Ce matin, il faisait beau. Un matin comme je les aime, un matin ensoleillé, chaud, un peu venteux aussi, mais c’était un matin agréable. Une belle journée m’attendait, une journée de shopping dans notre belle capitale. Je n’ai pas mis beaucoup de temps à me préparer ; les beaux jours me font presque oublier ma séance de maquillage quotidienne. J’ai enfilé un tee-shirt à l’effigie de Batman, un jeans slim clair et des petites baskets blanches. Il est 12h16 et je me sens bien.

Il fait beau, je souris presque toute seule. Je souris dans le train. Je souris encore lorsque je quitte la gare de Bruxelles Central. Je souris en me dirigeant vers la rue Neuve. Je m’arrête devant la vitrine d’un magasin de baskets- évidemment. Je vois mon reflet et celui d’un homme que je ne connais pas derrière moi. Je le regarde dans le reflet de la vitrine, lui a les yeux bien plus bas. Je me retourne donc, prête à lui faire une remarque lorsque l’individu détache-enfin- les yeux de mes fesses et me dit « sacré cul ! ». Et il s’éloigne en rigolant.

Je n’ai plus envie de sourire. Par chance, j’avais emporté une veste en jeans avec moi. Je la noue autour de ma taille. Je continue mon chemin, décide que cet homme ne gâchera pas ma journée, et poursuis ma route vers la rue Neuve. Je fais 36 pas. 36 exactement. Je les ai comptés.

« Eh ! Psst ! Eh, Batman ! ». Je comprends que c’est à moi qu’on s’adresse, je ne réagis pas. « Mademoiselle, t’es jolie toi, dis donc ! ». Je ne réagis toujours pas. « Oh, sale pute, tu pourrais répondre au moins ! ».

Mais répondre quoi exactement ? Merci ? Je ne vois pas pourquoi je lui dirais merci, il n’y est pour rien. Qu’attend-il exactement ? De la reconnaissance ? Ceci n’est pas un compliment, ça ne me fait pas plaisir. Je n’ai pas demandé d’appréciations sur mon physique. J’ai l’impression de marcher sur un territoire qui n’est pas le mien, un territoire d’hommes qui trouvent ça tout à fait normal de juger n’importe quel physique qui osera passer devant eux. En agissant de la sorte, ils me remettent à ma place et me rappellent qu’ils ne font que me tolérer dans leur espace, un espace pourtant public.

Je suis lassée de ce comportement primaire et préfère écourter ma séance shopping. Je ne souris plus, je ne pense plus qu’à rentrer. Pour ne pas à avoir à trop marcher, je préfère prendre un métro. Il est 16h30 environ, heure de pointe, le métro est bondé. Je rentre dans le wagon, m’accroche comme je peux à la barre verticale ; je ne me connais que trop bien, je tomberais au moindre coup de frein. Je le répète, le métro est bondé. Nous étions tous serrés les uns contre les autres. Patrick Sébastien aurait la chanson parfaite en ce moment.

Les gens se collent, beaucoup sont debout comme moi, faute de places. Je n’aime pas ça, j’aime avoir mon espace à moi, ma petite bulle, mes 30 centimètres de circonférence. Je sens qu’on me bouscule de tous côtés, j’ai horreur de ça. Je sens que ma veste bouge, je n’y prête pas attention. Je sens une main sur mes fesses.

Une main qui agrippe mes fesses. Là, c’est certain, ce n’est plus le hasard. Je me retourne et découvre un homme d’une quarantaine d’années, en costume cravate, je remarque même son alliance à l’annulaire. Je lui dis bien fort, pour être sûre que les personnes autour de moi l’entendent également : « Retirez tout de suite votre main de mes fesses ! ». Il a souri. Je l’ai fusillé du regard. « Faites-le maintenant et je ne le répéterai pas » ai-je insisté. Il l’a enfin retirée après ce qui me semblait avoir été une éternité. Il a continué de sourire et m’a lancé « Comme si tu n’aimais pas ça ! ». Personne autour de moi n’a dit quoi que ce soit, ils devaient sans doute être bien trop occupés à regarder leurs chaussures.

J’ai repris le train, furieuse, en colère contre moi-même, contre les hommes, contre ces gens qui n’ont rien dit, contre le monde entier. Je suis enfin rentrée et le lendemain, j’ai décidé d’aller porter plainte. Après tout, quelqu’un m’avait touchée sans mon assentiment, ça ressemblait bien à une agression, non ? Je me suis rendue au bureau de police. Un policier d’une trentaine d’années me reçoit et, avec bienveillance, me demande de lui raconter ce qui s’est passé. Je prends le temps de lui donner tous les détails de ma journée. D’abord le regard posé sur mes fesses aperçu dans le reflet de la vitrine, mon dégoût envers cet homme, envers moi-même, la seconde remarque à laquelle je n’ai pas répondu, l’agression verbale, mon envie pressante de rentrer, le métro pour ne pas avoir à marcher en rue, et puis, enfin, cet homme marié, ce dégoûtant personnage, qui s’est permis de me toucher les fesses. Non, pas seulement les toucher, les agripper, les malaxer, en prenant son temps. Mais aussi ma fureur, ma colère, mon corps qui ne m’avait plus appartenu pendant ces 10 secondes et puis, ces gens, ces gens qui sont restés de marbre, cette dame à côté de moi qui a assisté à toute la scène et qui a préféré éviter mon regard lorsque j’ai essayé de croiser le sien, et tous les autres bien trop occupés à regarder leurs chaussures.

Je lui ai tout raconté, absolument tout. Il n’a pas pris une seule note, n’a tapé aucun mot sur son clavier. Il avait les bras croisés et le regard dubitatif lorsqu’il m’a dit : « D’accord, mais vous étiez habillée comment exactement ? ».

Alors, je n’ai pas répondu, j’ai pris mon sac, je me suis levée et je suis partie.

Si j’écris aujourd’hui, c’est pour vous exprimer mon profond dégoût face à ce sexisme de rue qui s’étend un peu plus chaque jour. Je me suis un peu renseignée sur le sujet et aujourd’hui, en Belgique, 98% des femmes belges ont déjà été victimes de harcèlement de rue une fois dans leur vie et 69% ont déjà été suivies par un homme ou par un groupe d’hommes et se seraient senties en danger.

Ce n’est pas la tenue vestimentaire des femmes qu’il faut juger trop courte ou provocante, mais plutôt le comportement des hommes. Le problème est que ce type de situation est tellement répandu qu’il se banalise. Les femmes doivent accepter ces remarques et, surtout, surtout, ne pas y répondre. Qui sont-elles pour oser le faire ?

J’ai décidé de continuer à porter des jupes et des robes, du maquillage, des talons. J’ai décidé de continuer à vivre ma vie comme je l’entends et désormais, lorsqu’un homme me fait une remarque un tant soit peu déplacée, je le remets à sa place. Parce que « la drague est une main tendue ; le harcèlement, une main qui s’abat. »

Alexia ZAMPUNIERIS