En passant par un big up à Shakespeare, l’album de Tiers Monde disponible depuis le 19 mai, « Toby or not Toby », a des airs de lutte, de revendication et de prise de conscience. A défaut de se dépêtrer du statut d’esclave moderne, Tiers Monde n’a aucune peine à remplir son rôle de maître de cérémonie. Irrité par les rimes pauvres, le rappeur signé sur le label Din Records manie la forme musicale actuelle pour toucher le fond…des problèmes de la société. Être ou ne pas être ? Réponse dans l’interview made in Alohanews !
Si tu étais le morceau de l’album qui représente l’état d’esprit de l’opus…
Si j’étais un des morceaux de mon album, je choisirais « Toby or not Toby », titre éponyme qu’on a, par ailleurs, récemment mis en image. Ce morceau représente le plus ma personnalité et le questionnement global abordé dans l’album. Par personnalité, j’entends le fond ainsi que le flow que j’ai adopté durant le titre. C’est vraiment un univers, rare dans le rap français, que j’essaie de m’approprier. L’état d’esprit de l’opus se ressent dans ce morceau, entre mon questionnement personnel sur notre mode de vie occidental…avec ses dérives, ses addictions auxquelles je suis quotidiennement confronté.
Si tu étais un auditeur ayant écouté « Toby or not Toby », quel message retiendrais-tu ?
J’ai envie de te répondre la même chose que précédemment. J’aimerais qu’il se positionne aussi et qu’il se pose des questions sur sa condition. Se sent-il esclave ou maître de ses choix ? Lui impose-t-on des choses au quotidien ? Si j’étais cet auditeur ayant écouté mon album, je retiendrais aussi qu’on peut faire de la bonne musique tout en diffusant un message derrière. Avec cet album, je commence d’ailleurs à trouver l’équilibre entre le fond et la forme.
On copie/colle beaucoup trop sur les Américains
Si tu n’étais pas Tiers Monde, quel autre rappeur français serais-tu ?
Si je n’étais pas Tiers Monde, je serais Akhenaton. Pourquoi ? Parce qu’il me fascine de par ses argumentaires et sa manière de s’exprimer devant le grand public. Là, je te parle surtout de la dimension d’Akh et de l’image qu’il renvoie lors de ses sorties médiatiques. Son niveau d’élocution, très élevé par rapport à la majorité des rappeurs, m’impressionne. En une phrase, il peut brillamment condenser un discours de deux minutes. Après, musicalement, je ne me suis vraiment jamais imaginé dans la peau d’un autre rappeur. À l’époque d’Ideal J, je m’identifiais énormément à eux, particulièrement à Kery James. Au passage, le livret de mon album contient un clin d’œil à la célèbre pochette du projet « Le Combat continue » d’Idéal J.
Si tu étais le droit de réponse à Trace TV ? (cfr. La chaîne a refusé de diffuser « Phoenix » considérant que le clip contiendrait des images de violence) ?
Je dirais qu’il y a d’autres formes de violence qui sont diffusées et dont ils font la promotion sans que cela dérange. Toutefois, c’est aussi à nous de les convaincre et il est normal que chaque média ait une ligne éditoriale. Aujourd’hui, c’est Trace TV qui a fait ce choix. Demain, ça sera peut-être une autre chaîne alors que Trace fera le choix de nous passer. Ce sont les règles du jeu malheureusement. Un jeu, à mon avis, influencé en partie par le CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel).
Le freestyle « Affront national » ou le morceau « Phoenix » s’inscrivent dans la lignée de ce qui se fait aujourd’hui sur des prods « Trap ». Toutefois, le fond des morceaux est plutôt dénonciateur. Différents acteurs de la musique urbaine affirment que le style « Trap » n’est pas adapté à des morceaux dits « revendicatifs ». Si tu étais le contre-argument ?
