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Booba et l’art de la guerre

Opportuniste, réformiste ou innovateur, Booba montre du doigt, depuis 15 ans maintenant, le chemin à prendre. Comme tout leader qui se respecte, l’inimitié n’est jamais loin de celui-ci. Booba clive, Booba régente, Booba conquiert. Le « dénominateur commun » de tous les clashs selon Kaaris. Le DUC manie l’art du conflit jusqu’à rappeler un certain Sun Tzu aux stratégies immémoriales de guerre. Décryptage.

Hypothèse audacieuse : « L’Art de la guerre », l’œuvre par excellence du général chinois Sun Tzu, se trouve, sans nul doute, sur la table de chevet du rappeur français. À son réveil, Booba se pencherait pour déposer un baiser, à la fois délicat et reconnaissant, sur la première page de l’ouvrage. Rituel quotidien terminé, ce dernier part faire la guerre au rapgame avec l’inspiration « made in China ». Mais quand Booba agit, ça ne parle pas chinois. Explications, non exhaustives, bien sur.

Au 7e siècle av. J.-C., un général chinois du nom de Sun Tzu faisait parler de ses tribulations militaires. Ses multiples enseignements seront versés dans un livre désormais classique : « L’Art de la guerre ». Pour l’auteur, plus qu’un affrontement militaire, la guerre est une philosophie avec pour but la domination de l’adversaire. L’ode à « tous les coups sont permis ». Chemin faisant, cette théorie, quelques siècles plus tard, fera le bonheur, sciemment ou non, d’un jeune « métis café crème », natif des Hauts-de-Seine. Depuis ses débuts, Booba entretient des relations sous tension avec le posse du rap français, milieu « testostéroné » depuis son importation étatsunienne.

La doctrine stratégique de Sun Tzu, des décisions millimétrées du rappeur et un succès fulgurant font de Booba un carriériste durable. De quoi en irriter plus d’un.

La propagande

La soumission de l’ennemi sans combat est la quintessence de la guerre, estimait Sun Tzu. Pour cela, il faut imposer un système de représentation à l’adversaire. Notre vérité doit s’imposer aux autres comme une réalité universelle. L’ennemi doit se sentir vulnérable. Dans le rapgame, Booba donne le tempo, Booba forge la tendance. Sillon tracé, le reste de la clique n’a plus qu’à suivre le franco-sénégalais et, par là, affirmer implicitement son temps d’avance. À l’ère des clashs, celui qui opposait les trois figures du rap actuel (Booba – La Fouine – Rohff), Booba donnait encore le rythme. Un temps, il se mutait dans le silence, un autre se révélait offensif et inattendu lors de la sortie de « A.C Milan », pour finalement imposer sa cadence autoritaire en humiliant régulièrement ses adversaires sur Instagram. Par ailleurs, juste avant la sortie de son dernier album « DUC », ce dernier annonçait, non sans une certaine arrogance, la fin des clashs histoire de souligner qu’il était à la fois joueur et arbitre. Bin ouais morray.

La connaissance des rapports de force & la guerre ouverte en dernier recours

L’art de la guerre, c’est avoir une vue horizontale sur le monde et un œil sur ses ennemis. L’état de l’adversaire influe sur les décisions. Si le rapport de force est écrasant, on attaque de plein fouet. Si l’adversaire est coriace, on opte pour la carte de la ruse afin de trouver une situation favorable pour attaquer ou de vaincre sans même combattre.

On se souviendra de la fameuse pique délibérée en 2007 dans l’illustre morceau « Le D.U.C » : « Les négros se font déclasser par Pokora, Diam’s et Sinik ». Le choix des noms n’est pas anodin. M.Pokora abreuvait les ados de sa soupe teenage, Diam’s était la quasi-seule femme dans un milieu misogyne et Sinik peinait à asseoir sa légitimité rapologique dans une époque où être rappeur et blanc ne faisait pas l’unanimité. D’où la stylistique de la pique qui sous-entend, de façon manichéenne et volontaire, une domination d’une minorité blanche (Pokora, Diam’s & Sinik) sur une culture pro-Noire selon l’artiste (« Les négros se font déclasser »). À ce moment-là, Booba était conscient de son statut de dominant, de par sa carrière et de par son apparence « rap/rue » faisant consensus dans l’imaginaire collectif. M.Pokora et Diam’s ont fait profil bas, tandis que Sinik, populaire à l’époque, répondait à l’affront avec son fameux « Carton jaune ». Malgré une réponse chétive de Booba avec son « Carton rose », les dés étaient déjà jetés. La suprématie populaire du Duc de Boulbi a contraint Sinik de plier bagage. Depuis, Malsain L’assassin tend à se refaire une santé, en vain. « En tuer un pour en terrifier un millier » disait Sun Tzu. On citera également d’autres artistes tels que Willy Denzey ou encore le porté disparu Sully Sefil qui ont préféré garder le silence…avant que tout ce qu’ils disent soit retenu contre eux.

« Je sais où t’as mal, car je sais où je frappe »

A contrario, le séisme de la fin d’année 2012 prenait une autre tournure. Tandis que Rohff s’évertuait à nommer Booba de « Zoulette » sur Skyrock, le rappeur de Boulbi se montrait tardif dans sa réaction. En fin limier, Élie Yaffa laissera passer le morceau « Wesh Zoulette », les différentes attaques d’Ikbal, frère de Rohff, ainsi que la pique de La Fouine issue du titre « Paname Boss ». Le 21 janvier, Booba sortira enfin de son mutisme patent avec son « A.C Milan ». Son hégémonie de leader étant remise en cause, il n’avait d’autre choix que de répliquer. Depuis, différents échanges eurent lieu entre les artistes jusqu’à la triste altercation entre La Fouine, Dixon et Booba. Depuis, Rohff vit une traversée du désert, La Fouine a laissé des plumes et relance sa carrière par différentes voies (Team BS, chroniqueur chez TPMP) et Ikbal « veut passer à autre chose » selon ses dires. « Il n’en restera qu’un », martelait le rappeur du 92.

La mobilité

Sun Tzu préconisait le mouvement. Connaître les données du combat pour déstabiliser l’adversaire et de progresser. Agir, bouger et répéter étaient les maitres mots afin de tester les réactions de l’adversaire.

Depuis peu, Instagram est devenu le terrain offensif de prédilection de Booba. Conscient de la force médiatique que représente cet outil, l’artiste n’y va pas de main morte pour rabaisser ses outsiders. La Fouine, Rohff, Kaaris, tous sont passés sous la moulinette des montages photo/vidéo. Tandis que les artistes précédemment cités deviennent des opposants de seconde zone, Kaaris fait encore partie du peloton. Les attaques répétées et imprévisibles ont fini par faire craquer le Sevranais. Kaaris sortira sa vidéo du ter-ter dans laquelle il propose aimablement à Booba de « boire son sang ». To be continued.

« Soumettre l’ennemi sans combat » résumait Sun Tzu. La période des clashs semble être enterrée. Cette fin, assignée par Booba, laisse présager une suite sous sa domination. Tandis que de nombreux antagonistes boitillent et gardent des séquelles de guerre, l’artiste en est à son 7e album. Pragmatique et efficace, il s’excuse aussi lorsqu’il coule aveuglément des navires. On pense notamment à Joke, un « dommage collatéral » pour Booba. Bref, qu’on le veuille ou non, la quintessence de sa carrière réside dans son talent, mais aussi dans ses décisions soldatesques.

 

Imambajev Nikita