Si dans son chef-d’oeuvre, Mr Hermingway a fait du vieil homme un  » Salao  » vu qu’aucun poisson n’a mordu à son hameçon depuis 84 jours, l’Algérie, elle, a fait du jeune homme un  » Hittiste  »  (la plus académique des formes pour qualifier un désoeuvré), et ce depuis 56 ans.

En effet, chaque jour que dieu fait, ce jeune homme soutient de ses épaules les murs de sa rue ( c’est en tout cas ce qu’il croit ) dont l’état reflète la conjoncture du pays avec une habilité déconcertante. Du matin au soir, le dos cloué au béton, il remue le déni social et identitaire que lui a infligé l’école qu’il ne fréquente plus, pourtant si tenace dans sa mémoire, si ancrée dans les abysses de son esprit.

Afin de s’octroyer une appartenance, un sentiment d’une ascendance, il va jusqu’en Orient emprunter une identité provisoire qu’on lui accorde à cœur joie, grâce notamment aux quelques chaines de télévision dont il dispose chez lui, à l’instar de tous ses voisins ( pour une fois qu’il n’est pas seul face au malheur ). Si ces chaînes échouent, il flâne dehors et disloque ses pensées comme il écarte les cailloux de ses pieds, le tout dans un geste lent évoquant un interminable égarement. Il emprunte le chemin de la mer, comme un ruisseau de soucis et là, il se heurte à ce qui lui a toujours été inconnu.

Une voix aussi subtile qu’un rasoir lui murmure à l’oreille que cette eau demeure l’ultime salut. Il rebrousse chemin, fait mine de ne pas soumettre sa pensée à une telle absurdité et regagne son taudis, au chaud face au journal télévisé qui parle de tout, sauf de l’essentiel.

Le lendemain il se réveille pour son entretien d’embauche et en arrivant sur place on lui fait savoir qu’il avait trop dormi et qu’une autre recrue, sans réel potentiel, a eu la présence d’esprit de se lever avant lui . En quittant le bureau, ses yeux vont vers un titulaire d’un master à qui on a refusé la candidature, sans doute parce qu’il souffre lui aussi du sommeil (comme quoi, la léthargie ne se résume pas à l’entassement au lit). Alors, il le réconforte et lui propose d’aller à la plage et tuer le temps qui jusque là, demeure leur pire ennemi.

Les fesses à même le rocher submergé de crasse et de filtres de cigarettes, mais surtout d’un affreux silence que même la fureur des vagues ne semble briser, joints à la main, ils pensent, secouent à deux la calebasse des maux  sans dire un mot. Sans doute, ressentent-ils la même envie; que tout prenne fin, qu’un salut déchire le bleu en face et vienne leur tendre la main. Le soleil se couche, le  ciel se vide progressivement de sa lumière, de même  pour le paquet  de ses cigarettes. Alors plus rien ne phagocyte la voix bizarre que le jeune homme entendait la veille. L’appel de la mer perfore de nouveau leurs oreilles, ils cèdent au désir de la pirogue, au caprice de partance.

C’est décidé, ils partiront avant la fin de la semaine. En attendant, ils se gardent de rêver, ils l’ont déjà assez fait.

Une barque, quelques effets dont l’état n’est plus enviable, des cigarettes et encore les cigarettes, ils mettent en marche le moteur qu’ils se sont promis de rembourser à son propriétaire dès lors que l’Occident leur voue ce dont leur pays les a privés. Le lendemain paraît plus loin que l’Europe, rien de rassurant au milieu de ces eaux, là où on n’est jamais trop jeune pour mourir, là où même le Pharaon a avalé sa chique. Le jeune homme ne voit plus que le noir de ses paupières, parfois coupé par l’écume que remuait le moteur. Atteindra-t-il la destination et le lendemain? ou ensanglantera-t-il les embruns? Seul le vent du Nord, décidera pour le jeune homme du Sud.

Tarik Ibelaidene