Alohanews

Alexis Deswaef : l’odyssée d’un avocat dans un Etat de non-droit

Le conflit israélo-palestinien est le plus traité par les médias. De nos téléviseurs, tout nous paraît si complexe. Alexis Deswaef, avocat au Barreau de Bruxelles et président de la Ligue des droits de l’Homme a décidé de se rendre sur place pendant dix jours avec une équipe de juristes spécialisés en droit international. Maître Deswaef raconte un voyage pas comme les autres.

Qu’est-ce qui vous a motivé à effectuer ce voyage en Israël ?

Nous étions un groupe de juristes spécialisés en droit international. Plusieurs d’entre nous avaient traité des dossiers sur base de la loi dite de compétence universelle, comme la plainte des réfugiés birmans contre Total pour complicité de crime contre l’humanité en Birmanie, mais également un dossier contre les dirigeants du gouvernement israélien suite à l’agression militaire contre la bande de Gaza, l’Opération « Plomb Durci ».

Dans le même temps, nous suivions la situation du conflit israélo-palestinien. Nous avons beau avoir lu beaucoup sur ce conflit, nous voulions aller sur place pour mieux comprendre. Notre intuition était de dire que c’est par le droit international et l’application de celui-ci que ce conflit pourra se résoudre. Cette intuition est devenue une conviction.

Quel a été votre premier sentiment lorsque vous avez atterri à l’aéroport de Tel-Aviv ?

Nous avons beau être prévenus, nous avons beau nous être préparés à cette arrivée, nous attendre à un interrogatoire serré, il faut le vivre pour le comprendre. Effectivement, nous avons été conduits au poste de la police des frontières et avons eu droit à ces interrogatoires croisés. D’abord les plus jeunes du groupe sont interrogés et mis sous pression pour connaître le motif du voyage. Ensuite, les réponses sont confrontées. Après deux heures de stress et une sévère mise en garde couplée à une interdiction de toute activité ou rencontre politique sous peine d’être arrêté et expulsé du pays, nous avons enfin reçu le cachet dans le passeport pour entrer en Israël.

Quel est l’état des tribunaux de la « seule démocratie » du Moyen-Orient ?

Durant ces dix jours, le choc a été permanent. Nous avons rencontré de multiples témoins tant israéliens que palestiniens. Les violations des droits fondamentaux des Palestiniens par les Israéliens sont omniprésentes. Ce qui nous intéressait aussi d’examiner là-bas, c’était les recours possibles dont peuvent bénéficier les Palestiniens. Deux exemples me viennent à l’esprit. Le premier était de voir si les exactions commises lors de l’Opération « Plomb Durci » à Gaza avaient pu, devant les tribunaux israéliens, aboutir à des condamnations de militaires israéliens pour mettre fin à cette impunité dans le droit de la guerre et le droit international. Nous n’avons reçu aucune réponse positive à cet égard. Le deuxième exemple concerne la confiscation des terres et des maisons par les colons israéliens dans des quartiers de Jérusalem-Est ou à Hébron en Cisjordanie, mais aussi en Israël avec les terres des bédouins du Néguev confisqués par les Juifs israéliens.

Les recours que les Palestiniens peuvent introduire devant les juridictions israéliennes, jusqu’à la Cour suprême, sont tout à fait inefficaces. Les cours et tribunaux ne réparent en rien les injustices commises par les Israéliens. Effectivement, les tribunaux en Israël fonctionnent peut-être très bien pour les Israéliens mais ne sont d’aucune utilité pour les Palestiniens vivant en Cisjordanie ou en Israël.

Un regard juridique sur le conflit israélo-palestinien

Même au niveau du droit des enfants palestiniens ?

Le droit des enfants est préoccupant. Les enfants sont détenus dans les prisons israéliennes et font l’objet de détentions administratives. N’importe quel juriste constatant les conditions de la détention administrative ne peut que s’indigner. C’est une détention arbitraire. Ils sont jugés devant des tribunaux militaires, des sortes de tribunaux d’exception. Les droits des enfants conformément à la Convention internationale des droits de l’enfant ne sont pas du tout respectés.

Quel est le quotidien des Palestiniens de Cisjordanie et d’Israël ?

Le conflit israélo-palestinien n’est peut-être pas le conflit le plus meurtrier au monde. L’horrible exemple de la Syrie est là pour le prouver. Cependant, c’est probablement une des pires situations au monde au niveau des injustices quotidiennes et de l’application du droit. Le quotidien des Palestiniens tant en Cisjordanie, qu’en Israël est absolument inacceptable sur le plan du respect des droits fondamentaux. Cela se caractérise par les contrôles excessifs aux checkpoints, par le risque d’arrestation à tout moment ou par les discriminations dont ils sont victimes. Il faut bien se rendre compte que leur quotidien est un quotidien d’apartheid !

