Peur de ne pas être à la hauteur. Effrayé(e) à l’idée de se présenter. Tétanisé(e) face au risque d’être percé(e), perçu(e) comme trop stressé(e). L’anxiété devant le doute atteint son paroxysme. Et si les autres me trouvent trop gros, pas beau ou pas bon. Que faire ? Que dire ? Plus rien. Je suis comme un otage du regard des autres. Je veux disparaître. Tout compte fait, j’abandonne. Oui, j’abandonne tout.
Voilà. Le juge a décidé. La sentence est sans appel : nous devons baisser les bras, jeter les armes et préférer la fuite. Cette même sortie d’urgence qui nous permet d’éviter le pire, enfin ce qu’on pense être le pire. Une illusion qui se prétend être une prédiction, une vulgaire anticipation. Tous nos efforts précédents sont mis au rang des actions vaines, éclipsés par une crainte sans nom et sans visage. Que s’est-il produit ? Qui est responsable de cette médiocrité venue s’agripper à mon estime de moi-même ? Qui est cet homme au marteau inquisiteur ? Vous savez, à y regarder de plus près, ce juge me dit quelque chose. Il y a comme un air de famille. Comme une légère ressemblance. Je m’avance pour lui demander son identité.
- Bonjour, puis-je savoir qui vous êtes ?
- Et bien, je suis de ceux qui jugent selon la loi ?
- Quelle loi ?
- Voyons, celle qui a été fondée sur l’histoire.
- Quelle histoire ?
- La vôtre bien évidemment.
- La mienne ? Comment ça ?
- Vous m’avez l’air d’être de ceux qui ignorent. Je m’en vais vous expliquer très cher. Votre histoire se décompose en divers échecs et quelques réussites. Je me dois de faire le tri dans ce capharnaüm. Grossir les défaites et faire oublier les victoires.
- Mais dans quel but ?
- Vous en posez des questions. Pour biaiser votre image de vous-même bien sûr, vous faire douter sur vos capacités et vous pousser à l’abandon. L’indulgence n’est pas de mon ressort puisque je juge toujours avec dureté. La complaisance n’est pas mon fort puisque je ne suis pas là pour conforter. Je vous rappelle tout ce qui vous gêne dans votre être profond. Je vous donne ensuite l’impression que les autres remarqueront vos moindres défauts et imperfections. Suite à ça, le stress et la panique vous prennent et ne vous lâchent plus. Vous êtes perdu.
- Mais c’est affreux ! Comment osez-vous ?
- Je n’ose point. J’exécute.
- Qui vous demande de faire ce genre de choses ?
- Vous-même enfin ! Vous n’êtes vraiment pas très au courant.
- Pour quelle raison commanderais-je ce genre de choses ?
- Je ne puis répondre à cela.
- Puis-je, au moins, savoir quand faites-vous cela ?
- Et bien, j’agis ainsi avant vos entretiens d’embauche, vos rendez-vous galants, vos présentations orales et les événements importants et décisifs de votre existence.
- Mais par tous les saints, pourquoi ?
- Hélas, je ne pourrais répondre à cette question. Mon rôle ne se limite qu’à juger et pour ce qui est des raisons, celles-ci me dépassent. J’applique une loi vieille comme le monde.
- Très bien. Étant le législateur à l’origine de cette absurdité sans nom et vu que c’est de mon histoire qu’il est question, je prends la décision d’abroger cette loi ridicule et sans fondements. Ma vie ne souffrira plus de vos approximations et vos manipulations. Vous ne me jugerez plus, vous ne me ferez plus fuir et j’oserai. J’oserai là où auparavant je me défilais. Je ne me mettrais plus aucune barrière. Plus aucun obstacle ne viendra s’interposer entre moi et l’action. J’agirai avec confiance et maîtrise ! Là où je tâtonnais, et bien Monsieur le juge, je foncerai. Votre jugement ne sera plus qu’un écho du passé, un vestige oublié, une gravure effacée. En somme, vous ne viendrez plus m’agacer.
- Et bien, qu’il en soit ainsi !
J’ai cassé le miroir devant lequel je me tenais. La vie recommence. Mazal tov !