Alohanews

MZ : « Ils kiffent quand un rappeur fait une erreur »

Le 22 avril sonnait comme un jour tyrannique puisque l’album « La Dictature » du groupe MZ sortait dans les bacs. Alohanews a croisé le chemin des trois rappeurs pour faire le tour de l’opus et de parler franco. Entretien fleuve dans lequel on parle de tout, même de Renaud et de Bertrand Cantat. 


L’album « La Dictature » est sorti le 22 avril, quel a été l’accueil du public ?

Hache-P : Très bon ! Nous sommes très contents.

C’est votre second album. « Affaire de famille », le premier album est un album de qualité, mais qui n’a pas reçu la reconnaissance qu’il méritait. Quel a été le manque du premier album ?

Dehmo : C’est une histoire de temps. On ne l’a pas exploité comme il le fallait. Pourtant, la qualité sonore et visuelle était là.

Est-ce qu’à chaque album, vous vous fixez un objectif ?

Jok’Air : Avec « Affaire de famille », on pensait que c’était l’album de la découverte. Il y a eu un problème de temps et le projet est sorti dans de mauvaises conditions. Avec « La Dictature », les gens nous connaissent un peu plus. On ne passe pas encore dans « 50 mn inside », mais les gens savent qui nous sommes.

En parlant de « 50 mn inside », dans le morceau « Il te fallait », Jok’Air tu dis : « Les grands médias me voient comme l’Antéchrist ». Que penses-tu du regard que les médias mainstream ont sur les activistes du rap français ?

On a besoin de ces médias. Un artiste ne peut pas dire qu’il veut réussir sans passer par ces canaux médiatiques. Le public va rarement écouter ta musique sans t’avoir vu quelque part. Il faut que tu amènes ta musique aux gens. Pour cela, il faut passer par des sites comme le vôtre et ensuite par les grands médias. Il faut juste rester soi-même. C’est quand tu restes toi-même que ça leur fait peur. C’est pour cela que je parle de l’Antéchrist. Ils ont peur d’inviter des mecs avec notre style de musique. On ne fait pas du folklore, on ne vient pas faire les zouaves.

Dans le conscient collectif, un noir c’est un mec qui traine en bas du bâtiment. Si on rentrait dans les stéréotypes, on nous inviterait.

Beaucoup de rappeurs font semblant

Vous avez partagé le commentaire d’un gars qui vous a dit que vous n’étiez pas des mecs de la street. Qu’est-ce qu’un mec de la street ?

(Rires)

Jok’Air : Pour moi, un mec de la street, c’est un SDF ! Personne n’est fait pour rester dans la street.

Dehmo : C’est quelqu’un qui se cherche.

Jok’Air : La street c’est quoi ? C’est un lieu par lequel tu transites. Si je n’avais jamais habité dans une cité, je n’aurais jamais trainé en bas. Quand t’es petit, tu rencontres des gens, tu traines, etc. À partir d’un certain âge, ne me parle plus de street. Après, il y a des gars d’un certain âge qui sont dans la rue, mais ils savent pourquoi. Ceux qui font de l’argent de la rue ne sont plus dans la rue. C’est les mecs qui leur donnent de l’argent qui sont dans la rue. Tu me suis ? Le message que j’adresserai à ces mecs qui me parlent de rue : ayez un peu de respect pour les SDF. La rue appartient aux SDF.

Les femmes reviennent souvent dans vos textes…

Dehmo : Elles reviennent toujours !

Qu’est-ce qui vous touche chez une femme, à part les mains ?

Jok’Air: La tendresse, la douceur et la sensibilité ! Je peux tomber amoureux d’une fille à cause de sa main quand elle me touche ! Je suis un mec sensible et lorsque je trouve une fille plus sensible que moi ça me touche. Elles sont vulnérables. Il faut les protéger.

Dehmo : De toute façon, les mecs auront toujours besoin de meufs et inversement. Quand tu regardes une fille dans la rue, tu sais pourquoi tu là regardes. Elles aiment la virilité.

Hache-P : Elles adorent ça ! J’aime la femme. La femme en général.

