Comme tous les jeunes à leurs époques respectives, la génération Z est souvent dépeinte comme tourmentée et à l’avenir incertain. Mais aujourd’hui, le monde est numérique. Plus que jamais, il est électronique, donc rapide et précipité. Le Montpelliérain Wit. est de ceux qui s’arrêtent pour une introspection sur un fond pixellisé de glitch, de saturation, voire de bugs. NEO, son sixième projet et premier album promet de l’arracher à la catégorie « spé » dans laquelle les commentateurs se plaisent à le taguer. Rencontre et découverte d’un artiste qui vit avec son temps.
Bonjour Wit., tu as composé quatre des dix morceaux de NEO, sur Onyx tu en avais déjà fait six sur huit et sur les projets précédents tu es à la prod sur la grande majorité des tracks. Est-ce que tu es un rappeur qui produit ou un producteur qui rappe ?
C’est une très bonne question. En fait ça dépend des moments. Des fois je préfère écrire, des fois je préfère produire. Les deux sont en moi. J’aime énormément la prod mais à la base j’ai commencé par l’écriture. Quand j’ai commencé à rapper, j’ai vite fait face à la difficulté de trouver des instrumentales à mon goût. Je n’arrivais pas toujours à me faire comprendre sur ce que je voulais, donc je me suis mis au beatmaking moi-même.
Mais en réalité, l’écriture et la prod c’est très imbriqué. L’un est aussi important que l’autre. Tu ne peux pas franchement séparer les deux. Au final, j’aimerais qu’on me voie simplement comme un auteur et un musicien, c’est juste une histoire de moments. Mais si je dois absolument choisir : je suis un auteur qui produit.
Quand on écoute ta musique, on est constamment en train d’être balancé dans tous les sens. Il n’y a pas de point d’attache stable. Tes productions sont angoissantes et changeantes, l’écriture est impulsive. Est-ce que Wit. est une forme de violence dans la même veine que Kalash Criminel est sauvage, Damso est nwaar, Booba fait du sale ?
Pas vraiment. C’est violent et instable, mais je ne suis pas en train de revendiquer quoi que ce soit. On fait du sale, mais on ne va pas te le dire, on va te le faire comprendre. Ça part dans tous les sens, mais j’essaie quand même de faire en sorte qu’on me comprenne parce que le but c’est transmettre et être totalement transparent. Je suis un être humain comme tous les autres, donc avec mes émotions et mes humeurs. Oui, c’est une forme violence, mais il y a aussi de l’amour, de la sensibilité… J’essaie de tout montrer et ne rien cacher.
On pourrait plutôt dire que c’est une science basée sur l’impulsivité ? Tu craches tout, mais en ordonnant les choses avant de les délivrer ?
Exactement, ces mots que tu viens d’utiliser (il embrasse sa main en signe d’excellence).
J’ai quand même ressenti un changement d’ambiance à partir d’Onyx, ton cinquième opus. Avant ça tu rappais sur un ton énervé puis c’est devenu plus calme. L’énergie est mieux canalisée aussi bien dans les prods que sur les flows. Est-ce que c’était « l’EP de la maturité » ?
L’énergie est plus canalisée parce que j’évolue. Si on se revoit dans cinq projets et que tu me le demandes, je te dirai que l’album suivant sera encore plus mûr. Jusqu’à Onyx je n’avais pas encore 20 ans et tu sais ce qu’est l’adolescence : on est plus violent, on se défoule. C’est parce qu’on évolue sans arrêt que mon énergie s’est canalisée donc je ne parlerais pas de maturité, mais simplement d’évolution et celle-ci est constante.
Très tôt dans ta carrière, tu as monté ton label Digital Mundo avec d’autres acteurs du milieu. Pourtant il faut attendre 2019 pour t’entendre dire sur CMT « ça répond plus aux cliquos, je suis focus sur ma zik ». Quand as-tu décidé de tout miser sur la musique ?
Ça fait un moment maintenant que je suis investi dans mon art, mais tout miser dessus c’était il y a seulement six ou huit mois. Je suis monté à Paris en janvier 2018 pour m’y mettre plus sérieusement et en voyant que ça prenait, j’ai compris que c’était le moment.
