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Amitiés sans frontières : au plus près des camps de réfugiés

Loïc Fraiture à droite sur la photo et ses collègues.

L’été 2015 a été marqué en Belgique par la crise de l’accueil des réfugiés. Ce sujet était sur toutes les lèvres. Plusieurs citoyens se sont mobilisés pour marquer leur solidarité à ces personnes qui fuient l’horreur. C’est le cas du réseau d’“Amitiés sans frontières”. Ce réseau de bénévoles s’est rendu en juillet dernier au Liban pour connaître la réalité de ces exilés. Nous avons rencontré son responsable, Loïc Fraiture.

– Mouâd Salhi

Peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Loïc Fraiture, je suis responsable du réseau “Amitiés sans frontières”. J’ai 30 ans et suis professeur de mathématiques dans le secondaire à temps plein. “Amitiés sans frontières” est un réseau créé à l’initiative de membres du PTB. Nous essayons de mettre en place une multitude d’actions pour marquer notre soutien aux réfugiés.

Quelles sont les missions de votre réseau ?  

C’est un réseau national, qui est donc bilingue. C’est important pour l’unité car le combat en Flandre est d’autant plus important. Concrètement, nous avons à notre disposition plus de six cent personnes dans nos contacts que nous pouvons solliciter lorsque nous organisons des manifestations ou activités. Par exemple, tous les ans, nous organisons un grand brunch où nous étions plus de quatre cent avec des réfugiés.

Par exemple, tous les vendredis, devant l’Office des Etrangers, nous préparons des petits déjeuners pour les réfugiés qui font la file. Nous menons également des actions politiques en mobilisant des citoyens car nous considérons que cela doit aller de pair si on veut changer les choses. Nous intervenons également dans les écoles en faisant venir des réfugiés afin qu’ils témoignent. Nous sommes également invités par le milieu associatif pour donner des analyses.

Comment est né ce réseau ? 

“Amitiés sans frontières” était avant tout un slogan. Cela faisait plusieurs années que c’était porté par Riet Dhont, très active sur la question des sans-papiers. C’était pendant la crise d’accueil en 2015 que nous avons voulu formaliser les choses. Nous avons décidé de mettre en place une structure permanente pour concrétiser des actions de longue durée car les enjeux en termes d’accueil et de sensibilisation sont cruciaux.

Nous avons visité des camps de dizaine de milliers de tentes où il n’y avait même pas une école

En juillet dernier, vous vous êtes rendus au Liban pour rencontrer des réfugiés syriens et palestiniens. Ce pays de 4 millions d’habitants compte deux millions de réfugiés dans son propre sol. Comment vivent ces personnes sur place dans les camps ?

C’est difficile de dire une généralité là-dessus car il y a beaucoup de cas spécifiques. Pour faire simple, il existe trois « sortes » de réfugiés au Liban. Il y a les réfugiés syriens qui affluent depuis six ans. Il y a les réfugiés palestiniens qui sont là depuis 70 ans. Et il y a aussi les réfugiés syriens palestiniens qui vivaient en Syrie et qui ont dû fuir ce pays à cause de la guerre.

Au-delà de cela, ce qui va être déterminant, c’est si on vit dans un camp ou dans les villes libanaises. Dans les camps palestiniens, ce sont des camps très fermés avec toutes les factions qui gèrent l’organisation à l’intérieur. Il n’y a pas vraiment de droit au travail pour les Palestiniens. Ils peuvent travailler mais ne peuvent exercer des postes à responsabilité qui leur sont interdits. Il existe beaucoup de Palestiniens éduqués et si par exemple ces derniers veulent travailler en tant que médecin, ils vont devoir travailler au nom d’un médecin libanais. Ils sont donc invisibilisés et ne peuvent bénéficier des droits du travail. Parfois sur leur contrat, il est noté cuisinier, femme de ménage alors qu’ils exercent le métier d’infirmier ou médecin. Ils ont du travail dans des niches comme la construction ou le ramassage des ordures, des emplois de basse qualification. Mais en général c’est la débrouille.

Pour les camps syriens, ce ne sont pas des camps en dur. Cela fait plus de six ans qu’ils vivent dans des tentes, dans la vallée de la Beeka notamment. Les conditions sanitaires et au niveau de l’éducation sont catastrophiques. Nous avons visité des camps de dizaine de milliers de tentes où il n’y avait même pas une école. Certains enfants n’ont pas été à l’école depuis six ans. C’est une génération sacrifiée car elle n’a pas eu ce moment de vie pour se sociabiliser et avoir des outils d’émancipation. Cela sera très difficile de rattraper ce retard. Sur les bâches, on pouvait voir le logo du Haut Commissariat pour les Réfugiés (ONU) mais dans la réalité, les personnes sont livrées à elles-mêmes. Les réfugiés doivent même payer l’emplacement des tentes car ce sont des terrains privés appartenant à des villageois. C’est vraiment cela qui nous a le plus touché.

Les interventions ne sont pas neutres, elles alimentent la violence et servent des intérêts qui nous dépassent complètement

Le slogan de votre collectif est “We are not dangerous, we are in danger”. Comment expliques-tu qu’une frange de la société belge voit l’arrivée de réfugiés ou migrants sur notre sol comme un danger ?