Jok’Air : On ne va pas se mentir, on aime le son, les filles et la défonce. On n’a pas honte de le dire.

Dehmo : On fait partie des mecs les plus normaux. On ne cache rien. On est complètement décomplexé.

Hache-P : Beaucoup de rappeurs font semblant. Ils jouent avec leur image. Des sportifs aussi. Des politiques qui font des soirées bizarres dans les hôtels.

Dehmo : Les politiques c’est les pires. Les footeux sont comme nous. Les politiciens sont dans des délires. Genre les boites d’échangistes.

Jok’Air : Après, les boites d’échangistes, tu peux y trouver de tout. Il y a des personnes qui n’ont manqué de rien, quand elles grandissent, acquièrent de l’autonomie, cherchent ce qu’ils n’ont pas eu. Comme quand le mec de « 50 nuances de Grey » fouette une meuf. Par contre, un mec qui grandit dans les quartiers ne pense pas généralement à des trucs comme ça. Chacun fait ce qu’il veut en même temps.

Hache-P : Le plus important, c’est l’amour et la paix (Rires).

C’est quoi l’amour ?

Hache-P : C’est quelque chose de grand.

Jok’Air : L’amour, t’enlève le «u», c’est la mort. Pour l’amour, je pourrais tuer. Je pourrais donner la mort pour ceux que j’aime.

Vous avez l’air très rockstar dans l’attitude…

Dehmo : Je n’écoute pas trop le rock, mais c’est flatteur. Tout ce qui est positif ça me va.

Hache-P : Ce que j’aime chez les rockeurs, c’est qu’ils sont naturels. Ils viennent, ils se défoncent et tout le monde le sait. Il n’y a pas de tabou. Les artistes de variété se cachent et puis tu les vois se faire arrêter pour conduite en état d’ivresse. Tout le monde est étonné. Or pour les rockeurs, c’est normal.

Jok’Air : La différence entre le rockeur et les autres artistes est que le négatif, chez un rockeur, est transformé en positif. Bertrand Cantat tue sa femme et continue sa carrière à sa sortie de prison avec un public qui le suit malgré tout.

Dehmo : Je pense qu’en restant naturel, t’es plus apprécié. Certains veulent être des exemples, mais n’en sont pas. Alors que si la personne reste elle-même, elle te montre le chemin à suivre pour être ce que tu es.

Jok’Air : Chaque être humain a aussi droit à l’erreur. Quand tu veux te faire passer pour un leader ou un saint, tu n’as pas droit à l’erreur. Les gens t’attendront au tournant.

Hache-P : On n’est pas des exemples. J’ai un petit frère, s’il veut faire quelque chose, qu’il le fasse. Dans la vie, chacun apprend de ses erreurs. Lorsque j’étais petit et que j’écoutais du rap, aucun rappeur n’a influencé ma vie. Je n’ai pas eu d’exemples à part l’éducation de mes parents. C’est tout.

Si un rappeur nous fait une Bertrand Cantat, pensez-vous que ça se passerait pareil pour lui ?

Jok’Air : Non. C’est une question de classe sociale. Si tu viens d’un milieu défavorisé et tu fais un truc comme ça, on va directement te cataloguer. On va essayer de voir où t’as grandi et expliquer que la source de ton acte vient de là. Demain si un rappeur fait ça, c’est tout le rap qui va en pâtir. Ils kiffent quand un rappeur fait une erreur. C’est pour ça qu’il ne faut pas se prononcer au nom du hip-hop. Parle en ton nom propre. En même temps, c’est ce qu’il se passe, mais les grands médias ne l’entendent pas de cette oreille. Ils voient directement tout le rapgame derrière un rappeur. Si demain, l’un des membres de la MZ gifle sa femme et qu’elle décède, c’est la fin de carrière. À part si on sort l’album de l’année en même temps.

Le nouvel album de Renaud « Toujours debout » est sorti dernièrement et a vendu environ 300 000 albums la première semaine de sa sortie…

Hache-P : (Il coupe) Il est lourd Renaud ! Son dernier son (cf. « Toujours debout ») dans lequel il dit qu’il est toujours là, il est pas mal !

