retrouver ses deux ‘’frérots’’ dans Sophia. Vin’s n’était pas fermé à d’autres featurings, mais les conditions requises n’étaient pas remplies : « Je ne voulais pas ramener une grosse tête pour ramener une grosse tête, il fallait que le feat ait un intérêt dans l’album et dans le processus que raconte l’album ». En effet, tout au long de l’album, un vrai procédé est mis en place. « L’objectif de l’album c’est de parler du fait d’accepter les choses plutôt que de les rejeter. Pendant longtemps j’ai rejeté le monde, la société, les autres, je me suis rejeté moi-même et en fait j’ai compris que la solution n’était pas de rejeter les choses, mais de les combattre. C’est que lorsque tu acceptes les choses que tu as le pouvoir de les changer ». L’évolution dans l’album retransmet parfaitement ce cheminement. Au début « t’es dans une sorte de fausseté, avec l’autotune et le côté sombre des morceaux » et tout devient plus clair à partir de l’interlude Charlie, « c’est beaucoup plus lumineux, la deuxième partie est sincère et fragile ». C’est cette idée que nous retrouvons dans le morceau Faux sourire, où le rappeur explique qu’il en a marre de faire semblant. Suite à ce morceau, l’interlude Charlie donne à voir la sincérité qui semble enfin apparaitre dans sa musique. En effet, à partir de cette piste, on retrouve enfin l’humain caché derrière le rappeur, à savoir Charlie. « Faire parler ma mère sur mon album, c’est une façon de me mettre à nu : là c’est Charlie ».

Sophia est finalement conclu par un morceau avec Sylver, comme c’était le cas sur 23h59. Symbolique encore une fois très importante. Vin’s semble enfin apaisé. « Peut-être que je ne le serai pas demain, c’est quelque chose qui change constamment, mais là, aujourd’hui, oui je peux le dire. Je suis dans la mentalité ‘’Sophia’’ ».

Propos recueillis par Pierre Kaftal