Sorti le 18 avril dernier, le livre de Manza « Cité à comparaitre » nous dit beaucoup de choses sur notre société. Des vérités en poésie. Des vérités qui dérangent, mais des vérités qui rassemblent. Rencontre avec le rappeur. 

Abdeslam pourrais-tu te décrire en quelques mots ?

C’est plus facile pour moi de parler de Manza (rires). Je suis quelqu’un d’assez têtu, ça m’a valu quelques surprises. Je suis quelqu’un d’impulsif aussi, le fait d’être père m’a permis de me canaliser un peu plus. Je suis quelqu’un de borné, je dois l’avouer (rires). J’ai été trop bon, aujourd’hui j’essaie de l’être avec les bonnes personnes. Je suis quelqu’un de naïf. Du coup je récolte tant du positif que du négatif.

Manza, tu es issu du mouvement hip-hop, que représente-t-il pour toi ?

Le Hip-Hop a nourri un esprit de fraternité en moi. J’y suis rentré par la porte du graffiti, j’ai fait de superbes rencontres grâce à lui. J’y ai découvert des liens d’amitié sincère avec leurs lots de galères. J’ai fait les quatre cents coups avec mon équipe. En gros, le Hip-Hop a été une école de vie et plus particulièrement d’amitié.

Même si on se casse la gueule, on ne le regrette pas

On a l’impression que le discours de l’ancienne école est nostalgique, que le rap c’était mieux avant, que le rap d’aujourd’hui n’est plus considéré comme du vrai rap. C’est quoi le vrai rap pour Manza ?

Je vais sans doute étonner dans ma réponse, mais j’avoue que je ne me retrouve pas du tout dans ce slogan « Le rap c’était mieux avant ». Je trouve que le rap continue son histoire. Il y a toujours eu une diversité dans le rap et aujourd’hui il y en a pour tout le monde. À mon époque aussi, il y avait des morceaux dits « engagés, sociaux, revendicateurs » portés par des groupes comme IAM, Assassin. Mais il y avait aussi la poésie de Mc Solaar et puis, dans le plus hardcore, on a connu NTM. La diversité est plus importante aujourd’hui parce qu’il y a plus d’artistes. Aujourd’hui, il y a quelque chose de plus décalé, d’humoristique, de plus nonchalant et même parfois de plus superficiel. C’est un rap qui est à l’image de notre société, société dans laquelle on baigne, avec ses bons et ses mauvais côtés. Moi j’aime écouter du rap d’ambiance plus léger et où on n’est pas obligé de réfléchir sur le texte ou sur le niveau poétique, etc. Le rap qui s’écoute en buvant un verre, ambiance d’été. Et ce que j’aime le plus c’est les choses que je ne fais pas. Du coup, je suis attentif à ce que font les autres rappeurs. À l’époque où James Deano avait sorti « Branleur de service », je me suis retrouvé dans ce morceau et ça m’a fait rire. J’aime l’ouverture de manière générale et dans le rap aussi.

 

Le rappeur Abd Al Malik a dit dans une interview : « L’artiste est quelqu’un qui ne vit pas à l’extérieur de la société, mais plutôt à l’intérieur de cette société, on a besoin d’être ensemble et c’est comme ça que ça peut évoluer. Il est important de réconcilier. ». Dans vos textes vous parlez également beaucoup d’amour et vous dites « Seul l’amour peut nous rassembler, viens on s’aime même sans se ressembler ». Selon vous, est-ce qu’on s’aime aujourd’hui à Bruxelles ?

On ne s’aimera jamais assez. Je pense que la société est faite de telle manière qu’il y aura toujours des conflits. C’est sur les décombres de ces conflits que peuvent émerger des alternatives, des débats d’idées et des projets pour se rassembler. Si nous vivions dans un monde où tout était beau et dans lequel tout le monde était gentil, nous ne pourrions rien en retirer. Ce sont nos différends et nos différences qui font naître de nous le meilleur en termes de réflexion collective.

Abd Al Malik tend vers l’humanisme, vers quelque chose qui rassemble. Il veut ouvrir les horizons et décloisonner la société. Souvent, ceux qui font partie du mouvement hip-hop restent ensemble, c’est pareil pour les autres mouvements. Abd Al Malik est quelqu’un de fédérateur. C’est aussi dans ça que je me retrouve humblement.