C’est une réalité que l’on doit aborder. Les personnes sont à différentes échelles, racistes. Ce que nous essayons de faire, c’est de montrer les mécanismes qui provoquent ce phénomène. Evidemment, il existe une instrumentalisation au niveau politique. Une volonté de faire diversion. C’est vraiment la stratégie de la N-VA qui casse toute la sécurité sociale, les acquis et les droits sociaux. La question des réfugiés est brandie comme un épouvantail pour détourner l’attention de la société quant aux véritables responsables de la crise. De plus, une société capitaliste a besoin de pénurie pour « fonctionner ». Il y a une pénurie en logement, en travail, en services sociaux. Et compte tenu de ce contexte, quand on accueille des personnes supplémentaires, cela crée des tensions. D’autant plus que souvent, il y a un « dumping social » organisé par l’Etat. Mais nous défendons que les réfugiés pourraient être accueillis dignement et que leur nombre reste marginal ici, surtout si on le compare à celui du Liban. Dans un système capitaliste, on ne peut pas arriver à une diversité qui vit en paix. C’est cela que nous essayons de remettre en question.

Vous aviez récolté 1500 euros à partir de dons et de vente de dattes pour votre voyage. Cette somme a servi à financer des initiatives locales. Quel type d’association avez-vous décidé de soutenir ?

Tous les jours, nous visitions un camp ou un quartier différent. Nous avons été accueillis sur place par des associations. Nous avons donné une partie de la somme à une structure qui accueille des enfants en organisant du soutien scolaire. Cette association comptait parmi elle une psychologue qui essayait de dénouer les traumatismes liés à la guerre de ces enfants. Nous avons travaillé avec plusieurs associations bénévoles comme Syrian Eyes, active dans la vallée de la Bekaa. Ils n’ont pas de fonds. Ce sont des personnes libanaises, syriennes et palestiniennes qui s’organisent pour mobiliser leurs forces. Ils prennent les enfants en charge pendant quelques heures pour essayer de leur apprendre les rudiments de l’alphabet et de la vie en société. Ils font un boulot extraordinaire et nous voulions les soutenir.

Lors de votre premier jour, vous avez fait la rencontre du célèbre journaliste britannique Robert Fisk, spécialisé dans la région du Moyen-Orient. Comment s’est passé l’entrevue ?

Nous voulions le rencontrer au début de notre voyage pour qu’il nous donne quelques clés de compréhensions par rapport aux enjeux de la région. Robert Fisk est passionné par son métier. Il est de plus en plus indépendant donc il peut se permettre d’aller au fond des choses dans son analyse. Il nous a ouvert les yeux sur le fait que l’on n’a jamais connu une situation où il y a autant de guerres qui s’enchaînent dans une aussi petite région.

On lui a demandé quel conseil on pourrait donner à l’Europe pour agir dans la région. Il a répondu « qu’on laisse ces pays tranquille ! Si le but des interventions était d’aider, ce serait avec de l’humanitaire, des soins de santé et de l’éducation sans contrepartie, force est de constater que ce n’est pas le cas ».

Les interventions ne sont pas neutres, elles alimentent la violence et servent des intérêts qui nous dépassent complètement. Si on veut s’attaquer à la base du problème des réfugiés, c’est d’abord la guerre qu’il faut arrêter : investir dans la diplomatie, faire asseoir toutes les parties à la table des négociations, plutôt que d’investir dans les avions de chasse. Cela demande d’évoluer vers une société qui n’est plus basée sur la recherche de profit.

Robert Fisk et Amitiés Sans frontières

L’agriculteur français Cédric Herrou a été condamné à quatre mois de prison avec sursis pour avoir logé des réfugiés. Dans le même temps, un groupuscule d’extrême droite, navigue en méditerranée dans le but de repousser les embarcations de fortunes des migrants. Qu’est-ce que ces actualités t’inspirent ?

Cela fait froid dans le dos. Nous organisons toutes les semaines des repas pour les réfugiés. Lorsque nous voyons l’appareil de plus en plus répressif de l’Etat, on se dit que nous pourrions aussi être touchés. Je me rends compte que lorsqu’on aide des réfugiés ou migrants et contrevient à l’appareil dominant, on risque gros, à l’image de Cédric Herrou. Par contre, lorsqu’on est susceptible d’être violent à l’encontre des réfugiés, de violer le droit international, on laisse faire. Certains hommes politiques vont même jusqu’à soutenir implicitement cela, à l’image de Theo Francken qui affirme que les ONG participent au trafic d’êtres humains.

Un dernier mot ? 

Je dirais que la question des réfugiés est un sujet qui a beaucoup polarisé mais nous avons aussi constaté un élan de solidarité énorme. Cela fait des années que nous n’avons pas connu de mouvements citoyens de cette ampleur comme on l’a vu en 2015 au parc Maximilien. Nous voulons permettre à ces gens de s’organiser, faire poids au niveau humanitaire et aussi pour défendre nos droits. Je suis donc optimiste.

Propos recueillis par Mouâd Salhi

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