Quatre ans. Quatre longues années que Frank Ocean ne donne plus de ses nouvelles. Depuis la sortie de son premier album (et dernier en date) « Channel Orange », l’artiste ne fait que repousser son second bébé. Sa dernière promesse disait « juillet 2016 ». Mon œil, ouais.
Frank Ocean est sans doute l’un des chanteurs R&B les plus talentueux de la planète. C’est aussi celui qui aime faire poiroter son public. Depuis plus d’un an, l’énigmatique crooner promet la sortie de « Boys Don’t Cry », son second opus. Mais depuis, nada…ou presque puisque le chanteur est apparu sur l’album de Kanye West (« The Life of Pablo ») et a collaboré avec Beyoncé sur le morceau « Superpower ». Des apparitions furtives qui ne font qu’accentuer une attente pénible. Le virtuose du groupe Odd Future ne cesse d’enchainer les promesses non tenues depuis un an en annonçant des dates de sortie sans qu’aucun morceau ne pointe à l’horizon.
Cependant, ce lundi, un live Apple Music est apparu sur le site boysdontcry.co. Une vidéo live (estampillée du logo Apple Music) a également été transmise dans laquelle un homme prépare quelque chose en sciant du bois, bruit de fond en prime.
Cette mise en scène qui a tourné en boucle durant des heures est signée Francis Soriano. Le streaming, plutôt relou et redondant, fonctionne seulement sur le navigateur Safari d’ Apple laissant croire que le projet pourrait être diffusé d’un moment à l’autre sur la plateforme de Steve Jobs. Depuis 2011, Apple opte pour ce genre de stratégie pour annoncer la diffusion de grands évènements. Des rumeurs vont encore plus loin puisque The New York Times a indiqué que l’album attendu depuis 4 ans sortira ce vendredi 5 août. Le journal a affirmé qu’une source anonyme proche du deal entre Frank Ocean et Apple Music a dévoilé quelques éléments probants : pendant deux semaines et ce à partir de vendredi, l’album « Boys Don’t Cry » sera exclusivement disponible sur Apple Music avant d’être commercialisé, une vidéo est prévue dans la foulée ainsi que publications imprimées « Boys Don’t Cry » seront distribuées dans les Apple stores. Soyons donc un brun optimistes.
Depuis 2012, Mr Ocean a débuté sa période d’hibernation durant, laquelle il s’est rarement exprimée. Par le biais d’un article sur son blog, ce dernier a commenté la mort de Prince. En juin dernier, suite à l’attaque dans une boite gay à Orlando causant la mort de 49 personnes, l’artiste a refait surface en témoignant son désarroi. «J’ai entendu aux nouvelles que la suite d’un crime haineux a laissé des tas de corps sur une piste de danse ce mois-ci,» écrivait-il. «Beaucoup nous haïssent et ne veulent pas qu’on existe. Beaucoup sont gênés par notre désir de se marier comme tout le monde ».
Hip-hop & homosexualité : le doux blasphème
Rappelons-le, à la sortie de son excellent « Channel Orange » en 2012, Frank Ocean s’est jeté à l’eau en dévoilant son homosexualité au grand public. En France comme aux États-Unis, le hip-hop détient une image de l’ogre homophobe. Le rap, plus particulièrement, contribue (toutes proportions gardées) parfois à cette vision machiste de l’industrie musicale. Même si le milieu devient un peu plus gay-friendly, le game reste tout de même hostile à l’égard des interprètes homosexuels. Malgré tout, Frank Ocean imposait sa différence et secouait le web avec un coming-out inattendu… ou presque.