En Cisjordanie se développe depuis des années une colonisation civile massive protégée par l’occupation militaire israélienne. Les Palestiniens sont freinés, avec ces territoires morcelés, dans leur vie quotidienne, dans leurs déplacements, dans leurs activités économiques, dans leurs démarches pour les soins de santé. Toute activité du quotidien est entravée par cette occupation, sans parler des routes de contournements, des checkpoints, des barrages et des incursions des forces armées israéliennes. Le territoire est divisé en zones A, B et C. La zone A est contrôlée entièrement par l’Autorité palestinienne. Malgré tout, cette zone n’est pas à l’abri d’incursions de l’armée israélienne où encore récemment des ONG en plein cœur de Ramallah ont vu leurs bureaux perquisitionnés et saccagés.

En Israël, les citoyens arabes israéliens sont considérés comme des citoyens de seconde zone. Ils n’ont pas accès à toute une série de droits dont les citoyens juifs jouissent. C’est pour cela que nous pouvons parler d’un apartheid à tous les niveaux. Evidemment, c’est en totale violation du droit international.

Malgré tout cela, les défenseurs d’Israël disent que c’est la seule démocratie du Moyen-Orient…

Israël n’est pas, ou plus, une démocratie pour la simple raison que le gouvernement israélien a mis une autre valeur au-dessus de la démocratie, c’est l’état Juif. Toute leur politique est construite en référence à cet état Juif avec une des composantes de cette politique qui est la politique d’apartheid, mise en place au détriment des citoyens arabes d’Israël, ainsi que des Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza.

Prouvez-nous où Israël viole le droit international ?

Dans le conflit israélo-palestinien, il est important d’utiliser les bons mots pour décrire la situation. Effectivement, il y a une occupation militaire d’un état car la Palestine l’est devenu. Le droit international interdit d’installer des civils dans le territoire qu’on occupe militairement. L’actualité nous le montre encore, Israël n’arrête pas d’intensifier cette colonisation civile qui fait en sorte que la Palestine ne ressemble qu’à un gruyère, avec quasiment plus de trous que de fromage.

Il y a aussi la question de la détention arbitraire des prisonniers politiques palestiniens, pas du tout conforme au droit international. Leur « mur de sécurité » constitue en soi aussi une violation du droit international. Ce mur de séparation est en réalité un mur d’annexion.

Un dernier exemple des violations du droit international est l’exploitation des ressources des territoires palestiniens par l’occupation israélienne. Notamment dans la vallée du Jourdain, nous assistons à un pillage des ressources palestiniennes. Toutes les cultures et les plantations de la vallée du Jourdain sont exportées dans le monde entier sous le faux label Made in Israël. Au niveau de la politique de l’eau aussi, les nappes phréatiques sont pompées par Israël qui fait que la Palestine n’a pas accès à l’eau. La Palestine est contrainte d’acheter son eau à Israël au prix fort.

Les colonies sont illégales en droit international. La Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme (FIDH) a sorti récemment, en octobre 2012, un rapport sur cette colonisation et la complicité de l’Union Européenne dans ce processus. Le rapport s’intitule ‘La paix au rabais : comment l’Union Européenne renforce la colonisation israélienne’. Il dénonce ce double langage. D’un côté, la communauté européenne condamne la colonisation israélienne en Palestine. Et d’un autre côté, elle importe massivement des produits en provenance des colonies qui portent le label Made in Israël, renforçant ainsi la colonisation illégale. Il faut que cela cesse ! C’est une question de cohérence entre les paroles et les actes. L’Union Européenne devrait aussi dénoncer les accords commerciaux privilégiés qu’elle a noués avec Israël parce qu’il ne respecte pas du tout la « clause droits de l’Homme » prévus dans ces accords. Nous pouvons parler également du boycott qui est plutôt un acte citoyen, non-violent et de protestation, pour créer un électrochoc surtout auprès des dirigeants israéliens mais aussi auprès de la population israélienne pour qu’elle fasse pression sur son gouvernement. Il faut toucher là où ça fait mal, au niveau du portefeuille, pour réveiller les consciences.