Avant ça, tout était fait à la maison. Je travaillais seul, de manière artisanale. Si tu retournes écouter Histoire Sans Fin (son premier projet solo disponible sur SoundCloud, NDLR), ça saute aux oreilles. Sur NEO il y a encore cette touche artisanale, mais ça se professionnalise. Parce que c’est toujours fait à la maison, mais maintenant j’ai la possibilité d’aller en studio pour travailler les mix.
Malgré Digital Mundo tu as signé en tant qu’artiste chez Jeune à Jamais, en quoi c’était intéressant ? Qu’est-ce qui change ?
En fait pour être franc Digital Mundo n’est pas encore officiellement un label. On travaille dans ce sens, mais c’est avant tout notre équipe créative : Laylow, TBMA, Fattoyz et moi.
Concernant la signature chez Jeune à Jamais, il n’y a pas eu énormément de changement. Ce n’est pas la vie de rêve du jour au lendemain comme les gens peuvent croire quand ils entendent qu’un artiste a signé. Le vrai bonus c’est une team élargie (mais pas trop) pour mieux exploiter la création. Ils m’aident beaucoup pour la visibilité, grâce à eux je suis dans pas mal de playlists. Ils sont forts en éditions. Ils permettent aussi à TBMA de faire des meilleurs visuels. Gros bisou à eux pour tout ça. Mais pour la production en tant que telle ça se fait toujours à la maison et ensuite je perfectionne en studio avec eux.
Tu dis souvent qu’on te comprendra dans le futur. Du coup je suis allé faire un tour sur Genius et non seulement il y a très peu d’explications, mais en plus de ça il y a énormément de « ??? » à la place des paroles. Pourquoi vouloir être incompris ?
Au contraire, je veux être compris ! Je veux faire passer un message. Quand je dis qu’on me comprendra dans le futur, ce n’est pas pour dire que ce sera dans 100 ans ou bien après ma mort. C’est plutôt de l’egotrip.
Quand j’ai fini d’écrire et que je me relis, si le texte me fait vibrer et que j’ai la sensation d’avoir dit quelque chose de fort, alors je sais que ce que j’ai dit est clair. Si l’auditeur ne comprend pas maintenant, ce n’est pas grave, il finira par comprendre. Des fois le déclic ne vient pas tout de suite, c’est normal. Il comprendra quand il aura évolué comme moi j’ai évolué pour produire ce qu’il écoute. Et je n’essaye pas de me vanter en disant ça. C’est juste que parfois, il faut avoir vécu certaines choses pour en comprendre d’autres.
Par rapport à Genius je suis allé voir ce que les gens y avaient fait et ça m’a un peu dégouté parce que je voyais qu’ils transformaient mes paroles donc je n’y vais pas souvent. Mais tu fais bien d’en parler parce que j’y ai réfléchi récemment et je me dis que ça vaudrait le coup d’aller arranger les textes comme il faut, peut-être expliquer deux ou trois trucs… C’est important.
On ne t’a pas encore beaucoup vu en live. Est-ce que ça va venir ?
J’en ai fait deux pour la sortie de NEO et ça s’est bien passé. Au début ça ne me disait pas grand-chose, mais maintenant que j’ai testé, ça me plait vraiment. Je me rends compte que c’est tout un nouveau pan du métier à découvrir : par exemple l’autotune sur scène c’est un autre délire qu’en studio. Il faut apprendre à gérer autrement et ça, je kiffe. Je n’ai pas encore de tourneur ou de structure dédiée au live donc c’est calme pour l’instant, mais on va faire en sorte de pouvoir en faire plus.
Tu as un prochain projet en route, une période de sortie prévue ?
Si ça ne tenait qu’à moi, je le sortirais avant l’été. Je suis en train de travailler dessus, mais je sais qu’avec les labels et les éditions c’est différent. Ils ont leurs propres cycles de fonctionnement. Il faut le temps de bien exploiter le projet et d’en tirer tout le jus avant de démarrer autre chose. Donc on verra comment ça se passe de ce côté : s’ils proposent des trucs intéressants et que la vie de NEO est bien remplie, on va faire durer le plaisir. Sinon on passera direct à la suite.
Un dernier mot ?
Gros bisou à Alohanews, merci à vous de vous intéresser à ma musique. On se tient au courant pour la suite.
Propos recueillis par Djabril Bennafla