Avec le titre « Phoenix », par contre, j’ai d’abord eu la prod avant d’écrire dessus. On catégorise énormément le rap en oubliant qu’il se construit avant tout au feeling. Lors de la réalisation de mon album avec Din Records, je savais quelle couleur je voulais pour « Toby or not Toby ». Mettre de la « Trap » n’était pas mon objectif. Je voulais surtout un album très musical. La forme est primordiale car les textes, qu’ils soient dénonciateurs ou pas, doivent être agréables à écouter. Dans le morceau « Peur de décevoir », par exemple, on laisse une grande place à la forme avec une partie très musicale sur la fin.
Si tu étais la critique du rapgame actuel ?
Une critique du rapgame actuel ? Encore, faut-il tomber d’accord sur sa définition. Pour moi, il s’agit de toute cette bulle, de ces acteurs du mouvement qui s’empressent d’épier ce que fait l’autre. C’est très malsain, et je n’apprécie pas cette ambiance. La compétition se devrait de n’être que positive. Il ne faut pas que cela devienne obsessionnel. D’ailleurs, le fait de ne pas être de Paris me permet d’être à l’écart de cette sphère.
Sinon, ma critique du rapgame actuel serait positive pour saluer la diversité du rap français, mais elle serait également négative. Aujourd’hui, il y en a pour tous les goûts : les jeunes, les moins jeunes, du conscient, de l’égotrip, etc. Mais au niveau de la créativité, on copie/colle beaucoup trop sur les Américains. On le capte facilement parfois, et c’est fatiguant. Je suis le premier influencé par la tendance d’outre-Atlantique mais je n’irai pas jusqu’à faire une copie conforme. On ne peut pas faire ça. Être influencé, d’accord, tout en conservant son identité.
L’Europe est loin de ressembler à l’eldorado que l’on nous vend
Si tu étais l’attaché de presse de Koto, quelles news nous donnerais-tu concernant ses projets à venir ?
Koto a bel et bien réalisé son premier projet… pas dans le milieu du rap cependant. Il est désormais dans le prêt-à-porter, toujours au Havre. Je ne sais pas où il en est musicalement. Mais, si demain, il devait revenir au rap, je suis sûr que ce serait énorme parce qu’il est très talentueux.
Si tu étais l’alternative politique pour la France pour ne pas devoir brûler sa carte électorale (cfr. Clip de « Pheonix ») ou d’être un « négro qui vote blanc » ?
Erreur 404, impossible (rires) ! Je n’ai pas d’ambition politique donc c’est difficile de répondre à cette question. J’espère voir émerger un parti politique qui nous représente davantage et nous donne envie de voter. Il nous faut un parti qui suit moins les tendances politiques, qui soit moins girouette, moins amoureux des sondages, qui n’ajuste pas sa voix par rapport à ça et qui soit moins populiste.
Si tu étais un rescapé de Lampedusa venant du Tiers Monde, quel message voudrais-tu adresser à l’Europe et à sa politique migratoire ?
Je ne m’adresserais pas à l’Europe, mais plutôt aux gens qui sont derrière moi. Je les préviendrai du danger de traverser la mer car, sur place, le rêve européen n’est pas forcément réel. Je conseillerai les gens qui sont derrière moi, je leur parlerai du voyage et des difficultés économiques européennes qui ne sont pas vraisemblables à celles qu’on voit au bled. Je leur dirai que l’Europe est loin de ressembler à l’eldorado que l’on nous vend. Auparavant, nous rêvions d’aller aux États-Unis, mais ce songe n’est plus d’actualité : on ne mène pas la même vie que dans « Friends » ! Il faut donc différencier l’image de la culture occidentale, que l’on nous renvoie via les médias, et la réalité du terrain.
Si tu étais journaliste, quelle question aurais-tu posé à Tiers Monde ?
Tiers Monde, est-ce que tu penses pouvoir changer quelque chose avec ta musique ? Je me répondrai : « wait and see », mais ça vaut le coup d’essayer !
Si tu étais le dernier mot pour Alohanews ?
Molo Bolo, Alohanews !
Propos recueillis par Nikita Imambajev