Dehmo : Renaud, j’ai l’impression que c’est devenu une icône. Lorsque tu as atteint cette notoriété, tu peux t’éclipser des années et revenir avec un nouveau projet. Tu seras toujours attendu. Il est resté lui-même. En plus il écrit bien.

Jok’Air : On en fait quand même un pataquès. C’est une icône, c’est vrai. Mais on en a fait un tel événement alors que du talent, il y en a partout. Plus qu’auparavant. Renaud, au-delà de sa musique, a apporté une attitude, avec sa dégaine d’alcoolique. C’est ce qui fait jaser. Peu importe ce que tu fais, si tu fais jaser, tu seras toujours attendu.

Dehmo : C’est pour ça que c’est une icône. Les artistes sont obligés de bosser sans cesse. Une heure de sommeil peut coûter cher à un artiste. Il doit constamment travailler. Une icône peut se permettre de revenir à n’importe quel moment. Ce sera toujours l’événement.

Jok’Air : Tu demandes à la moitié des gens qui ont parlé de Renaud de chanter une de ses chansons, ils ne sauront pas.

Dehmo : Respect à sa carrière. S’il est arrivé à ce stade-là, c’est qu’il a fait des choses exceptionnelles et a su toucher un grand nombre de personnes. Même si, personnellement, je n’ai pas attendu son album. Je respecte son succès.

Si t’es bousillé du son, il faut aller acheter les projets

Est-ce qu’il y a rappeurs qui peuvent arrêter des années et être attendus à leur retour ?

Hache-P : Booba c’est tout.

Dehmo : Lacrim aussi vu qu’il est en prison. Maitre Gims et Black M aussi je pense, car ils s’exportent au-delà du rap.

Jok’Air : Ils (cf. Maitre Gims et Black M) ont un public qui s’en fout du rap. Ils ont un large public dit de variété qui a l’habitude des longues absences d’artistes de variété. Si Maitre Gims arrête trois ans, lorsqu’il reviendra avec un nouvel album, il sera attendu. C’est pour ça que lorsque tu as dit le mot rap, j’ai directement pensé à Booba.

Dehmo : C’est vrai qu’ils ont un public large, mais je sais que si la Sexion D’assaut revient, même les mecs de la street vont les attendre. Les deux catégories du public vont les attendre.

Jokair : Ça reste à voir.

Est-ce que les amateurs de rap ont la culture de l’achat du disque ?

Jok’Air : Les amateurs de rap écoutent plusieurs rappeurs. Un gars qui est fan de Mylène Farmer voudra mourir pour elle. Il va écouter que du Mylène Farmer. Dans le rap, c’est plus rare même s’il y a des supporters assidus.

Dehmo : C’est ce qu’on peut reprocher au public du rap français. Écouter plusieurs rappeurs n’est pas un problème en soi. Si t’es bousillé du son, il faut aller acheter les projets.

Il y a aussi ce fameux syndrome des ventes de la première semaine de la sortie d’un album…

Jok’Air : C’est à cause des médias rap. Avant ça n’existait pas. À l’époque, un rappeur parlait des chiffres après six mois d’exploitation. On jugeait la qualité de l’album. Aujourd’hui, si on voit qu’un artiste vend des cd’s, on dira qu’il est lourd alors que ça se peut, il est tout pété. Quelqu’un d’archi-talentueux sera mis aux oubliettes parce qu’il n’a pas vendu. Les médias ont une responsabilité, car ils ont mis en place cette politique de la première semaine.

Dehmo : Au-delà de ça, les ventes dans le milieu du rap n’ont jamais égalé les artistes de variété. Le rap est en train de changer de visage et tente de viser un autre public. Les rappeurs font énormément plus de vues sur YouTube que les artistes de variété. Le public ne fait pas beaucoup d’efforts pour supporter le rap.

Jok’Air : Il y a beaucoup de voyeurisme. Il y a des personnes qui ne t’achètent pas, mais qui parlent du groupe et vont aux concerts. C’est aussi très touchant.

 

Propos recueillis par Nikita IMAMBAJEV