« J’aime le juif, j’aime le chrétien, j’aime l’athée, je suis musulman, mais je ne défendrai jamais ceux qui font couler le sang ! ». Il y a deux questions qui me viennent : tout d’abord dans la forme, lorsque tu dis « je suis musulman, MAIS je ne défendrai jamais ceux qui font couler le sang », le « mais » est étonnant. Est-ce que tu as eu l’impression qu’on aurait pu croire le contraire ? Deuxièmement, est-ce que les musulmans aujourd’hui à Bruxelles doivent plus parler d’amour que les autres ?

Le « mais » est volontaire ! Souvent j’ai l’impression que ce « mais » revient dans le discours des jeunes, mais des adultes aussi. Comme s’il fallait se justifier de nos identités plurielles ou de ce qui se passe dans le monde. J’ai l’impression que dans la société dans laquelle nous vivons, le « mais » est toujours présent.

Dans mon travail par exemple, où je donne des ateliers je ressens ce « mais » qui disparaît au fur et à mesure de la rencontre. Mais l’a priori est encore présent. Je ne supporte pas d’entendre que ma religion, et donc une de mes identités, soit prise en otage par l’actualité. Alors, certes je ne vais pas non plus tomber dans la justification abusive et ramper au sol en m’excusant de choses que je n’ai pas faites et que je condamne comme tout être humain. Mais aujourd’hui, je suis là pour que la vérité soit rétablie, qu’on puisse discuter sans culpabilité ou mal à l’aise. Je pense que la société doit plus parler d’amour.

Bruxelles a encore des belles choses à vivre

Tu es père et ta fille est ton dictateur, tu en as plus peur que des mecs avec des battes ? On apprend quoi à sa fille quand on veut lui parler d’amour ? Est-ce que tu lui dis « ne recherche pas l’amour de ta vie, cherche à vivre l’amour ! » (NB : son texte) ?

C’est un texte à lire avec le sourire. J’ai déjà écrit pour ma fille dans un texte plus sérieux « Ma fleur au bout du fil ». En 2009 j’avais sorti un CD et c’était très touchant parce que je parlais de mon expérience de père divorcé, qui ne voit sa fille que le week-end, les lois qu’il y a autour. Et là ce nouveau texte est plus léger. Je vais vous dire, nous les pères, on a beau essayer de faire les invincibles avec nos enfants, ça ne marche pas (rires). Je finis par succomber à leur charme. Surtout les filles avec leur papa, elles réussissent à nous faire craquer. Alors c’est un clin d’œil aux pères qui succombent, on le fait tous. Alors pour l’amour, j’essaie de laisser du sens à ma fille, je lui dis de vivre l’amour oui, mais en étant intelligente. Quand on mise sur quelque chose de beau, même si on se casse la gueule, on ne le regrette pas.

Bruxelles dans l’idéal ça serait quoi ?

J’aime Bruxelles telle qu’elle est. Avec ses zones d’ombre et ses beautés. Bruxelles évolue et elle a encore de belles choses à vivre. Ce que je regrette ce sont les moyens mis en place pour la jeunesse. Je vais vous dire, il y a beaucoup de frustration chez les jeunes et les artistes parce qu’on met très peu de moyens. En France, les artistes sont soutenus. Aujourd’hui, IAM veut faire un concert, ils sont entendus, de grandes salles s’ouvrent à eux. À Bruxelles, l’ancienne école est dans la survie, il y a beaucoup de débrouillardise avec très peu de moyens. Je pense que mon plus grand regret à Bruxelles c’est qu’on ne croit pas suffisamment en ses talents, on ne les soutient que très peu. C’est pour cela que les artistes partent à l’étranger et vont s’y épanouir. Nous avons trois gouvernements en Belgique donc je pense qu’il est possible d’investir dans la culture, le sport et la jeunesse de manière générale. C’est ce qui explique aussi qu’il y a beaucoup de puristes à Bruxelles dans le monde du Hip-Hop. Et puis les poètes, les chanteurs, les artistes ont un pouvoir. Des consciences peuvent être bousculées. Quand on prend la parole, cela peut devenir une arme, une arme qui fait grandir, un outil qui construit des ponts. Comme disait Assassin « Mon rap sert à assassiner sans que le sang soit versé. ». Alors, mettons des moyens dans la jeunesse et ses projets.

Propos recueillis par Yousra Dahry