Le gouvernement extrémiste dirigé par Benjamin Netanyahou ne s’arrêtera pas dans son élan s’il n’est pas mis face à ces actes. Est-ce qu’il aurait relancé une agression militaire de la sorte contre Gaza il y a quelques mois si après l’Opération « Plomb Durci » en 2009, il avait été poursuivi devant la Cour pénale internationale tel que le procureur Moreno-Ocampo aurait pu le faire ? Pour des raisons totalement erronées, ce dernier a botté en touche et n’a même pas voulu ouvrir une enquête préliminaire. C’est seulement à partir du moment où des poursuites seront engagés et que les autorités israéliennes devront rendre des comptes, qu’elles comprendront leurs obligations de respecter le droit international. Il faut mettre fin à l’impunité des dirigeants israéliens. A partir de là, nous éviterons de nouveaux actes contraire au droit international.

Le gouvernement israélien a choisi une voie sans issue. La seule solution au conflit est une solution à deux états démocratiques et viables, en revenant aux frontières de 1967 sur base du tracé de la ligne verte. C’est aussi la seule solution qui puisse garantir la survie d’Israël. Tout le propos que je tiens ne fait pas de moi un ennemi d’Israël. Je devrais plutôt être qualifié d’ami d’Israël et disant tout cela. Dans la voie sans issue qu’il s’est choisi, Israël court à sa perte.

Vous avez parlé de la mobilisation citoyenne, vous dites dans votre conclusion que l’indignation c’est bien mais que l’action c’est mieux ! Vous avez évoqué le boycott, comment peuvent agir les citoyens concrètement ?

Effectivement, le boycott est un moyen non-violent d’action. Cela consiste à dire d’un produit entaché par des inégalités et des violations du droit international, je ne l’achète pas, je le boycotte. Nous pouvons tout à fait faire le parallèle avec le boycott du régime sud-africain au moment de l’apartheid. Nous avons pu voir que la solidarité citoyenne a pu faire plier un régime raciste.

Vous dites du boycott que c’est un acte citoyen mais beaucoup d’hommes politiques et journalistes s’indignent de la campagne BDS (Boycott-Désinvestissement-Sanctions) comme quoi cette dernière serait illégitime. Le boycott est-il illégal au niveau du droit ?

Le boycott n’est pas illégal. Tout le monde est libre d’acheter ou de ne pas acheter un produit. Le droit à la liberté d’expression permet encore, jusqu’à preuve du contraire, qu’un citoyen puisse dire publiquement qu’il estime qu’il ne faut pas acheter tel produit pour telle ou telle raison.

Et en réponse à ceux qui disent que c’est illégal, ces derniers inversent les choses et devraient faire attention. La responsabilité pénale de ceux qui importent des produits qui sont entachés par l’illégalité de la colonisation pourrait être soulevée. Tous les maillons de la chaîne, jusqu’aux distributeurs ici mettant en vente ces produits peuvent être mis en cause. Tirant des bénéfices de produits issus de faits qui violent le droit international, ils sont finalement complices et pourraient être poursuivis pour blanchiment, infraction pénale qui consiste à tirer profit d’une activité tout à fait illégale là-bas et à réinjecter ce profit dans l’économie ici. L’acte illégal n’est pas où l’on pense. Pour un état ou pour les multinationales, c’est très facile de s’attaquer aux citoyens qui boycottent ou qui prônent le boycott, mais ils doivent réaliser qu’une riposte est possible en droit.

Le conflit vu d’ici parait si compliqué…

De nombreux lecteurs de mon livre m’avouent que ce conflit vu d’ici leur parait tellement compliqué, qu’on ne sait plus très bien l’origine du conflit et où se situent les responsabilités. C’est pour cela aussi que j’ai mis en annexe une ligne du temps et des cartes qui expliquent le contexte historique et géographique. Cela permet de remettre les choses à leur place. Ces lecteurs me disent que maintenant, quand ils lisent les journaux, ils comprennent mieux ou sont davantage critiques avec ce que les médias leur présentent. L’objectif principal était donc de témoigner. Le pari était un peu fou, de dire en 10 jours, essayons de comprendre même s’il nous faudrait beaucoup plus de temps. Le but du livre est de faire voyager le lecteur avec nous, dans notre minibus en mission à la rencontre de la réalité du terrain.

Que retenez-vous de ce voyage ?

J’ai été très impressionné par les rencontres avec ces véritables héros qui luttent pacifiquement pour leurs droits et leur dignité. D’un point de vue personnel, je suis sorti moralement et physiquement épuisé par ce que j’ai vu et entendu. Je suis revenu avec la ferme intention de témoigner des injustices que nous avons vues de nos yeux. En les dénonçant, nous pouvons peut-être contribuer, modestement, à les faire cesser. Faire en sorte que personne ne puisse dire : « On ne savait pas ! ».

Propos recueillis par Mouâd Salhi