Née dans les ghettos rudes new-yorkais, cette culture hip-hop lancée par Africa Bambaataa veut garder l’image coriace qu’elle s’est façonnée depuis des décennies. Jouons cartes sur table : le fait d’être homosexuel ne fait pas partie des codes habituels de la plupart des artistes rap/R’n’B. Les voitures de luxe, les filles en bikini et autres « bling-bling » crèvent les clips de certains chanteurs modernes en haut de l’affiche. Malgré la crise, les disques se vendent et le matraquage des idéologies se fortifie. Il n’est pas moins vrai que certains cachent leur orientation sexuelle afin de ne pas saccager leurs carrières. Ce n’est pas le cas de tous. Le 4 juillet 2012, Frank Ocean, remettait le débat de l’homosexualité sur la table en dévoilant sa bisexualité. En effet, le fantasque originaire du New Orléans postait une lettre sur son blog dans laquelle il déclarait être attiré par la gent masculine… ou du moins avoir été amoureux d’un homme : « Il y a quatre étés, j’ai rencontré quelqu’un. J’avais 19 ans, lui aussi. Nous avons passé l’été ensemble, celui de l’année suivante aussi. Pratiquement chaque jour. Quand nous étions ensemble, le temps filait. Je passais la plupart de ces journées à le regarder, lui et son sourire. Nous partagions souvent notre sommeil. Au moment où j’ai réalisé que j’étais tombé amoureux, ce fut terrible. Sans espoir ».
Du coup, la toile s’agite et un effet boule de neige s’en suit dans les médias spécialisés. Les avis se forgeaient de la plus compréhensive à la plus violente. Pour certains fans, la musique de l’artiste signé chez Def Jam depuis 2010 n’avait plus la même couleur, la même sensibilité. Celui qui s’est fait connaitre du grand public par la mixtape « Nostalgia, Ultra » devenait, quatre ans plutôt, l’attraction des foules ainsi que de ses collègues de scène. Quand Busta Rhymes déclarait sobrement respecter le travail de l’artiste, d’autres têtes d’affiche louaient la sincérité d’Ocean. À l’époque, Jay-Z et Beyoncé, notamment, avaient pris la défense du chanteur. « Avoir autant de courage et de confiance pour se confronter à ce que tes parents aimeraient que tu fasses et à ce que la société estime que tu dois être est magnifique. Ne pas se soucier de ce que les gens estiment que tu dois être est un rêve » confiait la diva. À noter que Frank Ocean est à l’origine du titre « I miss you » de Beyoncé et, comme on l’a dit plus haut, répondait présent en 2014 sur le morceau « Superpower » . Le chanteur Eric Benet s’était également exprimé, sur son compte Twitter, à ce sujet en affirmant subtilement qu’il fallait « avoir les couilles pour faire ça ».
Avec un peu de recul, quelques textes mettaient la puce à l’oreille. Par exemple, dans le titre « We all try », Ocean chantonne délicatement « Je crois que le mariage ce n’est pas entre un homme et une femme, mais entre un amour et un amour. » Cette confession précédait la sortie du premier album « Channel Orange » de l’artiste. Un beau coup marketing (malgré lui ?) qui fera vendre l’album à 100 000 exemplaires en une semaine… seulement en digital ! Par ailleurs, après avoir déchainé les passions, Frank Ocean conservait sa notoriété puisque son projet recevait 92 % de critiques positives des médias américains. En février 2013, Cristopher Breaux de son ancien nom (NB. Le 23 avril 2015, l’artiste change son nom de naissance en Frank Ocean) raflait deux Grammy Awards (après avoir été nommé dans six catégories) ainsi qu’un Soul Train Music Awards au Royaume-Uni. À ce jour, « Channel Orange » reste la pépite R’n’b de ses dernières années avec des chansons qui mettent en exergue la dure réalité d’un amour non partagé. À noter que pour une raison inconnue, aucun des clips du premier album ne figure sur YouTube. Tous ont disparu comme par magie. Quoi qu’il en soit, Frank Ocean, ce metteur en scène de tragédies romantiques sonores, est attendu au tournant. Frank, on t’attend de pied ferme.
Nikita IMAMBAJEV